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Critique de isanne


Me décider à ouvrir un livre de Romain Gary est toujours une aventure : parce que la première rencontre ne s'est pas très bien passée - mais j'étais seule responsable !, parce que la seconde a été une apothéose, et qu'ensuite, j'ai toujours dévoré ses phrases tant son écriture possède le pouvoir de captiver... mais je reste sur mes gardes, Romain Gary fait partie de ces écrivains qui m'intimident grandement et pour lesquels, je me sens coupable de ne pas avoir été emportée par un de leurs romans.

Si j'avais du m'en tenir à l'illustration de l'édition de poche, je n'aurais jamais lu ce récit : une très belle femme, au tout début du vingtième siècle, mais une femme aisée, portant une très belle robe et un boa de plumes, le symbole de la vie facile, futile...et ce n'est pas ce qui me rend curieuse. Et pourtant, l'héroïne de ce livre, a été pauvre, misérable, au point de décider en toute conscience de se vendre pour essayer de vivre. Mais cela aurait été bien dommage de s'arrêter à la "parole" d'une couverture...
Et puis, on m'a dit " … tu sais, le récit se déroule en partie dans les milieux anarchistes...", alors là, oui, tout de suite, la curiosité était trop forte et j'ai lu les premières pages...


C'est l'histoire d'une vie, d'un regard qui se tourne vers le passé... Cette femme respectée et même crainte qui fête ses quatre-vingt ans, pompeusement, devant un parterre d'invités choisis, se raconte à son ami fidèle, dirions-nous, celui qui se consume platoniquement pour elle, puisqu'il ne s'est jamais déclaré... la bienséance de la société huppée anglaise !
Percy, ainsi nommé, est bien loin d'imaginer les confidences qui vont lui être faites : lui qui n'est qu'éducation et étiquette se retrouve entraîné dans les milieux anarchistes fin XIXième début XXième. Et voilà que celle qu'il vénère lui avoue avoir été de ceux qui se battent pour des idées que lui-même condamne....
Je ne veux rien vous raconter, il faut découvrir le récit petit à petit, sourire ou rire de l'incrédulité de Percy, de le voir se scandaliser, de le découvrir désormais partagé dans ses sentiments pour cette amie si chère dont il n'avait jamais supposé les engagements antérieurs.

Il faut "écouter" Romain Gary nous raconter cette époque et nous faire entrevoir ces milieux avec beaucoup de détails et d'à-propos, il connaît son sujet, on apprend, on vit dans ce Paris de la misère où finalement la violence est la seule vengeance qui reste à ceux qui n'ont rien au nom d'une idéologie qui veut avant tout rééquilibrer les injustices sociales.
Par contraste comme par provocation, il nous fait visiter les jardins de Lady L. somptueux , luxuriants, et il nous laisse ébahis de ses descriptions végétales en grand défenseur de la nature qu'il est.

Romain Gary aime tellement les femmes qu'il pardonne à son héroïne d'être versatile et manipulatrice, d'être intrigante et intéressée dans ses relations, de ne penser finalement qu'à elle et à son propre avenir. Il parvient, cependant, à ne pas nous la rendre complètement antipathique…
Et il traite, tellement souvent, les attitudes des hommes avec dérision, qu'il fait d'Armand Denis, un être qui ne s'enflamme que pour les idées, qui ne se consume que pour les faire partager, qui ne se donne qu'à une violence qu'il croit réparatrice de l'inégalité du partage des richesses dans la société mais qui ne sait voir le danger qui le guette derrière la femme éprise et conciliante, telle qu'il croit la deviner, trop passionné des mots, il est devenu presque oublieux du danger d'aveuglement des sentiments. Sa lucidité toute acquise à sa cause, s'estompe dès qu'il s'agit du sentiment amoureux.


Et nous voilà pris au piège d'une écriture qu'on ne peut lâcher, entraînante, qui donne parfois dans l'ironie, parfois dans le cynisme, parfois dans la déclaration d'idées, Romain Gary devient facétieux nous bousculant dans nos points de vue pour mieux nous inviter dans sa vérité...

Même si je préfère "le" Romain Gary qui nous parle de ségrégation, de maltraitance animale, d'amour incandescent dans sa vérité, de ses années d'engagement au service d'un humanisme toujours plus fort, celui qui sait si bien nous montrer les laideurs de l'âme humaine, les fêlures de la société, ses aberrations, force est de reconnaître que quels que soient les mots qu'il nous donne à lire, il sait nous séduire et nous donner à réfléchir à travers n'importe quelle trame de récit…
Avec Romain Gary, il faut accepter de se laisser porter par les mots, se laisser guider par les phrases, on apprend, on réagit, on se trouve bouleversé ou révolté...
C'est du Grand Art dans l'écriture !


Quel regard Romain Gary porterait-il sur notre société actuelle ?
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