AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de meeva


Étonnant comme le regard n'est pas du tout le même après une deuxième lecture. Ou après environ vingt ans qui ont passé…

Le roi Salomon est un vieux monsieur de quatre-vingt-quatre ans. Ancien « roi » du prêt-à-porter.
Il vieillit seul et se porte au secours des autres, en finançant un standard d'écoute aux gens en détresse et en offrant des cadeaux à de nombreux gens esseulés.
Il rencontre Jean, jeune bricoleur et chauffeur de taxi et il en fait son chauffeur personnel, souvent chargé d'aller rendre visite aux appelants de SOS.
Jean est rapidement gagné par l'angoisse du roi Salomon, du moins le prétend-il car il est difficile de croire que ce sentiment ne l'habitait pas avant.

On dit qu'un auteur écrit toujours le même livre. C'est tellement vrai pour Romain Gary.
Je suis frappée de la ressemblance entre Jean, le narrateur ici, et Lenny, le personnage principal de « Adieu Gary Cooper ». Sauf que Lenny ne parlait que très peu. C'était, déjà, un jeune qui pouvait passer pour un peu simple, qui avait des difficultés dans ses relations aux autres, qui avait une vision très désabusée – malgré son jeune âge – de la société, qui avait connu beaucoup de femmes et qui tombait amoureux.
Jean semble aussi assez simple, de par son élocution et ses réflexions un peu particulières et son recours systématique aux dictionnaires, comme s'il voulait comprendre ses idées en trouvant la définition des mots qu'il emploie.
Cette manière de parler particulière n'est pas sans rappeler « La vie devant soi » ou « Gros câlin » ou même « Adieu Gary Cooper ».

Gary avait utilisé le thème du « prêt-à-porter » dès « le grand vestiaire », écrit en 1947-1948.
Le prêt-à-porter, c'est les sentiments ou les idées dont les hommes habillent leurs vies.

« - Dès qu'un enfant vient au monde, que fait-il ? Il se met à crier. Il crie, il crie. Eh bien, il crie parce que c'est le prêt-à-porter qui commence… Les peines, les joies, la peur, l'anxiété, pour ne pas parler d'angoisse… la vie et la… enfin, tout le reste. Et les consolations, les espoirs, les choses que l'on apprend dans les livres et qu'on appelle philosophies, au pluriel… et qui sont du prêt-à-porter aussi. Quelquefois, celui-ci est très vieux, toujours le même, et quelquefois on en invente un nouveau, au goût du jour…
Et puis il m'a mis, comme il le fait souvent, une main sur l'épaule d'un geste éducatif, et il s'est tu pour m'encourager, car, des fois, la pire des choses qui peut arriver aux questions, c'est la réponse. »


Jean est chargé par le roi Salomon de rendre visite à Cora Lamenaire, une vielle femme de soixante-quatre ans, chanteuse réaliste avant la guerre, dont la carrière a été gâchée par sa vie amoureuse. Jean va la « baiser » et il s'agit bien d'amour, mais pas pour elle spécialement, c'est de l'amour en général.

On retrouve la solitude, l'amour et la Connerie universels, qui prennent tant de place tout au long de l'oeuvre de Gary.
Mais, depuis quelques années déjà, la vieillesse et de la fin de vie deviennent deux idées plus prégnantes, au fil de romans tels « Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable », « La vie devant soi », « Clair de femme », jusqu'à sûrement virer à l'obsession pour Gary/Ajar.
Croyez-vous Romain Gary assez cynique pour écrire ces lignes en imaginant déjà ce qu'il ferait environ deux ans plus tard ?

« Mon cher garçon, je ne compte plus du tout être remboursé, mais évidemment, d'ici dix-huit mois, ou encore mieux, d'ici dix ou vingt ans, il me serait très agréable de pouvoir en reparler et peut-être de remettre le remboursement à encore quelques années plus tard, dit-il, et cette fois, il s'est mis franchement à rire à l'idée d'être là encore dans dix-huit mois ou dans dix ans, à son âge. »

Gary habite sûrement un peu chacun de ses personnages dans ce livre. Je suppose que c'est Cora Lamenaire qui lui ressemble plus et le roi Salomon doit être celui qu'il essaie de s'imaginer devenir.


Alors peut-être Gary ne fait-il que se répéter dans ce livre. Mais le narrateur, Jean, fait preuve d'une sincérité totale et la candeur qui persiste en lui, pourtant avisé et même « renseigné » sur le monde – pour reprendre une expression qu'affectionne Gary – ne pourra que vous émouvoir.

« Quand on a fini de se répéter mais ce n'est pas moi, ce sont les nazis, ce sont les Cambodgiens, ce sont les… je ne sais pas moi, on finit quand même par comprendre que c'est de nous qu'il s'agit. de nous-mêmes, toujours, partout. D'où culpabilité. »

Toujours trop de lucidité…

Un détail : dès son premier livre (publié), « Éducation européenne », Gary évoquait un trou dans lequel les partisans se cachaient dans la forêt polonaise. Dans « La vie devant soi » c'est madame Rosa qui se cache dans son « trou juif ». Ici le narrateur avoue avoir eu son trou aussi quand il était enfant :

« Quand j'étais môme, j'avais moi aussi creusé un trou dans le jardin et je venais me cacher là-dedans avec une couverture au-dessus de ma tête, pour faire le noir, et je jouais à être bien. »

En osant un humour particulier, je dirais bien que Gary a gardé cette histoire de trou en tête jusqu'à sa fin…





A cause de Cora qui fredonne quelquefois, j'avais envie de finir en chanson. En pensant au grondement de l'océan que Gary évoque si souvent, c'est Jacques Brel qui m'est venu en tête…

« […]
Quand on n'a que l'amour
Pour tracer un chemin
Et forcer le destin
A chaque carrefour
Quand on n'a que l'amour
Pour parler aux canons
Et rien qu'une chanson
Pour convaincre un tambour
Alors sans avoir rien
Que la force d'aimer
Nous aurons dans nos mains
Amis le monde entier »

Extrait de « Quand on n'a que l'amour », Jacques Brel :
https://www.youtube.com/watch?v=jLVd_mO3yX4


Lien : https://chargedame.wordpress..
Commenter  J’apprécie          2211



Ont apprécié cette critique (17)voir plus




{* *}