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L'angoisse du Roi Salomon, c'est un peu l'angoisse de tous.
Le roi Salomon, c'est Mr Salomon Rubinstein, un vieux monsieur de 84 ans, ancien « roi » du prêt-à-porter dans le Marais. D'origine juive, il a dû se cacher dans une cave pendant la seconde guerre mondiale pour échapper aux nazis. Tout comme Romain Gary, Mr Rubinstein a eu le temps, a eu la vie, pour penser à l'être humain. Penser à nos peurs, nos joies, nos amours, nos espoirs. Tout ce que l'on revêt dès la naissance. Notre prêt-à-porter à tous.
A 84 ans, il ne supporte pas de se dire qu'il n'est plus que vieux aux yeux des autres. Qu'il n'y a plus que cela pour le définir. Alors, il continue de porter de beaux costumes. Il veut rester élégant et digne. Il veut encore être, avoir le droit d'aimer, de ressentir. Pour cela, il a notamment créé un standard SOS. Il aide ceux qui sont dans le besoin, les oubliés, ceux qui ont perdu un peu d'eux-mêmes sur le chemin de la vie. Cette association vaut aussi bien pour les bénévoles : en parlant à quelqu'un, quel que soit le côté où on se trouve, on a l'impression de se sentir moins seul.
Avant la guerre, Mr Rubinstein a été amoureux d'une jeune femme de 20 ans sa cadette, Cora Lamenaire, qui commençait dans la chanson et qui a eu un petit succès. Mais celle-ci était folle amoureuse d'un voyou, qui sera collabo pendant la guerre. L'amour peut être parfois fou, aveugle, incompréhensible. Mademoiselle Cora n'en avait que pour lui. Durant 4 ans, elle n'est jamais allée voir Mr Rubinstein dans sa cave, même si, pour elle, cela signifiait déjà quelque chose qu'elle ne l'ait pas dénoncé à son amour de vaurien. Elle ne pensait pas à Salomon. Elle avait le coeur pris ailleurs. Et Mr Rubinstein, une fois sorti, n'a pu accepter de la revoir.
Mr Rubinstein croise un jour un jeune homme, Jean. C'est un homme de la rue qui vit de son boulot de taxi avec deux autres amis et de bricolage et réparations en tout genre. Jean n'a pas eu trop d'éducation, n'est pas forcément très intelligent, mais il essaye, comme il dit, d'apprendre en « autodidacte » en consultant beaucoup de dictionnaires. Jean par son allure, sa carrure de boxeur fait penser à ces hommes qui ont une gueule (comme les Gabin, Ventura…). Et il fait penser à cette canaille, tué après la libération. le vieux monsieur l'engage pour être son chauffeur particulier et aider à l'association.
Bien entendu, il est difficile pour moi avec ce prénom Jean, celui du narrateur, de ne pas songer à Jean Seberg, l'ancienne femme de Gary, son si grand amour, décédée la même année que la publication de ce roman.
Mais Jean, c'est aussi ou surtout l'autre face. La joyeuse et positive. Jean a le surnom de Jeannot Lapin, parce qu'il met du sourire dans nos vies. Sûrement qu'il est d'utilité publique, tellement il fait du bien à l'âme. On se sent peu plus léger en sa présence. Même s'il tombe souvent à côté du sens des mots ou des idées philosophiques, à bien y réfléchir sa compréhension des choses n'est pas forcément si insensée que cela. de prime abord, un peu surpris, ça nous fait sourire. Et puis, on se dit qu'il n'a pas tellement tort. Probable qu'il nous ouvre les yeux sur les autres façons moins convenues d'appréhender, d'interpréter les choses de la vie. Sûr qu'il met un peu de joie et de poésie dans les réflexions sérieuses.
Il nous fait sourire, nous sentir plus légers, et pourtant les sujets dont il parle sont lourds, graves. Il parle de la guerre, du nazisme, de la solitude des hommes, de notre besoin d'amour, du besoin que nous avons tous à trouver un sens à notre vie.
Il y a comme une inversion des poids. Il doit être un peu shaman pour avoir cette capacité de nous enlever le mal à l'âme. Jean, c'est un peu de Gary, capable de mettre autant d'humour, de clairvoyance sur les hommes et de gravité dans une seule phrase. A parler des choses de manière légèrement grave et gravement légère. Et moi, ce n'est pas vraiment un tour de passe-passe que je fais si je parle de Jean pour parler à Romain Gary.
Gary, je l'ai dans la peau. Peau de lapin, pourrait dire Jean pour désamorcer. Il parait qu'il faut toujours un peu d'humour pour supporter la réalité.
Cela fait tellement d'années que je lis les romans de Monsieur Gary que je me sens un peu proche de lui. Même s'il est loin à présent, il est toujours là avec moi. Et j'ai cette impression de le connaître un peu mieux au fil des ans, au fur et à mesure des lectures, de ces romans dévorés.
Vers l'âge de 20 ans, je l'ai découvert avec « La vie devant soi ». Drôle d'énergumène qui, pour la première rencontre, me mettait une claque. Une énorme claque. Je m'en souviens encore. Ça marque ce genre de choses, ce genre de livres. Ça laisse des traces. Si Jean avait dû décrire cette claque, il aurait sûrement précisé qu'elle était encore plus douce qu'une caresse, une claque qui ressemblait à s'y méprendre à un « gros-câlin ».
Alors j'ai continué à chercher Romain Gary, à multiplier les rencontres, les soirées avec lui. Je me disais qu'avec lui, la nuit sera calme et enfiévrée. Et c'était vrai à chaque fois. Toutes ces heures, toutes ces nuits incroyables, belles, et je me rappelle aussi sourire à l'idée de la promesse de l'aube merveilleuse. Durant ces heures passées ensemble, je passais du rire aux larmes. de sourire bête accroché aux lèvres des minutes entières au coeur serré prêt à éclater en mille morceaux.
Avec lui, je nous sentais seuls au monde, loin de la folie des hommes, et en même temps si près d'eux, si soudés à eux. Presqu'en communion. Ou en communauté, si j'avais regardé la définition dans un des dictionnaires de Jean. Etrange phénomène qu'il accomplissait comme un magicien, comme un des mangeurs d'étoiles. Et moi, je les buvais ses mots, je les avalais aussi ses étoiles, hypnotisée, amoureuse, en transe, en apesanteur. Je les savourais lentement, religieusement presque, moi qui ne crois plus en grand-chose. Je continuais à croire en lui et à ses rêves, ses espoirs, ses combats, ses coups de colère parfois. Ils me faisaient penser à ces cerfs-volants qui allaient s'accrocher aux étoiles. Et je me disais que Gary était un de ceux qui, soir après soir, s'agrippait à ces cerfs-volants et allait allumer les étoiles, les faisait scintiller si intensément.
Il me faisait rire, Romain. J'avais le sourire rien qu'en l'écoutant parler à mon coeur, à ma naïveté d'enfant qui colle parfois si mal à la réalité d'adulte. J'aime ses jeux de mots, ses aphorismes, son décalage, son imagination. J'aime sa culture, son intelligence, son coeur énorme qui prend tellement de place qu'on se sent tout petit à côté de lui. Il faisait mon éducation européenne, terrienne, interstellaire. J'aime sa sensibilité, sa poésie, sa tendresse et son courage. J'aime ses yeux clairs dans lesquels je me plonge, sa grandeur d'âme, son côté parfois macho, son amour des femmes, son humanité, son respect des autres, son idéologie et ses valeurs écolo. Il me surprend, il m'impressionne, j'adore cela. J'ai conscience de mélanger les temps, le passé, mes souvenirs avec lui, le présent par ce que je ressens encore et toujours. Et parce qu'il est toujours là avec moi, il y a un futur fait d'autres découvertes avec lui (j'ajoute une autre angoisse, celle du nombre de lectures qui s'amenuisent … alors je ralentis, je prends mon temps).
Bien sûr, je savais lire entre les lignes. Je lisais aussi plusieurs sens à ses lignes. Je voyais dans son regard ses peines, ses pertes et ses blessures. Je savais que parfois les années qui passent étaient plus lourdes à supporter, que la lutte était éprouvante, que c'était parfois trop pour lui et qu'il pensait à partir. Qu'il pensait de plus en plus à aller retrouver les éléphants qu'il aimait tant.
Gary portait parfois un masque rieur, avait un pseudo trompeur pour pouvoir être un peu plus lui-même, et pas l'image qu'on attendait de lui. Il faisait souvent le clown lyrique pour pouvoir supporter sa charge d'âme. Et je le serrais contre mon coeur comme il faisait battre le mien. Comme j'aurais voulu lui montrer tout ce qu'il était capable d'offrir à tous ses lecteurs. Je sais être redevable de tout ce qu'il m'a donné, apporté. Il n'a jamais su à quel point il était généreux avec moi. A quel point il me réconciliait avec la nature humaine. Je n'avais pas les mots aussi forts, aussi poétiques que les siens. Et ne pas pouvoir le lui dire, le remercier comme il le mérite, ça me serre parfois le coeur. Ça me fait le coeur gros prêt à exploser. Avec ce trop plein d'émotions, forcément ça craque, ça déborde à un moment ou à un autre, ça coule, ça ruisselle…
J'ai souvent l'impression que Gary est dans mon coeur. Qu'il est là dans mon coeur à le triturer, le malaxer, le faire battre, l'irradier et le serrer sans vergogne. Et je me sens toute bizarre... Romain Gary, c'est mon centre d'appel SOS à moi. Je suis souvent en insuffisance cardiaque et Gary est mon indéfectible défibrillateur personnel. Il est celui qui me donne un rythme cardiaque qu'il est bon d'avoir de temps en temps dans la vie. Il est celui qui me fait un coeur tout frais, tout jeune, celui qui me ramène un sourire aux lèvres, un peu de teint aux joues, les yeux qui pétillent. Gary est de ceux qui me ramènent souvent à la vie.
Gary est à la fois un peu de Jean, le jeune fou et rêveur et à la fois Mr Rubinstein, le vieux sage, stoïque mais aussi altruiste et encore désireux de vivre et d'éprouver des émotions. Et si entre Jean et Salomon, un lien fort se tisse, sûrement qu'il y a aussi entre eux un passage de relais.
Il faut lire Romain Gary, ou à défaut Emile Ajar, c'est un peu du pareil au même. Il faut le lire, le relire pour ne pas l'oublier. Pour ne pas s'oublier. Et ne pas oublier les autres.
J'aurais pu parler des romans de cet écrivain qui m'ont le plus touchée, ceux que j'emporterai(s) sur mon île déserte (« Les cerfs-volants », « La vie devant soi », « La promesse de l'aube », etc.). Mais peut-être que je ne me sentais pas de taille. J'étais encore jeune à l'époque de ces lectures, peut-être de l'âge de Jean. Alors, après avoir découvert bien d'autres romans et entretiens de cet ensorceleur conteur, de cet incroyable diplomate, après avoir lu « L'angoisse du roi Salomon », à l'âge intermédiaire entre Jean et Mr Rubinstein, c'est pour moi le prétexte pour rembourser un peu ma dette. C'est le moment de parler de lui, enfin, et enfin de lui parler, moi qui n'ai jamais osé auparavant, de (lui) dire à quel point il compte parmi mes auteurs les plus marquants, les plus importants de ma vie. Et qu'il a sans conteste changé ma vie, bien plus que ma vie de lectrice.
Cette année, cela fait 40 ans qu'il m'a quittée (ou nous a quittés, mais c'est pareil. Gary m'a appris que tous les autres sont un peu de nous, même un peu comme le chien blanc des Amériques, même Momo à quelques années près, Momo qui a un rien de Jean, même si là je ne parle pas de boxe, parce que Jean, c'est à Marcel à qui il voulait ressembler).
Il me manque. Je m'approche de la bibliothèque. J'ouvre un roman. C'est presqu'une lettre qu'il m'écrit, qu'il nous écrit, une si belle lettre, avec une ribambelle d'émotions qui explosent semblables à un feu d'artifice, à un immense arc-en-ciel qui vous saute à la gorge. Tiens, c'est étrange, c'est lui qui me manque et c'est lui qui m'écrit (permettez-moi de rêver que c'est à moi que Romain écrit).
Je lis ses mots. J'en ai plein les yeux, j'en ai plein la tête, j'en ai plein le coeur, j'ai l'impression qu'il déborde mon coeur… encore. Je lis quelques lignes, je serre ses mots entre mes doigts, je m'accroche. Crois-moi, je ne vais pas te lâcher comme ça. Entre nous c'est une belle histoire et tous les superlatifs ne suffiraient pas. C'est une belle histoire dont je ne veux pas qu'il y ait le mot ‘'fin''. J'entends tes mots. Ta présence me fait du bien. Je souris. Je sais que tu es tout près.
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Le génie de ce roman, c'est d'être écrit dans les termes du personnage principal. Ce dernier est un homme de la rue, qui n'a pas beaucoup étudié, mais qui l'aurait certainement fait si il en avait eu les moyens. Il tend d'ailleurs constamment à combler le manque de connaissance dont il souffre cruellement en autodidacte, comme il le dit lui-même en ses propres termes de manière répétitive.
Dès les premières pages, surtout par les “explications” naïves, on voit à qui on a affaire: “il avait encore toute sa moustache et une courte barbe qu'on appelle à l'espagnole, car c'est en Espagne qu'elle est apparue pour la première fois”, le roi Salomon avait “un air résolu et implacable, comme s'il ne craignait rien ni personne et avait déjà battu plusieurs fois l'ennemi à plate couture, alors qu'on était seulement boulevard Poissonnière” (p.9). Cette naïveté géniale n'empêche personne de se débrouiller dans le monde et ouvre des possibilités poétiques précieuses à quiconque à la patience d'aller prêter attention.
C'est donc à travers la sincère bizarrerie du personnage principal que nous découvrons ce “roi Salomon” et ce, “avant même qu'il ne s'appelle comme ça à [s]a connaissance” (p.10). Cet homme riche, devenu philanthrope “car plus on devient vieux et plus on a besoin des autres” (p.11), va lui ouvrir la possibilité du merveilleux, et ce, même si le narrateur n'est pas croyant, car “même quand on ne croit pas, il y a des limites. On ne peut pas ne pas croire sans limites, vu qu'il y a des limites à tout” (p.15).
Notre narrateur cherche souvent conseil chez son ami Chuck, dont il se méfie pourtant comme la peste puisqu'il peut tout expliquer et que pour lui, “l'explication, c'est le pire ennemi de l'ignorance” (p.17).
Cette modalité narrative met le lecteur en un état de tendre amusement idéal pour savourer la douce mélancolie du récit de ce dur au coeur tendre.
Difficile de trouver plus sympathique comme passe-temps.
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Romain Gary, Stefan Zweig, tolstoï et Proust font indéniablement partie de mon "panthéon littéraire."
Quatre auteurs pour qui le mot "humanité" rime avec l'essence de chacun d'eux.
Romain Gary pour moi, c'est d'abord La promesse de l'aube, un roman qui me porte depuis l'adolescence, un livre dont l'amour d'une mère vous enveloppe à vie, vous protège.
Évidemment, il y a toujours des failles et des fêlures mais mieux vaut trop d'amour que pas assez.
Dans L'angoisse du roi Salomon, c'est l'humanité, le don de soi, d'aider les autres qui prime.
Le roi Salomon ne supporte pas l'oubli, les oubliés, chaque vie à un sens même la plus ordinaire.
C'est avec un humour décapant, un humour juif comme le dit Romain Gary que le roi Salomon affronte L'angoisse.
L'angoisse de la solitude, de la mort et de la finitude humaine.
Comment à 84 ans croire à demain ? D'ailleurs cette question se pose bien avant cet âge avancé.
Le roi Salomon fait du bien en donnant des rentes, des subsides à ceux qui n'ont plus rien, à ceux que la vie n'a pas gâté. Il se noue d'amitié avec Jean, un chauffeur de taxi à qui il offre son "héritage spirituel".
Oui, mais il y a tout de même des avatars qu'on ne peut résoudre. Salomon a été fou amoureux de Cora dans sa jeunesse, puis rejeté pour un autre. L'amour a survécu chez ces deux êtres mais l'orgueil amoureux, la rancune peut-elle se refermer pour vivre encore un peu ensemble ?
Le roi Salomon est assez proche du personnage de la vieille juive qui prend sous son aile Momo dans la vie devant soi. Peut-être ce qui fait le lien entre ces deux Ajar et Romain Gary.
J'ai vu en 2019 l'adaptation théâtrale de L'angoisse du roi Salomon au théâtre de la porte St Martin avec la performance extraordinaire de Bruno Abraham - Kremer que je vous conseille si vous avez la chance d'aller le voir.

En refermant ce roman, je me dis comme à chaque titre de Romain Gary que cette lecture m'a fait du bien.
Cher Gary, merci, je l'imagine recevoir ce merci avec un sourire mi-désabué, mais plein de bonté pour l'espèce humaine.
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En ce qui me concerne, ouvrir un roman de Romain Gary, c'est toujours risquer de me prendre un coup de poing en plein coeur -et ça n'a pas loupé avec celui-ci.
Jean, chauffeur de taxi occasionnel, prend un jour pour client Salomon Rubinstein, ex-Roi du prêt-à-porter, qui lui propose de devenir coursier au sein de SOS Bénévoles, l'association qu'il a créée pour aider les personnes en difficulté, qu'elles soient confrontées à l'âge, la solitude, ou autres angoisses existentielles. Jean accepte et découvre alors, en la personne de Monsieur Salomon, un homme de 84 ans déterminé à porter sur ses épaules plus que sa part du poids du monde. Mais comment porter un tel poids sans s'insensibiliser ? "Le juste milieu. Quelque part entre s'en foutre et en crever. Entre s'enfermer à double tour et laisser entrer le monde entier. Ne pas se durcir mais ne pas se laisser détruire non plus. Très difficile.", comme l'apprendra Jean.

J'ai beaucoup aimé cette histoire un peu folle, parfois un peu poussive aussi, mais qui sonne juste. Comme toujours, Romain Gary joue de sa faculté à parler de choses graves avec une légèreté qui donne envie de rire puis de pleurer. Il s'amuse avec les mots, faisant de Jean un Momo (de "La vie devant soi") adulte, amateur de dictionnaires et d'encyclopédies.
Surtout, je me suis retrouvée dans le fatalisme de ce roman inscrit dans l'année 1978, tandis que s'impriment partout (et surtout dans la rétine) les images de goélands englués dans le pétrole, de bébés phoques massacrés, d'Argentins torturés et de Cambodgiens assassinés. "C'est une honte, le monde devient chaque jour plus lourd à porter." soupire Monsieur Salomon, qui a survécu au nazisme, et je me demande ce qu'il en penserait 45 ans plus tard. J'ai aimé cette façon d'aborder la difficulté de vivre dans une société aussi désespérante, et de considérer le salut humain à travers celui de tous les vivants. En ce sens, la générosité de Romain Gary m'a consolée et réconfortée.
Enfin, j'ai également été touchée par les réflexions sur l'angoisse du temps qui passe et de la possibilité du bonheur, et sur la recherche d'un stoïcisme protecteur quand vivre heureux devient un oxymore.

C'est donc une lecture dense et douloureuse, mais aussi drôle (oui, oui) et pertinente, et on en sort avec l'impression d'avoir bénéficié de quelques conseils d'un plus sage que soi, et d'être réconcilié avec l'existence. Prêt à regarder de nouveau la vie devant soi.
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30 novembre 2014:
Ca y est, ça recommence. 4ème page et j'aurais déjà pu poster une phrase sur deux dans les citations. le sourire ne quitte pas mes lèvres et mes yeux.
Mon 4ème et dernier livre de Gary publié sous le pseudo d'Emile Ajar.
Je vais le lire
le plus
lentement
possible.

14 décembre 2014:
Ca y est, c'est terminé.
Qu'est ce que je vais devenir maintenant? ?
(L'angoisse de Noor)
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Pour ce roman, il a suffit de deux pages. Deux pages et j'avais déjà le sourire aux lèvres en découvrant le ton gouailleur et tellement marqué "Romain Gary" de son personnage Jean. Jean qui n'a pas la tête qui faut mais qui a un coeur d'or. Jean est taxi, jusqu'au jour où il rencontre Salomon, le roi Salomon comme il l'appellera bientôt, roi du pantalon à la retraite qui a ouvert un standard SOS jour et nuit pour les désemparés, les solitaires. Pour Jean, c'est le travail rêvé. Il peut montrer toute sa naïveté, toute sa générosité, en allant jusqu'au bout de son engagement.

D'un optimisme contagieux ("On peut tout perdre [...] mais si on garde espoir, rien n'est perdu".) d'une ironie dévastatrice (ses relations avec le concierge raciste, anti-communiste : Si les Juifs n'étaient plus là, si les communistes s'évaporaient et si les travailleurs immigrés étaient renvoyés chez eux, ce serait pour Monsieur Tapu le désert affectif." Alors il l'encourage dans ses préjugés, pour le rendre heureux !), d'une grande tendresse ("Tu devrais te laisser les cheveux encore plus longs. Pour qu'il y ait plus de toi." dit-il à sa petite amie), Jean est un personnage terriblement attachant. Autodidacte, accro des dictionnaires alors qu'il massacre le français à tour de bras, Romain Gary dessine un personnage un peu dérangeant, qui met en péril tous les clichés et préjugés de la société.

En face de lui, le roi Salomon : "Je ne savais pas que Monsieur Salomon ne pouvait pas souffrir l'oubli, les oubliés, les gens qui ont vécu et aimé et qui sont passés sans laisser de traces, qui ont été quelqu'un et qui sont devenus rien et poussière, les ci-devant, comme je sais maintenant qu'il les appelait."

Monsieur Salomon est la générosité et l'attention même, très bien conservé pour ses 84 ans ! Il a l'impression d'avoir une dette envers ceux que la vie n'a pas gâtée et veut faire réparation, même quand c'est trop tard.

"et puis il y a un moment où tu commences à sentir que c'est trop tard, que la vie ne va jamais te rembourser, et c'est l'angoisse. C'est ce que nous appelons l'angoisse du roi Salomon, à SOS"

Cette angoisse transparait dans toute le texte d'une façon extrêmement puissante, semblant répondre à celle que j'ai perçu à la lecture de la Nuit sera calme par Jacques Gamblin récemment. Une angoisse à laquelle il n'y a pas de réponse ...

Enfin, l'auteur dresse une belle galerie de portraits, comme Mademoiselle Cora, ancienne chanteuse tombée dans l'oubli et que Jean exhorte à sortir de son égoïsme, lui parlant cocassement de la marée noire qui vient de survenir sur les plages bretonnes : "Quand on ne pense pas assez aux autres, on pense trop à son propre cas mademoiselle Cora." Alors que Jean finit par trop penser aux autres et plus assez à lui-même...

Au final, j'ai retrouvé la grande délicatesse et le même ton de voix, toujours un brin désespéré de la Vie devant Soi et de Clair de Femme, mes deux premiers romans de Gary. Cependant, j'ai été un peu déçue car j'ai trouvé ce roman-ci un peu long, l'histoire n'avance pas assez vite et tourne un peu en rond autour du personnage de Jean. Ce qui l'empêche d'être un vrai coup de coeur tout en étant un très bon roman, à découvrir, comme toutes les oeuvres de Gary dont je deviens accroc !
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Un magnifique roman avec lequel on passe un bon moment! Dès les premières pages, le plume de Romain Gary nous attrape directement à la gorge qu'on ne sait pas s'il faut l'avaler ou la recracher, en tout cas, tout ce qu'on peut faire c'est la déguster lentement et surement!
Oh le personnage de Jean, un chasseur de mot qui court les dictionnaires pour avoir la signification précise des mots et interpréter le monde qui l'entoure , celui-là qui n'a rien demandé mais que le destin va se servir de lui pour enterrer un conflit sentimental entre le roi Salomon et Mademoiselle Cora depuis la deuxième guerre mondiale...
Un roman autant captivant et d'une beauté assez particulière! du Gary pur jus!
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Bouquin apparemment neuf, trouvé dans une boite à livres aux reliques douteuses, perle au milieu du tout et n'importe quoi, emporté inopinément, sans y penser.

Inconnu au bataillon ce titre de Romain Gary. En même temps, planqué derrière deux Goncourt et une promesse, il ne lui reste plus qu'à gueuler sur la tombe d'Ajar comme un chien abandonné, la vie est pavée d'occasions perdues...

Et pourtant, c'était... magnétique. Comme Jean, sa gueule d'amour et son magnétisme animal, ce livre ne se ressemble pas. Comme l'auguste Salomon, roi du pantalon, ce livre se montre grandiose. Comme Mademoiselle Cora, drama queen aux allures d'Arletty, ce livre est foncièrement singulier.

Y a pas à dire, les meilleurs moments de lecture sont ceux qui vous prennent par surprise.
Petite pépite !

Et là, vous vous demandez de quoi ça parle... Suivez ma logique, laissez-vous surprendre, ne gâchez rien en vous laissant divulgâcher la métaphysique angoisse du Roi Salomon.
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L'angoisse du roi Salomon
Bon je vous avoue d'emblée, moi qui croyais me glisser dans une valeur sûre, c'est Romain Gary quand même, je me suis ennuyée avec Le Roi Salomon, Cora et Jeannot … Un jeune chauffeur de taxi naïf qui déborde tellement de bonté qu'il sort (ouais, et couche aussi) avec une vieille dame par charité, bof, ça ne m'a pas emballée… j'ai aussi été agacée par la narration de Jean, le bénévole en question, qui parle avec le vocabulaire et le ton d'un Momo qui aurait grandi trop vite, avec ses réflexions naïves mais (trop) pleines de bon sens et de lucidité, ça m'a semblé artificiel. J'aurais préféré que le Roi du pantalon soit le narrateur (comme le laisse croire le quatrième de couverture), il aurait été beaucoup plus intéressant de lire l'histoire à travers l'angle de sa bonté sarcastique et rancunière de vieux Juif revenu de tout, plutôt que de celui de la bonté dégoulinante du jeune scout. Gary a ici un peu trop flirté avec le feel-good pour mes goûts.
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Jean le narrateur, est un coeur simple. Il rencontre M. Salomon, « roi du pantalon » à la retraite, jeune dans sa tête mais angoissé par l'âge et le temps qui passe. Celui-ci met Jean en contact avec Cora, une ancienne vedette quasi oubliée. Il y aura une relation tendre entre Cora et Jean et celui-ci finira par apprendre ce qui s'est passé dans le temps entre elle et monsieur Salomon.
Le sujet du livre est l'âge, la vieillesse, le temps qui passe et qui détruit les corps, la beauté, le goût de vivre et la solidarité, l'amour malgré tout persistant. C'est traité avec beaucoup de délicatesse et de sensibilité.
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