« Par une belle journée de septembre 195., vers les onze heures du matin, la grande cage de verre du gratte-ciel de l'Organisation des Nations unies étincelait dans le soleil d'automne, s'acquittant de sa mission pacifique, celle d'un grand centre d'attraction touristique américain. »
Le ton est vite donné. Dès l'incipit, Gary empoigne sa fiole d'acide fluorhydrique (celui qui dissout le verre) et la fracasse contre cette « cage » où il s'est si souvent laissé enfermer de 1951 à 1954, pendant sa contribution à la Mission permanente de la France auprès des Nations unies.
Gary, amoureux des paradoxes, nous présente celui-ci : l'humanité est représentée par une gigantesque machinerie, comparée à Disneyland. On y trouve d'ailleurs des personnages de cartoons, donc complètement caricaturaux. Dans l'élan d'un rire corrosif, on découvre des entrailles qui n'ont rien d'organique, de grands espaces théâtraux où des pantins s'agitent et brassent autant d'air que les immenses circuits de ventilation. Les ficelles sont grosses, mais c'est bidonnant.
A noter que les personnages conservent tout de même une part d'humanité attachante, du secrétaire général dépressif jusqu'aux sympathiques gangsters d'al Capone opérant en sous-main dans cette arnaque ambulante. Et que dire de ce chef indien et de son curieux calumet de la paix qui ne se fume pas (je vous laisse découvrir…). Mais ces « fantômes dans la machine » ne font que mettre en relief le chagrin d'amour entre Gary l'humaniste et l'ONU désormais honnie (ou ONI ? comme dans Ouverture sur le Néant et l'Inanité ?).
En témoigne par-dessus tout ce héros provocateur qui perd le contrôle de sa plaisanterie cynique, au risque de finir absorbé par l'idole même qu'il tentait de détruire. Une trajectoire qui renvoie à l'image publique de
Romain Gary : Gary le mondain, Gary le séducteur. Autant de personnages artificiels, souvent façonnés par le regard des autres, et dans lesquels l'intéressé ne se reconnaissait pas. Alors il en rit jaune et se créé des identités alternatives, peut-être pour redevenir lui-même (
Ajar), ou au contraire pour cloisonner les Gary indésirables (ce clown de Fosco Sinibaldi, auteur du présent roman ?). Ne pas oublier aussi qu'il était encore employé par le ministère des affaires étrangères en 1958. Il aurait donc été mal vu qu'il fasse paraître ce roman sous son « vrai » nom. Hé oui, parfois la vérité ne se trouve pas dans de grandes envolées idéalistes.