Elizabeth Gaskell a considéré ce roman comme le plus triste qu'elle ait écrit, et on ne saurait lui donner tort. C'est Andromaque dans le Yorkshire, entre 1794 et 1800. Sylvia, jeune fermière dotée d'une grâce infinie dont elle n'a pas totalement conscience, vit gâtée par ses parents dans un village de baleiniers. Son père est un patriarche, un peu trop satisfait de lui-même pour ne pas s'attirer des ennuis. Sa femme, à la mode de l'époque, bien plus sage que lui, fait tourner la maison parfaitement et entoure sa fille de tendresse. Philip, son neveu, austère et assez raseur, prônant la mesure et la morale, est, totalement contre ses propres principes, passionnément amoureux de la jeune fille, sa cousine. Mais il ne se rend pas compte de ses paradoxes. Il énerve prodigieusement Sylvia, qui n'aime pas qu'on lui fasse la leçon. Plus elle le fuit et le rembarre, plus il s'accroche.
Le contexte historique est aussi important : nous apprenons que les Anglais, pour alimenter les troupes, procédaient à des enlèvements de marins sur les baleiniers qui rentraient, et arrachaient ainsi à leur famille des frères, des fils, des maris, des fiancés. En toute légalité. Ainsi, lors du retour d'un de ces navires, les marins se rebellent contre les "recruteurs", particulèrement l'un d'eux, Charley Kinsraid, qui résiste héroïquement, et est laissé pour mort. Mais il survit, et en vient à rencontrer Sylvia, qui tombe amoureuse de lui. Cet amour semble réciproque, mais le jeune Kinsraid est réputé volage...J'oublie aussi Hester, qui, elle, aime Philip. A la suite d'un drame concernant Kinsraid, le destin des personnages va se trouver bouleversé.
Le roman est extrêmement intéressant du point de vue historique, montrant les effets des guerres napoléoniennes en Angleterre, explorant des aspects qui m'étaient totalement inconnus, notamment ces enlèvements extrêmement violents d'hommes pour les verser dans l'armée, au mépris complet de leur liberté et de leur survie. Quant aux personnages, leur portrait est profond et d'une grande subtilité. Leurs faiblesses, leurs mensonges, leurs faux-fuyants sont analysés sans aucune mièvrerie, mais toujours avec justesse, parfois avec une certaine cruauté qui rappelle ou plutôt annonce
Maupassant,
Flaubert...Leurs failles font leur malheur, et la vie ne fait pas de cadeaux. Si certains passages, notamment la fin, sont édifiants, on sent bien que c'est pour épargner un peu la lectrice d'autrefois, mais que la réalité est ailleurs, dure et sans appel. Indifférence, égoïsme, aveuglement, faiblesse tissent le malheur, mais que faire ? Quand on n'aime pas, on n'aime pas. Quand on veut, on ne peut pas. L'autre s'échappe toujours, quelque soit la façon dont on essaie de le posséder. Une leçon bien universelle pour un magnifique roman qui n'a pas pris une ride.