Journée productive aujourd'hui, je publie deux critiques en un jour. Je suis une véritable usine. Waaah.
Jeudi de vacances pluvieux en presqu'île guérandaise. le chat dort sur mes genoux, Bonne-Maman place le mot « COAGULASSE », et moi je désespère de gagner des points avec un T, un X, un K, un W et un Q, un N et un H. Ma grand'mère boit du petit lait. Je tente ma chance, sans espoir :
- Et le Kuwhat, ça marche ?
- Qu'est-ce que c'est que ça ?
- C'est une espèce de gastéropodes qui vit uniquement dans les îles Galapagos.
- C'est vrai, ce mensonge... ?
- Ouais, non. J'essayais. On sait jamais, sur un malentendu ça peut marcher...
Bonne-Maman se lève et prépare le thé en ricanant. Il faut dire qu'elle caracole en tête.
- Sinon, ma galette, tu l'as fini, le livre qui parle d'inceste ?
- Cent ans de solitude ? Ouais. du coup je n'ai plus rien à lire. Sauf un bouquin sur Brassens, mais je comptais me le réserver pour le train.
Elle revient avec les bols chinois hérités de la grand'maman, celle qui était Nantaise et qui a perdu son chien dans les bombardements en '43.
- Tu as lu
Quai de la Rapée ? Toi qui aimes les trucs un peu glauques, ça devrait te plaire.
- Jamais entendu parler. Connu ?
- Il a reçu le Prix du Quai des Orfèvres en '95.
- Et '95, c'est un bon cru ?
En attendant que le thé infuse et que je trouve un mot avec ces putains de consonnes, Bonne-Maman redescend avec le livre en question.
- Allez, tu liras ça rapidement. En tous cas, moi, j'avais adoré.
Alors, autant te le dire tout de suite, faire confiance aux goûts littéraires de Mère-Grand reviendrait à demander conseil culinairement parlant à un Angliche. Donc, je suis partie assez mitigée.
Quai de la Rapée a été écrit par un certain
Michel Gastine, médecin légiste né à Dreux. On ne trouve aucune trace de lui sur Google Images, donc, à mon grand désespoir, j'ignore s'il porte la moustache.
La première de couverture, comme tu peux le voir, présente le cliché parfait du mauvais polar des années 90. En témoigne le titre en noir sur fond jaune, avec la photo floue et mal cadrée pour l'illustrer.
Voilà qui aurait dû me convaincre de rebrousser chemin, de décliner poliment la proposition de ma grand'mère et de m'intéresser davantage à la rubrique nécrologique des Ouest-France périmés depuis huit mois.
Mais, bonne poire que je suis, j'ai commencé le livre de Michel dès que tout espoir d'une remontada au Scrabble fut anéanti.
Et maintenant qu'il est achevé, que puis-je en dire ?
A la note que j'y ai mise, tu te doutes que je vais botter des culs. Et tu aimes ça, parce que c'est quand même plus rigolo que les dithyrambes, fades et sans grand intérêt. En tous cas, c'est ce que je pense, vu que, si j'aime recevoir des compliments, je déteste en donner.
Bon, alors, pourquoi est-ce mauvais ?
Eh bien, c'est une bonne question, que je me remercie d'avoir posée.
C'est vrai que l'histoire pourrait être pas mal. Une femme vraisemblablement assez jolie – vu la description, j'imaginais une fille comme Carole Lombard, parce que Carole Lombard est une des rares femmes capables de me faire relativiser une hétérosexualité pourtant inébranlable –, une femme jolie, dis-je, qui se retrouve sur une table de dissection parce qu'elle s'est prise trois balles dans le vagin, vraisemblablement en pleines roulades d'amour.
Je fais une pause pour signaler qu'après coup j'ai regretté d'avoir imaginé Carole Lombard mourir pareillement, quoique le légiste – et personnage principal du livre – est formel : elle est morte presque immédiatement. Et puis, au moins, mourir en pleines roulades d'amour, c'est toujours mieux que dans un avion qui s'écrase.
N'est-ce pas,
Félix Faure ?
Bon, sinon, sur cette table de dissection, il y a aussi un jeune homme, dont on insiste de nombreuses fois sur la taille absolument démesurée de son appareil génital. Et il se pourrait que, aussi étrange que cela puisse paraître, les deux cadavres se connaissent...
(Imagine les bruits de contrebasse qui font tin-tin-tiiiiiiin.)
L'histoire est donc censée être une poursuite haletante vers le tueur, et le dénouement qui est oh-mon-dieu absolument imprévisible.
Evidemment, dans ma grande générosité, je ne vais pas te divulgâcher la fin comme ça, parce que j'ai un peu de respect pour toi vu que tu lis cette critique. Auquel cas je t'aime et t'embrasse.
Par contre, je vais faire mon possible pour te dissuader de lire cette merde, primée Quai des Orfèvres quand même, c'est à se demander quels étaient les autres candidats.
Si
Quai de la Rapée est à bannir de tes petites mains potelées, c'est qu'il est affreusement mal écrit.
D'habitude, quand je dis ça, je n'ai aucun argument. C'est surtout un sentiment. Mais là, non. Il est mal écrit, tout court.
Je ne parlerai pas des coquilles anormalement nombreuses dans le livre – cinq à six sur moins de 230 pages... –, rendant parfois le texte difficilement compréhensible, quand on y remplace « vu » par « lu », par exemple. Mais, déjà, chose insupportable, il est écrit à la première personne. Alors, bien sûr, je n'ai rien contre la première personne, elle est très gentille, là n'est pas le problème, la preuve, j'adore Cavanna. Mais là, ça se mêle à un argot désagréable parce qu'employé à mauvais escient (Exemple : « Avec cette grosse bite, ça devait ramoner la cheminée à sec », très classe, on croirait entendre l'ouvrier qui bosse en bas de chez moi), et les personnages parlant tous de la même manière, les dialogues, eux ne se distinguent presque plus de la narration.
Tiens, d'ailleurs, on en parle de ces dialogues qui font dix pages sans qu'il n'y ait un seul répit instauré par une phrase de narration (juste « Il soupira », par exemple...) ? Tant et si bien que tu ne sais plus qui parle, donc tu refais les dialogues avec des voix différentes pour ne pas t'emmêler les pinceaux. Et tu as l'air d'un con. Finalement, le meilleur moment est le rapport du légiste, puisqu'écrit dans un français correct, ne mêlant ni argot, ni dialogues longs comme le discours de Tante Odile à l'enterrement de mon oncle Michel.
J'allais aussi oublier que l'auteur bascule du présent au passé simple, comme ça, sans crier gare. Certes, c'est un effet de style très prisé dans les scènes d'action notamment, aimait à rappeler Monsieur Chabance mon prof' de lettre brassensophile, mais ici, le but n'est vraisemblablement pas de te plonger dans l'histoire, mais plutôt de te perturber, si Michel est un sadique. Ou sinon c'est que Michel est mauvais.
Tiens, j'ai comme qui dirait l'impression que c'est plutôt la deuxième option qui s'impose…
Finalement, une fois rentrée chez moi, j'ai raconté à Maman mes déboires livresques. Elle s'est marrée quand elle a su le titre de livre.
- Et comment tu as pu prendre le Prix du Quai des Orfèvres comme un gage de qualité ?
- Bah, c'est qu'alors les autres livres devaient vraiment être à chier...
- Ah, ça...
Une rapide vérification sur Wikipédia m'a confirmé que le prix du Quai des Orfèvres existe toujours. Mais, forte de cette mauvaise expérience avec
Michel Gastine – qui a tout de même récidivé depuis, hélas… –, je ne compte pas ouvrir un polar de sitôt. Et encore moins s'il est primé.
Allez, je m'arrête là, je vais aller lire la rubrique nécrologique du Ouest-France du 23 septembre 2020.