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EAN : 9782080234711
250 pages
Flammarion (09/02/2022)
3.51/5   68 notes
Résumé :
Dans les années soixante, le village des Confins promettait d'être une station de ski florissante. Vingt ans plus tard, il n'en reste qu'une station fantôme. Les installations - remontepentes qui ne mènent nulle part, gares de téléphérique inachevées - sont peuplées de spectres et traversées par les vents glacials de haute montagne.Cet hiver de l'année 1984 voit la venue de Bruno Roussin, le fils du promoteur qui jadis vit en ces lieux un Eldorado blanc. Au village,... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (24) Voir plus Ajouter une critique
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Hiver 1984, Bruno, écrivain à succès, retourne aux Confins, officiellement pour trouver l'inspiration pour son prochain livre. C'est dans ce village alpin que son père, architecte et entrepreneur visionnaire, avait rêvait vingt ans plus tôt d'y ériger une station de sports d'hiver à taille humaine, tournée vers la nature.
Un projet à contre-courant des gigantesques installations et de la bétonisation qui accompagne le Plan Neige lancé par l'Etat.

Le prologue pose remarquablement les faits et harponne le lecteur avec son goût de mystère assumé : on sait que le projet a capoté, on ne connait pas les réelles motivations du retour de Bruno, on sait que durant cet hiver il y a eu des « événements » graves que « personne ne parvenait à expliquer ».

S'en suit un aller-retour temporel entre les années 1964-66 centré sur le père et l'implantation de sa station touristique « Confins-Village », et ce fameux hiver 1984 centré sur le fils et ses agissements. La construction est habile avec un narrateur omniscient et distancié qui déroule les faits sur un ton ironique et sarcastique tout en annonçant régulièrement la survenue d'un drame, une pièce du puzzle. Cela pourra déranger certains lecteurs qui n'apprécieront pas de voir dévoiler à l'avance certains éléments de l'action. Au contraire, j'ai trouvé ça très malin car cela déplace les ressorts et enjeux de l'intrigue ailleurs : sur le pourquoi et le comment.

Le soin apporté à la mise en place d'une atmosphère enveloppante a fini de me conquérir : d'abord feutrée puis de plus en plus dense et oppressante comme dans un bon thriller. Lorsque Bruno s'installe aux Confins pour passer l'hiver 1984, le village va bientôt être coupé du monde, l'unique route le reliant au bas de la vallée, impraticable à cause de la neige, est fermé par les autorités du 1er novembre au 1er avril. C'est un véritable huis clos que propose Eliott de Gastines.

Dans le dernier quart, le rythme s'accélère. On commence à comprendre dans quelles directions l'auteur nous amène mais les rebondissements surprenants et les révélations inattendues continuent à s'enchaîner jusqu'à un final façon western. Je regrette cependant l'exagération qui caractérise les personnages à la limite du caricatural dans ce panier de crabes où la cupidité, la veulerie, le mensonge et l'ignominie se répondent allègrement dans cet enfer blanc. le roman n'aurait rien perdu en intensité avec des attitudes moins outrées et moins manichéennes, à l'image du personnage principal qui se révèle moins complexe qu'il n'apparaissait au départ une fois révélé.

Lu dans le cadre de la sélection 2023 des 68 Premières fois
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Remarquablement mis en valeur par une écriture qui séduit dès les premières pages, ce récit aux allures de faits divers est captivant.

Le lecteur fait des allers et retours entre 1964, année qui vit la naissance d'un projet immobilier innovant dans le petit village des Confins, et 1984, lorsque le drame survient.

Le projet se démarquait de la bétonisation galopante des stations de sport d'hiver construite en toute hâte pour tirer profit de la manne touristique que représentait une classe moyenne avide de vacances ski aux pieds. Pierre Roussin avait imaginé un projet esthétique, soucieux autant que faire se peut de l'environnement mais aussi rentable sur la plan financier. Et pourtant, rien ne s'était passé comme prévu, et l'histoire s'était achevée sur un drame.

Vingt ans plus tard, Bruno Roussin revient sur les lieux de son enfance, prétextant le besoin d'isolement pour écrire un roman après le succès d'un recueil de nouvelles remarqué. Les quelques villageois qui ont tenu à passer l'hiver sur place, malgré la route fermée en raison du danger permanent de chute mortelle, se méfient de ce retour qui risque d'exhumer des vieilles histoires qu'on aurait bien voulu oublier…

Ce qui paraît au départ être un roman social, prend vite des allures de thriller qui entraine le lecteur dans une spirale infernale : les révélations sont nombreuses et inattendues, sans pour autant paraître jetées sur le papier juste pour l'effet. La construction est très habile et les personnages machiavéliques à souhait.

Belle réussite que ce premier roman, qui mérite vraiment qu'on s'y attarde.

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Winter is coming ...
En s'appelant Les Confins, le village pourrait prendre cette affirmation comme devise et ceci pour une double raison .
Expliquons nous un peu .
Deux années 1964 et 1984 qui se succèdent alternativement dans ce thriller .

1964, c'est l'année du père, Pierre Roussin, un architecte lyonnais qui arrive aux Confins la mallette pleine de projets pour la réalisation d'une station de ski , différente de celles qui , en cette année décrétée "plan neige" par l'état français réalisant le retard que la France avait pris par rapport aux pays voisins comme la Suisse commencent à émerger à force de béton.
Si le projet de Pierre Roussin est d'abord accueilli fraichement par les habitants dont son maire, la promesse de belles retombées , en particulier financières fait pencher la balance du coté du progrès et du rêve d'une station qualitative et rentable.

1984, c'est l'année du fils, Bruno Roussin dont le livre de nouvelles lui a valu une certaine estime et qui décide de venir dans le chalet familial des Confins pour écrire son premier roman . Il arrive le jour où la route qui mène au village est fermée jusqu'à la fin de l'hiver et où quelques irréductibles villageois restent sur place défiant l'isolement hivernal.

J'ai beaucoup aimé cette première partie du roman qui représente à peu près la moitié de l'histoire, c'est bien écrit et j'ai bien visualisé le décor de cette station de ski devenue fantôme avec ses pylones comme des mats de bateau dans la tempête .

Les choses se gâtent ensuite . En premier lieu pour Pierre Roussin, un homme idéaliste et honnête ( ou naïf, parfois cela va ensemble ) , cible des profiteurs , rapaces de tout temps , effaçant d'un trait ceux qui les gênent .
Pour Bruno, c'est tout autre chose ...

Pour moi, cela a été une désillusion . Eliott de Gastines nous annonce à l'avance qu'il va se passer quelque chose , qu'untel va mourir, qu'il va y avoir un incendie etc... Cela m'a embêté, limitant l'effet de surprise et surtout les événements prennent une proportion exagérée , outrée , à la limite du crédible .

J'ai trouvé cela fort dommage d'autant plus que j'étais bien rentrée dans l'histoire .

Lu en Octobre 2022
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La vengeance est un plat qui se mange froid

Si personne n'a vraiment pu reconstituer le drame qui a emporté les habitants des Confins en 1984, Eliott de Gastines en explore la genèse en racontant le projet d'un architecte lyonnais en 1964. Un premier roman qui se lit comme un polar.

Dès le prologue, le lecteur est averti du mystère auquel il va être confronté: «Les événements qui se déroulèrent durant l'hiver 1984 dans le petit village des Confins, isolé à 1644 mètres d'altitude, n'eurent que peu d'échos dans la presse régionale et nationale, et ce pour la bonne raison que personne ne parvenait à les expliquer.» Il faut dire que durant l'hiver, Les Confins étaient isolés du monde, la seule route qui menait au village étant fermée à la circulation. Et quand les gendarmes ont enfin pu y accéder, ils ont découvert des maisons calcinées et des cadavres à la pelle.
Un mystère qui trouve son origine vingt ans plus tôt, lorsque le gouvernement lance le plan neige pour développer de nouvelles stations de ski et que Pierre Roussin, architecte et ingénieur de formation, a l'idée de faire des Confins une «structures à taille humaine et tournée vers la nature», loin des cages à lapin et du bétonnage en oeuvre un peu partout dans les Alpes. Mais pour mener à bien ce projet visionnaire, il lui faut l'aval des villageois et des autorités. Ce qui n'est pas gagné. Car si les habitants voient avec un bon oeil ces perspectives de développement, le maire est lui hostile à cette nouvelle station qui viendrait concurrencer celle que son frère a lancé avec succès à quelques kilomètres de là. Et puis Pierre Roussin lui a volé le chalet qu'il convoitait, idéalement placé dans le village. Alors, sur les conseils de son frère, il conçoit un plan diabolique, laisser l'architecte mener à bien la première phase de travaux, lancer les investissements plus lourds de la seconde phase et alors lui rendre la vie impossible en multipliant les obstacles, notamment administratifs. Un plan qui va fonctionner, même si dans les premiers temps, il va bien devoir avouer qu'il ne s'attendait pas à ce que l'initiative de Pierre Roussin rencontre un tel succès. On se presse pour découvrir cette station différente.
On va dès lors suivre en parallèle l'évolution du projet en 1964 et les années suivantes et les quelques semaines funestes de 1984, au moment où les derniers voyages sont autorisés. On y voit Bruno Roussin, le fils du promoteur, et sa compagne prendre le dernier bus pour passer l'hiver dans le chalet familial. Son projet est alors de s'isoler pour écrire le roman commandé par son éditeur après la publication de nouvelles qui ont connu un joli succès. Il se propose de revenir sur l'histoire de son père. Mais a-t-il conscience de la crainte qu'il suscite auprès de la poignée d'habitants qui restent ici à demeure et qui ont tous ou presque quelque chose à se reprocher.
Entre révélations et cupidité, vengeance et homicide, le roman va alors prendre un tour très noir. Empruntant aux codes du polar, Eliott de Gastines réussit un formidable premier roman qui, dans son intensité dramatique, n'a rien à envier au Shining de Stanley Kubrick. L'ambiance y est tout aussi glaçante, la folie de moins en moins cachée. Prêts à tout, ces montagnards sont bien à mille lieues des images de carte postale que les promoteurs entendent promouvoir. Mais peut-être sont-ils tout aussi affolés que ces animaux contraints à fuir ou à disparaître avec l'arrivée des télésièges sur leur domaine?



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❝La construction de routes et de remontées mécaniques supplémentaires est-elle vraiment nécessaire en montagne, quand on sait qu'elles sont la cause principale des dommages environnementaux en dehors des zones urbanisées ? Il ne s'agit pas seulement de la survie de nombreuses espèces animales et végétales, mais aussi de la sauvegarde de valeurs comme la grandeur, le silence, l'harmonie et le danger, sans lesquelles la montagne perdra à nos yeux tout intérêt.❞
Reinhold Messner, Urgence ! Il faut sauver les montagnes

❝Le jeune homme se prénommait Bruno, et nous pourrions le présenter comme le héros de cette histoire. Simplement, ce serait assez malhonnête. Car des qualités qu'on prête habituellement à un héros, Bruno n'en possédait pour ainsi dire aucune. Des événements à venir alors de cet hiver 1984, il allait être plus prosaïquement le responsable. Ou après tout, la victime… Mais il est sûrement trop tôt pour en juger, et chacun pourra se faire une idée au terme de ce récit. Car pour la première fois, chacun saura ce qui s'est vraiment déroulé là-haut. Aux Confins.❞

Les Confins, premier roman d'Eliott de Gastines, joue sur deux époques distantes de vingt ans et sur une façon remarquable de conduire l'intrigue pour un roman qui choisit de ne pas choisir entre thriller, roman noir ou polar, qui multiplie les allers-retours entre 1964 et 1984 laissant les souvenirs comme les informations suinter de telle sorte que le drame du prologue s'élucide peu à peu. En effet, le narrateur omniscient affichant d'emblée sa connivence avec le lecteur ne fait aucun mystère : durant l'hiver 1984, Les Confins, village d'altitude isolé du reste du monde du 1er novembre au 1er avril, a été le théâtre d'évènements dramatiques. Des corps ont été retrouvés au milieu du village calciné, souillant la blancheur neigeuse.

Remontons au mitan des années 1960. Georges-Pompidou est Premier ministre et l'État français décide de lancer un Plan neige pour tous ses massifs. Il s'agit d'attirer les skieurs, tant français qu'étrangers, en leur proposant des stations, sortes de banlieues d'altitude moches et sans âme, dotées d'hébergements en nombre et d'infrastructures aussi fonctionnelles que coûteuses. L'or blanc ainsi mis à la portée de tous, il ne fait aucun doute que les devises étrangères afflueront, que les populations autochtones préfèreront rester plutôt que de quitter les montagnes pour s'en aller trouver du travail dans les vallées.

❝Le massacre était non seulement environnemental, esthétique, mais il était aussi social. Avec quel mépris avait-on traité tous ces paysans, c'était impensable. Il fallait encourager les fermiers à devenir cuisiniers, les ouvriers agricoles à devenir perchmans, les jeunes débrouillards à devenir skimans. Les désoeuvrés ou ceux dont le corps était cassé par les travaux de la ferme, ceux-là seraient très bien derrière les guichets.❞

À cette période-là, de tous leurs mètres cubes de béton frais, les stations de la Plagne, Avoriaz, Tignes, Isola 2000, La Mongie s'arriment aux versants des montagnes qui se transforment pour le pire sous les assauts des bulldozers, au mépris de l'environnement que l'on dégrade et des habitants que l'on exproprie sans ménagement, mais à qui on lance quelques subsides.
La frénésie de profiteurs sans scrupules défigure le paysage montagnard.

❝Les remonte-pentes pour débutants se reproduisaient comme des lapins. Plus haut, les télésièges venus des États-Unis quadrillaient le domaine skiable et nourrissaient les fantasmes des promoteurs par leur capacité à promener du couillon en nombre. Clou du spectacle, la gare de téléphérique venait d'être achevée. Plus haut encore, les self-services attendaient de dévorer les portefeuilles de futurs skieurs pressés d'en 'profiter davantage'.❞

Dès le prologue, on sait que le beau projet que nourrissait en 1964 Pierre Roussin, architecte lyonnais — un étranger donc pour ceux du cru — a fait long feu après que les retards administratifs aussi nombreux que les accidents de chantier ont mis un terme définitif aux trop rares bien que prometteuses avancées.

❝En 1964 donc, Pierre Roussin s'installa aux Confins avec d'ambitieux projets. Il allait devenir le fondateur de la SHVC – la Société de la Haute Vallée des Confins -, destinée à réaliser les aménagements nécessaires à l'érection d'une station de tourisme élégante, dans le respect de son environnement premier. […] Les défis étaient nombreux, le projet a priori surréaliste. Mais sa vision et son énergie en viendraient à bout, croyait-il. Ce serait l'oeuvre de sa vie.
Il ne pouvait s'imaginer tout perdre en ces lieux.❞

Vingt ans plus tard, son fils Bruno revient passer l'hiver aux Confins, dans le chalet de la Balme où il a vécu enfant et que son père avait arraché alors au nez et à la barbe d'Émile Empereur dont la rancoeur est encore vive. Avec Corinne sa compagne, Bruno a profité du dernier bus avant la fermeture de la d'132, unique route à desservir le village qui va vivre replié sur lui-même jusqu'au premier jour d'avril. En effet, rares sont les habitants à faire le choix de rester dans cet endroit coupé du monde pendant les mois les plus rudes. Cet isolement est précisément ce que Bruno, plagiaire d'un premier livre qui a connu le succès, cherche pour écrire le second roman que lui réclame son éditeur. Mais il se pourrait bien que la version officielle cache d'autres desseins.

❝L'écrivain avait plus d'un projet pour l'hiver. Sa venue aux Confins ne concernait pas seulement l'écriture d'un roman. Les événements allaient pourtant dépasser la vengeance qu'il se croyait capable d'assouvir. Ou, disons-le autrement, le cours des choses était en passe de rejoindre un dessein qu'il n'avait pu s'avouer consciemment. À la sauvagerie des lieux s'ajouterait bientôt celle des hommes ici réunis…❞

Au village au-dessus duquel ❝la brume est tristement suspendue❞ quand ❝le jour vieillit❞, tous scrutent les nouveaux arrivants avec circonspection et une pointe d'angoisse que l'alcool qui vient à manquer — cette année, le camion assurant le dernier ravitaillement pour l'hiver n'est bizarrement pas monté au village — ne peut hélas anesthésier. Il faut dire qu'eux savent pourquoi l'élégante station à taille humaine, respectueuse de l'environnement que Pierre Roussin voulait inscrire dans le paysage, n'a jamais vu le jour.

❝Nom de Dieu, ils étaient tous dans le coup.❞

Les Confins était et est encore un repaire de belles ordures. Avec à leur tête Émile Empereur et ses alliés, tous plus cupides et manipulateurs les uns que les autres, prodigues en mauvais coups et coups bas.

La narration à deux temporalités, les faits distillés à l'avance et de manière tout à fait attrayante pour un thriller, les spectres d'antan qui reviennent hanter les vivants, le ton distancié et sarcastique du narrateur qui prend le lecteur à partie, les images nettes qui se forment dans notre esprit grâce au sens de la formule de l'auteur, sont autant d'éléments qui créent un effet de réel et installent l'atmosphère pesante du huis-clos et nous ferrent pour ne plus nous lâcher. Les Confins est un habile roman noir qui déplace les attentes du lecteur qui sait ce qu'il s'est passé, mais en ignore les tenants. À mesure que les esprits s'échauffent, le rythme s'emballe et les pages se tournent presque toutes seules, tant on est avides de découvrir où mènent les révélations et rebondissements en cascade. Certes, on pourra faire le reproche que la fin est quelque peu excessive — ça pétarade à tout va, ça part en tous sens — et que les personnages, les hommes comme les femmes, n'échappent pas toujours à un manichéisme monolithique et facile. Mais cela n'entame en rien le plaisir évident que l'on prend à lire cette histoire de froide vengeance racontée sur un ton divinement jubilatoire où grince l'ironie.

L'autre intérêt du roman est de mettre en perspective les projets d'alors, ce qu'ils sont aujourd'hui devenus, ce qu'ils deviendront demain au moment où le modèle économique du tourisme hivernal, s'il veut rester viable, est condamné à se réinventer. Une invitation à prolonger la réflexion.

La carte en début d'ouvrage est bienvenue pour se repérer dans la vallée du Miroir et les villages s'étageant entre Bourg-Le-Beauregard et Les Grands Mignes.

Premier roman, lu pour la sélection 2023 des #68premieresfois

Lien : https://www.calliope-petrich..
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critiques presse (1)
SudOuestPresse
21 mars 2022
Eliott de Gastines raconte avec quelle cruauté le développement d’une station de ski en Haute-Savoie a griffé la vie tranquille d’un village d’altitude.
Lire la critique sur le site : SudOuestPresse
Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
Un temps Bruno avait tourné le dos à tout ça. Il avait survécu en tant que barman et s’était mis à écrire car ça coûtait moins cher et prenait moins de place.
C’est presque par hasard qu’il trouva aussitôt un éditeur pour cet étrange recueil de nouvelles dont Bruno lui-même ne pensait pas grand-chose. Et une fois l’à-valoir signé, il fallut le réécrire, le découper, le torturer, ce texte auquel le peintre se sentait déjà parfaitement étranger. Et une fois publié – mystères insondables du succès populaire –, le livre s’était vendu au-delà de tout ce qu’aurait pu espérer l’éditeur. C’était tout bonnement improbable. Alors Bruno dut parler de ce livre. Il se rendit dans les studios de radio et rencontra des critiques dans des cafés. Il fut envoyé dans une émission de télé dont il sortit à peu près indemne. Bruno n’avait pas lu grand-chose et les questions sur ses influences le mettaient dans l’embarras. Sa tournée des médias s’acheva aussi vite qu’elle avait commencé, une fois sa réputation faite dans ces milieux, celle d’un autiste indécrottable.
Bruno apprit ensuite qu’il avait remporté le Goncourt de la nouvelle. Il avait maintenant constamment mal au ventre. Les ventes reprirent de plus belle et la Gaumont lui acheta les droits d’adaptation non pas d’un, mais de trois segments du recueil. Il avait finalement gagné pas mal d’argent… Mais c’était sans compter sur la marche incompréhensible du succès. De la même manière que les banques ne prêtent qu’aux riches, on se battait dans tout Paris pour obtenir l’exclusivité de son prochain livre. Les nouvelles, c’était bien. Mais le public voulait un roman. Il ne put refuser la somme que lui proposa son éditeur.
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Prologue
Les événements qui se déroulèrent durant l’hiver 1984 dans le petit village des Confins, isolé à 1 644 mètres d’altitude, n’eurent que peu d’échos dans la presse régionale et nationale, et ce pour la bonne raison que personne ne parvenait à les expliquer. Aujourd’hui encore, Les Confins sont visités par quelques gendarmes obsessionnels. Des hommes solitaires, coupés de leurs proches et mus sans partage par cette fixette : comprendre ce qui s’est passé là-haut. La plupart des gens normaux qui s’approchent de ces lieux reculés, randonneurs, skieurs hors-piste ou alpinistes, eux, prennent soin d’éviter le village fantôme. Tous le fuient, craignant d’y disparaître comme son entière population lors de cet hiver de l’année 1984.
Les informations rendues publiques se résumaient à quelques faits bruts. Le nombre de morts. L’incendie de l’Hôtel des Voyageurs et de la quasi-totalité des chalets du village. La destruction de l’antenne-relais qui avait rendu impossible toute communication avec la vallée durant ce sinistre hiver. Dans les journaux locaux, de simples coupures ou de minces entrefilets énuméraient parfois ces faits, sans pour autant les relier entre eux pour en faire une histoire qui tienne debout.
Or les gendarmes qui les premiers se rendirent sur les lieux n’étaient pas plus avancés. Comment expliquer ces cadavres gelés qui jonchaient le sol des chalets en ruine comme celui des ruelles du village ? Comment expliquer ces habitations désertées à la hâte, quand d’autres semblaient avoir été sur-occupées tels des camps de prisonniers. D’où était parti le feu qui avait ravagé l’ensemble du village comme une vulgaire botte de paille ? Même les plus expérimentés ne furent jamais capables d’écrire un rapport convaincant au regard des éléments dont ils disposaient. Rien ne ressortait concrètement d’une enquête diligentée de manière pitoyable. Au moins les autorités avaient-elles pris soin de rendre invisible l’insoutenable avant l’arrivée de civils ou de journalistes sur les lieux. Et durant de très longues années, les gendarmes se gardèrent bien de déclarer ce qu’ils avaient vu en débarquant là-haut. Ils doutaient même d’être crus.
Ce que tout le monde savait, c’est qu’à l’hiver 1984, le village des Confins avait déjà l’habitude de passer les grands froids coupé du reste du monde. Le nombre d’habitants, de quelques centaines durant l’année, tombait alors à une petite vingtaine. L’unique route les reliant au bas de la vallée devenant impraticable en cette saison, la majorité de la population descendait vers des cieux plus cléments pour éviter cette réclusion. Les causes de cet isolement étaient en partie liées aux importantes chutes de neige qui parfois bloquaient la route du col. À cela s’ajoutait le tracé périlleux de la départementale 132. Cette combinaison de dangers avait forcé les autorités locales à en fermer l’accès.
Avant cela les accidents mortels se comptaient par dizaines chaque hiver. Ces malheureux conducteurs méritaient bien une sépulture, et les familles ne manquaient pas de réclamer les corps, aussi abîmés soient-ils. Si bien que les communes jalonnant la route dépensaient des fortunes pour récupérer les dépouilles, fracassées entre la tôle des carrosseries et les rochers tranchants qui habitaient le ravin sombre, boisé et très difficile d’accès. De sordides débats avaient lieu pour déterminer dans quelle commune les cascadeurs improvisés avaient terminé leur numéro, et à quelle caisse incomberaient les frais pour récupérer les maladroits. Les cadavres gelés trouvaient une seconde vie sous la forme de patates chaudes que l’on ne cessait de se renvoyer pour préserver les bourses.
Désincarcérer les corps n’était pas une mince affaire. En résultait un boulot monstre pour les pompiers et les gendarmes. On envoyait souvent les jeunes recrues remplir ces missions et, arrivés sur les lieux du drame, leurs vomissements allaient rejoindre le torrent en crue. Des heures entières, les plus endurcis analysaient d’inédites anatomies, produits de la réunion brutale des chromes et de la chair. Les radiateurs et les cylindres s’invitaient au tableau des organes vitaux. Le voile des pare-brise fracassés s’imprimait sur les crânes de mariées morts-vivantes. Les balais d’essuie-glaces formaient de nouveaux attributs en transperçant les omoplates, et s’ouvraient dans le dos des victimes comme des ailes. L’accès aux dépouilles était en soi un défi logistique. Les blessés n’étaient pas rares, et dans les villages alentour on s’indignait de telles expéditions. Bien des fois on avait frôlé la catastrophe. Et une fois que les corps – ou ce qu’il en restait – étaient enfin dégagés, une opération encore plus complexe et coûteuse suivait : extraire les épaves du paysage. On risquait la vie d’hommes bien vivants pour rapatrier des morts et des carcasses d’automobiles.
La raison de la nécessité de telles expéditions était simple : c’était le statut conféré à la vallée du Miroir. Classée parc naturel national depuis peu, elle imposait ce nettoyage aux localités environnantes, sous peine de voir leurs subventions remises en question au premier survol en hélicoptère d’élus zélés. Aussi le nombre d’accidents – qui pouvait atteindre la vingtaine certains hivers – menaçait de transformer la vallée en un décor postapocalyptique, un parcours terrifiant pour les nombreux randonneurs qui remontaient jusqu’aux Confins du printemps à l’automne. Les prospectus touristiques parlaient de promenades paradisiaques et non de cimetière à ciel ouvert. Il fallait bien ramasser tout ça, quoi qu’il en coûte.
Du fond de la vallée montaient alors des grues gigantesques. Les manœuvres se poursuivaient souvent tard dans la nuit et nécessitaient l’acheminement de projecteurs surpuissants. La montagne se métamorphosait en plateau de film catastrophe. Les yeux des ouvriers brillaient d’une terreur d’enfant devant la monstruosité des massifs. Les faisceaux de lumière tranchaient net dans la nuit noire pour supposer, par-delà le visible, le développement d’infinis reliefs menaçant de s’écrouler pour engloutir le monde. Le vent faisait plier le métal des grues et produisait des rugissements de bêtes sauvages. Les épaves étaient extirpées de leur sanctuaire au prix d’une logistique indécente. Certains chauffards avaient enfin le chic de mourir sans famille, sans personne pour assumer les frais de leurs enterrements. Ceux-là, c’était les pires.
Dans les années soixante-dix on se réunit entre conseils municipaux. On observa la courbe des accidents. On fit les comptes. Et il apparut bien sage de fermer périodiquement l’accès de la route des Confins. Malgré quelques faibles résistances de la part des maires des quelques communes bannies, les chiffres firent office de juge de paix. La région arbitra et ce fut fait. La D132 serait désormais fermée du 1er novembre au 1er avril.

Il faut maintenant rappeler que le village des Confins n’a pas toujours été ce coin reclus décrit plus haut. Car auparavant, dans les années soixante, on avait rêvé d’y ériger une station de sports d’hiver, sous l’impulsion d’un entrepreneur astucieux qui avait deviné en ces lieux un attrait touristique indiscutable. À l’aube du tourisme de masse, Pierre Roussin, architecte et ingénieur de formation, avait plusieurs décennies d’avance sur les comportements du marché et rêvait déjà de structures à taille humaine et tournées vers la nature.
Pierre a une petite quarantaine d’années à l’époque où le gouvernement français lance le « plan neige », un grand programme d’aménagement du territoire alpin pour en tirer le maximum de profit. Un profit roi au mépris de bien des gens, des terres ou des bêtes. Et partout le béton coule sur les deux Savoie. On remodèle les massifs à la dynamite pour y loger de grands ensembles. Les investissements sont colossaux, l’empressement avide, les premiers résultats aussi terrifiants que prometteurs. Pierre Roussin pense à contre-courant. Et en cela il voit plus petit mais plus loin. Il voit plus beau aussi.
Notre homme était architecte de formation, et disons-le, doué d’une âme d’artiste plus ou moins inexprimée. En vérité, il ne s’était jamais imaginé devenir promoteur touristique. D’ailleurs, les raisons qui le poussèrent en ce sens, et plus précisément sur le site des Confins, furent tout à fait fortuites… Il sera temps d’en reparler plus tard.
Au fil de sa carrière, Pierre Roussin ne s’était pas particulièrement distingué par son audace, qu’elle soit artistique ou financière. Il avait surtout réalisé d’inoffensives commandes publiques, des petites écoles, des ensembles administratifs, quelques unités de logements sans caractère. Mais avec ce projet aux Confins, sa vie comme sa carrière prenaient un tour inattendu. Il imaginait pouvoir attirer une clientèle friande de prestations haut de gamme, à la recherche de la douceur d’un environnement préservé, sans oublier tout le confort moderne. Le grand boom du tourisme de masse l’avait inspiré et l’avait convaincu qu’il se trouvait au bon endroit et au bon moment. Aussi son intuition avait établi avec plusieurs années d’avance l’un des mantras de la demande touristique moderne : les grands espaces sauvages, mais sans risque. Après une brève étude de ce secteur florissant et des standards qu’il entreprenait d’imposer, Pierre ambitionnait de créer une alternative, si ce n’est un concurrent sérieux, à la Suisse et ses stations dotées d’hôtels de luxe et de sanatoriums. Autant de lieux remarquables où les infrastructures s’intégraient brillamment au sein d’une nature protégée.
Pierre ne croyait pas aux grands projets qui voyaient le jour en France, de La Plagne aux Arcs, en passant par le stupéfiant site de SuperDévoluy. Autant d’inepties qui reprenaient à leur compte la rationalisation des espaces et le fonctionnalisme en vogue. Pierre Roussin en était convaincu : l’élévation des structures, l’optimisation extrême des espaces de vie commune, la réalisation de dalles commerçantes en paliers successif
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Hiver 1984
Aux Confins, on se préparait à l’arrivée de l’hiver 1984 selon le rituel établi depuis qu’on avait décidé de fermer la route du col. La grande majorité de la population – ou ce qu’il en restait – se livrait aux préparatifs pour quitter le village. On fermait les maisons, on coupait les compteurs et on purgeait les réseaux d’eau pour éviter de voir les canalisations exploser sous l’effet du gel. On se félicitait de ne pas être assez fou pour rester. Certains habitants des Confins avaient bien essayé, une année, ou deux consécutives, de rester à demeure et de passer l’hiver près des sommets. Or il était évident que l’appel de la civilisation était plus fort.
Inspirées par une mode alors grandissante, il y eut bien sûr quelques expériences de communautés New Age. Et l’hiver venu, l’isolement menait les apprentis ermites, pour certains à la dépression, pour d’autres à l’angoisse du vide, et pour la majorité d’entre eux à l’alcoolisme – quand ce ne furent pas des conflits internes qui menacèrent l’équilibre des groupes… L’idéal hippie faisait long feu aux Confins. Une des premières troupes à tenter le coup était unie par un modèle fondé sur l’autarcie. Ils s’installèrent au printemps et se mirent au travail. À la mi-décembre à peine, ils se retrouvèrent sans ressource, faute de savoir-faire et de préparations. Les malheureux durent dépenser le peu d’argent qu’il leur restait chez l’épicier du village. Le commerçant, un certain M. Creneguy, une fois la route fermée, pratiquait comme il se doit des tarifs excessifs. Cette nouvelle clientèle les fit littéralement exploser. Les dernières semaines avant le printemps, chez Creneguy les conserves se négocièrent à prix d’or. La communauté atteignit par miracle le mois d’avril, la peau sur les os, et criblée de dettes qu’ils mirent ensuite un temps fou à rembourser. (Vers la fin, l’épicier prévoyait même des documents de reconnaissances préremplis. Quelques pointillés accueillaient d’insolentes sommes et en bas de page, la signature des redevables.)
Plus récemment une bande d’originaux vaguement anarchistes avait loué une des plus grandes maisons du village. Le programme était simple : amour et renoncement à la propriété privée. Ils découvrirent assez vite qu’entre le partage imposé des biens et celui des personnes, il n’y avait qu’un pas que seuls les plus téméraires s’autorisaient à franchir. Au terme d’un premier hiver nourri de tensions – on entendit de nombreuses querelles, voire des bagarres, éclater dans le grand chalet –, chacun repartit avec la femme de l’autre, brouillés à vie entre eux et avec tous leurs idéaux. Aux Confins personne ne montait plus pour rigoler.
Quant aux villageois, quand enfin le soleil réapparaissait, ils s’étaient dit, dans les fermes comme les chalets de maître, bien des choses qu’ils regrettaient. Les cris et les coups avaient meublé l’ennui. Le printemps éclairait des blessures parfois intérieures, parfois bien réelles. Une fois libérés, on se prenait dans les bras pour se consoler d’avoir traversé une telle épreuve. On prenait sa voiture – si elle démarrait – et on fonçait dans la vallée dévorer les quotidiens et parler au premier venu. Au printemps, il n’était pas rare de voir descendre des Confins ces hommes et femmes au regard avide d’humanité, engageant la conversation avec quiconque croisait leur chemin.
En 1984 donc, il restait là-haut une grosse vingtaine d’irréductibles. Et il fallait bien qu’ils tiennent tout l’hiver. Aussi, le dernier jour avant la fermeture de la route du col, une petite fièvre logistique agitait le parking et les entrepôts de la sortie de Bourg-le-Beauregard. On voyait redescendre les camions de fuel, qui croisaient ceux remplis de conserves. Le transporteur des produits pharmaceutiques attendait les colis d’antibiotiques et les bandes Velpeau avant de prendre son départ. Les stères s’empilaient dangereusement sous le regard soucieux du négociant en bois, inquiet d’avoir à affréter deux véhicules au lieu d’un pour acheminer tout ce bois de chauffage. Les clients des Confins ne représentaient pas de volumes intéressants, mais on ne pouvait tout de même pas les laisser crever.
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Le massacre était non seulement environnemental, esthétique, mais il était aussi social. Avec quel mépris avait-on traité tous ces paysans, c’était impensable.
Il fallait encourager les fermiers à devenir cuisiniers, les ouvriers agricoles à devenir perchmans, les jeunes débrouillards à devenir skimans. Les désœuvrés ou ceux dont le corps était cassé par les travaux de la ferme, ceux-là seraient très bien derrière les guichets.
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Les remonte-pentes pour débutants se reproduisaient comme des lapins. Plus haut, les télésièges venus des Etats-Unis quadrillaient le domaine skiable et nourrissaient les fantasmes des promoteurs par leur capacité à promener du couillon en nombre. Clou du spectacle, la gare de téléphérique venait d'être achevée. Plus haut encore, les self-services attendaient de dévorer les portefeuilles de futurs skieurs pressés d'en 'profiter davantage'.
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