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4,1

sur 3692 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Je poursuis tranquillou l'oeuvre de Gaudé...Au menu , ce coup-ci , La Mort du Roi Tsongor .
Homérien en diable dans sa trame , ce récit épique épique et colégram me conforte dans l'idée que ce Gaudé s'affirme réellement comme étant un magistral conteur !

Le vieux Tsongor , roi incontesté et incontestable de Massaba , s'apprete à marier sa fille Samilia . Sonnez hautbois , résonnez musettes ! le récit s'annonce festif et jovial , n'était ce leger contre-temps en la personne de Sango Karim qui , fort d'une promesse lointaine échangée avec la belle , s'en revient alors , en ce jour de bombance et de ripaille , quémander sa main ! Léger hic , le prince Kouamé , nouveau prétendant attitré , ne l'entend absolument pas de cette oreille – ni de l'autre d'ailleurs . de là à dire que Kouamé n'est pas préteur , il n'y a qu'un pas...Oula , oula , m'est avis que le festin annoncé pourrait tres vite se transformer en rivalité larvée . Il y a désormais quelque chose de pourri au royaume de Massaba ! Aussi avisé que les rois Arthur et Dagobert ;) réunis , le sagace souverain décide alors de se donner la mort pensant alors annihiler toute vélléité guerriere ! Ouiinn ! Fatale erreur votre Majesté puisque les deux promis , habités par un orgueil et un égo aussi démesurés , décident finalement de conquérir Miss Maisjvousaimetouslesdeux à coups de combats et de massacres récidivants !
Tsongor , à la veille de pousser son dernier soupir , fait mander son plus jeune fils , Souba , afin de lui exprimer ses dernieres volontés ! de tes oripeaux princiers tu te dévetiras , sept tombeaux inégalables tu construiras , chacun portant l'empreinte de ce que fut ton pere pour toi...Le sauvant ainsi lucidement d'une mort certaine...
C'est ainsi qu'incognito , Souba missionné par son défunt pere , quitta le royaume de Massaba appelé à ne devenir que ruine et désolation . Vint donc le temps de la solitude opposé à celui du chaos . I'm pooor lonesome fils de roi qui doit le dire à persoooonne...

Gaudé oppose une quete mystique au bruit et à la fureur !
Deux récits concomitants de force et d'impact bien distincts . Car si l'on suit le jeune Souma avec grand plaisir dans sa recherche de vérité et de spiritualité , les combats incessants venant se fracasser telles les vagues sur la greve peuvent constituer un leger bémol , voire un petit fa diese à la longue ! La plume est toujours aussi évocatrice et immersive seulement , les affrontements se succédant inlassablement pour , au final , laisser les deux bélligérants sur leurs positions , peuvent susciter à la longue un brin de lassitude lassante . Absolument rien de rédhibitoire tant l'intensité des batailles transpire à chaque page ! Véritable cours magistral de stratégie guérriere , Gaudé inscrit son récit sur la longueur en prenant le parti de compter par le menu ce suicide collectif sur plusieurs années . Un roman dévastateur n'épargnant rien ni personne si ce n'est l'humain borné incapable de transiger avec son moi profond , n'hésitant pas à sacrifier toutes ces vies au profit d'un idéal personnel qui n'a d'autre limite que son triste égo démesuré...
Pour toutes ces raisons et bien plus encore , je déclare Gaudé comme étant mon chouchou - sans oublier les 3 suisses , bien sur – 2012 !

Le Roi est mort , vive le Roi !
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Une tragédie, une vraie. Qui déchire, fait souffrir, violente et tue. Met en scène le désir, l'orgueil, la haine. L'Amour aussi. Ca vous transporte, véritablement !

Deux caractères m'ont frappée et me parlent encore :
-la fidélité « paradoxale » du guerrier vaincu devenu serviteur, Katabolonga, qui pleurera la mort du roi comme un loup hurle dans la nuit;
-la clairvoyance d'un père qui sauve son plus jeune fils Souba, en l'envoyant arpenter les confins du royaume et construire des mausolées à sa mémoire, longtemps, très longtemps, voyage initiatique, voyage de sagesse loin des déchirements de haine.

Et quelle écriture ! Fluide et poétique parfois, percutante et violente quand il le faut.

Le lire, le relire.
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Laurent Gaudé est un grand écrivain et puis c‘est tout, « La mort du Roi Tsongor » en est une preuve évidente. le speech s'il vous plait Ardisson, pas besoin il est bien connu maintenant Carré. Alors pas la peine d'en rajouter Thierry (comme disait Maxwell qualité filtre). Pas d'excuse, pas d'hésitation lisez-le. Après cela vous enchainerez avec « Cris » et « Le soleil des Scorta », et si les symptômes persistent et que Gaudé vous laisse de marbre , et bien là on peut plus rien pour vous, reprenez vos Harlequins et puis c'est tout.

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Dans une langue poétique et fidèle aux codes narratifs des grandes tragédies antiques, Laurent Gaudé nous livre un récit puissant où mythes religieux, exploits et destinées sont les clés de voûte de l'intrigue.

La confrontation entre deux prétendants pour le coeur d'une princesse déclenchera la violence, les guerres et des sacrifices.
Les descriptions de batailles sont extrêmement réalistes avec de nombreux détails sur les tactiques des assauts sanglants. L'horreur de la guerre et ses brasiers d'horreurs sont magistralement exploités, donnant un roman fougueux, tragique et enragé.

L'auteur poursuit son exploration des questions qui l'obsèdent tels la peur, l'orgueil, le poids du malheur et le goût amer de la victoire, dans un registre où il excelle, nous prouvant qu'il n'a rien perdu de ses talents de conteur.

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Plus je lis Laurent Gaudé, plus mon enthousiasme grandit !
C'est un conteur fascinant qui sait captiver et enchanter son lecteur grâce à une plume enivrante et poétique.
La mort du roi Tsongor n'échappe pas à la magie.
Dans ce récit initiatique narré telle une épopée, la quête mystique alterne avec une fureur guerrière des plus sauvage.
Deux hommes ne s'affrontent jamais avec autant de hargne que quand il s'agit de conquérir le coeur d'une dame.
Ici, orgueil et bravoure mènent le conflit empêchant toute raison et se terminant dans l'anéantissement le plus total.
Tout cela face au cadavre toturé du roi qui assiste post-mortem à la destruction de son royaume et au massacre de sa descendance.
Une fresque grandiose aux personnages hallucinants.
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Massaba....

Tu étais palais majestueux, tu étais cité prospère, bâtie de pierres et d'or...
Tu étais mère des mères, l'âme des rois des terres d'Afrique, matriarche et perle d'un royaume dont les villes et villages s'étendaient jusqu'aux confins du monde, là où nul n'avait encore jamais battu poussière, là où seuls l'océan et les ténèbres subsistaient...
De mémoire d'homme, le monde n'avait jamais été aussi grand depuis toi.

Tu étais la fierté de ton roi, Tsongor, qui pris les armes et mena campagne vingt ans durant, pour faire enfin de toi le coeur battant d'un royaume de paix, unifié, heureux et fidèle à son souverain...

Partout, aux quatre coins de cette contrée sans limites, des terre de sel jusqu'aux collines du Nord, des hautes murailles blanches et jardins suspendus de Saramine jusqu'à la forêt des baobabs hurleurs, de l'archipel des manguiers jusqu'aux plateaux rocailleux des terres du Centre, des dunes du vent et du fleuve Tanak jusqu'au royaume des rampants, partout, femmes, hommes et enfants honoraient ton fidèle bâtisseur comme le plus bon et le plus grand des rois que ta terre ancestrale n'ait jamais connu.

A la mort du roi Tsongor, pourtant, le jour où ce dernier devait marier Samilia, son unique fille, tes murs se mirent à trembler.

Rivalité, traîtrise, colère, violence et désolation devinrent les mamelles nourricières de ta chair auxquelles l'amour et les liens du sang n'auront pu survivre.

Les armes se levèrent, les clans se formèrent, déchirant cette descendance que Tsongor rêvait tant de voir s'unir le jour de son passage vers le royaume des morts.

Massaba, tu devins ville de sang, de cendres et de poussière, dévastée et meurtrie sous le fer des lances, les charges des chevaux et les feux qui te consumèrent jusqu'aux marches du tombeau de ton roi.

Le passage de Tsongor vers l'au-delà aura un prix, celui d'une simple piécette à payer lors du grand voyage. Mais ce prix sera élevé.

Tsongor le glorieux, le bâtisseur et l'explorateur, Tsongor le père et le sage mais aussi Tsongor le guerrier et le sauvage... Tsongor aux sept facettes confiera, avant de mourir, son repos éternel et la destinée de sa lignée à Souba, son plus jeune fils.

C'est à une longue marche rédemptrice qu'il le condamnera en son nom. Souba n'aura alors de cesse, dans son exil, de chercher réponse à cette solitude, pour vaincre la malédiction de ses aïeuls, laver de la honte qui l'imprègne son nom à l'eau du Savoir, et honorer le souvenir de Samilia, pour qui les hommes déchaînèrent les enfers.

- - -

Avec La mort du roi Tsongor, Laurent Gaudé nous emmène aux origines du monde, en terre d'Afrique. Il y développe déjà des thèmes qu'il reprendra deux ans plus tard dans le soleil des Scorta : réflexion sur la nature humaine, malédiction familiale, exil...

Sa plume m'est toutefois apparue ici moins précise et avec un sentiment d'immersion moins intense que celui qui m'avait habité pour le soleil des Scorta.

Ce roman n'en demeure pas moins un très bon Gaudé, où le thème amoureux abordé ne fut pas sans me rappeler celui de la guerre de Troie, où Pâris et Menélas se livrèrent bataille pour la main de la belle Hélène.

A défaut de m'avoir procuré de grandes émotions, l'histoire abordée et le style Gaudé valent pour moi leurs quatre étoiles.
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Si je n'avais pas lu Ibn Battuta, je n'aurais pas pu mettre d'images sur le roi Tsongor, ni me le représenter semblable à Mansa Moussa, dont l'atlas catalan, pour qui le Mali du XIVe siècle est le centre du monde, donne une image : sur son trône, diadème d'or sur la tête, un oeuf en or dans une main : Moussa est l'homme le plus riche du monde, jusqu'à aujourd'hui.
Tsongor, comme Moussa, a conquis son pouvoir et sa fortune, comme Moussa il règne, s'assied sur un tabouret d'or porté par Katabolonga, comme Moussa il est à la tête d'un empire.
La ressemblance s'arrête là, car Laurent Gaudé introduit un élément peu usuel chez un conquérant qui a versé le sang de milliers d'hommes et de femmes, qui a rasé les villes et les villages durant vingt ans.
Il a honte. Il doute de lui.
Tsongor, alors, en compagnie de Katabolonga, construit les villes, élève ses enfants, administre son royaume de Massaba. Sa fille Samilia va se marier, et les présents affluent, de la part du prétendant et de la part de chacun vivant aux alentours, la paix entre deux clans se fera grâce à cette union.
Trop n'est pas forcément bien, car lorsqu'un deuxième prétendant arrive, nous voilà plongés de nouveau dans la guerre de Troie. Hélène /Samilia ne veut pas choisir, d'ailleurs elle ne comprend pourquoi les deux belligérants qui la veulent ne s'affrontent pas, eux et eux seuls. le roi Tsongor est mort comme prévu au début du livre, tout en refusant de passer le Styx, tout en étant conscient des pires drames qui vont arriver à sa descendance, car la guerre éclate entre les deux armées des deux « fiancés ».
Guerre qui va prendre, comme chez Homère, tout le temps du livre, avec destruction de l'empire, mise à sac de la ville de Massaba, morts de part et d'autre, une armée de Myrmidons comme celle d'Achille, et plus grave encore, l'oubli du pourquoi de cette guerre, comme si Samilia n'avait été qu'un prétexte, et que le vrai projet c'est de faire la guerre, de s'épuiser à la faire, de voir mourir les siens, peu importe, il s'agit de tuer les autres.

Chercher la femme n'a plus aucun sens, ni l'un ni l'autre des prétendants ne pense plus à elle. Ils pensent chacun, ainsi que leur armée qui les suit sans comprendre les enjeux, à la guerre. Les deux hommes proposent même de tuer Samilia, sans se rendre compte que la guerre s'est amplifiée au-delà de ce qu'ils voulaient et qu'elle est la sacrifiée innocente du conflit.

Histoire de fidélité aux promesses, d'honneur à relever, de vengeance des morts occasionnés, qui réclament les larmes des vivants, puisqu'être mort ne veut pas dire disparaitre de la terre.
Gaudé parle du continent, et pourtant, ce continent dépasse les frontières d'Afrique. Souma le fils à la demande de son père et pour lui, cherche sept sépultures dans le monde entier : il visite les statues de Xian, les jardins suspendus de Babylone, le phare d'Alexandrie, et arrive à ce qui peut être Petra, « un palais creusé dans la roche ».
Avec des phrases sèches, courtes, avec l'aide de souvenirs de l''Antiquité (les sept merveilles du monde connu) Laurent Gaudé nous raconte un ravage, l'inanité de la guerre dont les raisons premières sont vite oubliées, pour ne laisser plus que le plaisir de répandre le sang.
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Le roi Tsongor s'apprête à marier sa fille Samilia à Kouame, le prince des terres du sel.
Le pays vit un moment historique car pour la première fois de son règne, le puissant roi accepte de lier son empire à un autre sans effusion de sang.
Un empire sur lequel il règne sans partage, acquis au prix de décennies de guerres et de massacres. Mais ce temps est révolu et le roi Tsongor voit désormais venir la vieillesse avec sérénité depuis son fief de Massaba.
Mais à la veille de ce mariage tant attendu, rien ne va se passer comme prévu dans la cité aux sept collines.

Le malheur arrive avec Sango Kerim, un ami d'enfance de Samilia, venu pour faire honorer une promesse échangée entre enfants au temps de l'innocence. C'est avec l'autorité du passé que le guerrier vient réclamer son dû.
Cruel dilemme pour le roi Tsongor déchiré entre passé et avenir. Abasourdi par son impossibilité à choisir, conscient que deux armées sont prêtes à entrer en guerre, le roi va faire un choix pour le moins déconcertant : imposer son royal cadavre pour mettre fin aux hostilités. Il sera assisté dans son dernier acte par son vieux serviteur Katalabonga qui le suit telle une ombre attendant son heure. Jadis, le roi a remis entre ses mains le droit de disposer de sa vie le moment venu.
Mais la mort du roi Tsongor, loin de calmer la situation, va provoquer l'embrasement de Massaba.

D'où viendra la rédemption ? Peut-être de Souba, le plus jeune fils du roi, chargé par Tsongor d'ériger sept tombeaux à la mémoire du monarque glorieux et conquérant mais aussi guerrier et cruel ? Peut-être de la belle Samilia, qui refuse d'être un butin de guerre et revendique le droit de choisir son destin ?

Dès les premières pages, la magie opère. Littéralement envoûtée par la plume de Laurent Gaudé dans ce roman aux allures de fable où les frontières entre le monde des vivants et celui des morts sont perméables.
Plus près de la tragédie grecque que du conte de fées, l'auteur nous emmène dans une Afrique ancestrale où l'honneur et la bravoure côtoient la violence, la rivalité et la honte qui semble se transmettre de génération en génération dans le clan Tsongor.
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Très populaire en France comme à l'étranger, Laurent Gaudé témoigne dans beaucoup de ses ouvrages d'un goût prononcé pour l'histoire (« Cris » relatait le combat des soldats de la guerre 14-18 ; « Pour seul cortège » était consacré au vol par Ptolémée Ier de la dépouille d'Alexandre le Grand...) Avec « La mort du roi Tsongor », l'auteur renoue avec l'Antiquité, bien que celle-ci soit ici fantasmée, et nous offre le récit tragique et ô combien épique de la chute de Massaba, cité belle et prospère gouvernée par le vieux roi Tsongor dont la mort va précipiter la ruine. En l'espace d'à peine deux cent pages, Laurent Gaudé parvient à totalement happer le lecteur qui assiste, désolé et impuissant, au drame qui secoue la dynastie Tsongor. Sous un prétexte qui se révèlera bien vite fallacieux, deux camps vont impitoyablement se déchirer, incapables de retrouver la raison (par orgueil ? par vengeance ?) et inconscients du fait qu'ils soient en train de détruire ce pour quoi même ils prétendaient se battre. Mais au-delà de l'héritage et du royaume du roi Tsongor, la tragédie touche avant tout l'ensemble des protagonistes : l'un parce qu'il voit avec horreur tout ce qu'il avait construit être réduis en cendres ; l'autre parce que la vengeance à laquelle il aspirait n'a pas la saveur attendue ; une autre encore parce qu'elle ne peut qu'assister, impuissante, à la dislocation de sa famille et de ceux qu'elle aime...

Bien que nous ayons ici affaire à un monde fantasmé et un conflit imaginaire, l'hommage au célèbre poète antique Homère et à son « Iliade » apparait vite comme évident. le siège de Massaba 'st ainsi pas sans rappeler celui de la ville de Troie par les Grecs menés par Agamemnon, de même que le sort de la belle Hélène, déchirée entre Ménélas et Pâris, n'est pas sans posséder quelques similitudes avec celui de Samilia, la fille du roi Tsongor elle aussi déchirée entre deux hommes mais qui montrera davantage de force et de courage que sa compagne d'infortune. Mais là où l'influence d'Homère se fait le plus sentir, c'est au niveau du souffle épique qui balaye tout le récit. Une chose est sûre, Laurent Gaudé a travaillé avec un soin tout particulier chaque scène d'affrontement, aboutissant ainsi à des moments de prouesses guerrières ou de bataille impressionnants. L'intérêt et la force du roman tiennent aussi à la psychologie travaillée des personnages : Katabolonga et sa position ambigüe au côté de ce roi autrefois haï et aujourd'hui aimé ; Souba, adolescent mu par sa piété filiale et qui porte sur ses épaules le poids de la tâche colossale qui lui a été confié ; et puis Tsongor, le plus ambivalent de tous, à la fois conquérant arrogant et sanguinaire mais aussi vieillard accablé par son passé et ravagé de ne pouvoir garantir la pérennité de son royaume et de sa dynastie.

« La mort du roi Tsongor » mérite bien sa renommée, de même que Laurent Gaudé qui nous fait don d'un récit aussi épique que tragique mettant en scène des personnages prisonniers de leurs passions. Un roman court qui se lit d'une traite mais qui laisse un souvenir vivace dans la mémoire longtemps après la dernière page tournée.
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Le roi Tsongor est mort. Vraiment ? Ne serait-il plus juste de considérer qu'il est plutôt en train de mourir, qu'il « se meurt » (à l'image de son avatar tragicomique imaginé par Ionesco)? Oui, car l'âme du roi demeure jusqu'à nouvel ordre suspendue entre deux mondes, consignée dans les limbes, au bord de ce Styx qu'elle refuse pour l'instant de traverser, alors que son corps matériel, lui, conservé grâce aux baumes et onguents dont il a été oint, gît encore parmi les vivants dans les sous-sols de son palais royal de Massaba, en attente d'un hypothétique hypogée où il pourra un jour enfin reposer...
Le roi Tsongor semble pour l'instant refuser de céder à la dissolution de ses liens avec un monde qu'il aura pourtant abandonné volontairement. Qu'attend-il au juste pour quitter définitivement son existence terrestre?
Héros tragique par excellence, le spectre de Tsongor – à l'image de cet autre grand roi de tragédie errant dans la lande – est confronté à son ultime défaite face à un Destin qui, indifférent à ses suppliques, s'acharnera inexorablement sur lui et sur sa descendance. le père observera impuissant, depuis les portes de l'au-delà, la folie fratricide qui s'emparera de ses héritiers et qu'il avait en vain essayé d'éviter en se donnant lui-même la mort.

Fable et allégorie autour de l'acceptation de la défaite inhérente à toute entreprise humaine, prônant le renoncement aux instincts d'emprise, à l'orgueil et aux passions conquérantes comme étant le seul rempart possible contre le sentiment de fatalité tragique qui traverse toute l'histoire de l'humanité, Laurent Gaudé propose au lecteur une mimèsis convoquant dans ce récit épique et atemporel, des images puissantes, poétiques, archétypiques et immémoriales.

La narration est étayée ici par une langue déclinée toute en phrases courtes, sectionnées, mais qui donnent néanmoins un relief particulier aux mots. Mots la plupart du temps prononcés d'un ton grave ou d'un souffle suspendu par des personnages confrontés aux conséquences imparables de leurs choix et de leurs actes. Il s'en dégage ainsi par moments une telle vérité, une telle intensité dans la description des passions qui se sont emparées des êtres, des leurs gestes, ou bien une telle hauteur de vue, une telle noblesse dans des propos tenus face à la plus grande adversité, que nous sommes alors tout naturellement transportés vers les plus beaux sommets atteints autrefois par les auteurs classiques. Oui, il y a une sorte d'incantation et une beauté indiscutables dans cette langue fractionnée.

Avant de mourir, Tsongor enjoint Souma, son fils cadet, à renoncer aux fastes de la cour, à fuir les rumeurs de palais et les disputes de pouvoir. Il lui demande, au moment où il sera mort, de quitter Massaba pour partir ériger, à travers tout l'empire, six tombeaux majestueux et différents à la gloire de son père, l'un deux étant destiné à devenir, une fois sa mission accomplie et le choix de Souma arrêté, la dernière demeure, le mausolée où, enfin, la dépouille du roi Tsongor pourra élire son dernier domicile (...et je pense à l'instant, en l'écrivant, que Mausolée était aussi le nom d'un roi légendaire dont l'héritage s'est perpétué à travers les époques par son monument funéraire, considéré comme une des « Sept merveilles de l'Antiquité », et prolongé jusqu'à ce jour dans nos langues modernes par le mot « mausolée » devenu synonyme de «monument funéraire»).

Souma partira donc à la mort de Tsongor. Il s'en ira parcourir l'immense empire de son père accompagné d'une modeste mule et dans le plus grand dénuement. Vecteur de la dernière volonté de ce dernier, Souma devient au passage l'archétype même du renoncement, l'ultime espoir d'une transmission susceptible de briser cette funeste fatalité de la condition humaine. C'est par son entremise que les six merveilles de l'empire de Tsongor (on y retrouve d'ailleurs, entre autres, des décors de jardins suspendus, un phare...), ces six tombeaux à la mémoire du roi disparu seront bâtis. Puis un septième monument, déjà tout prêt et trouvé au hasard des pérégrinations menées par Souma, finira par être choisi comme tombeau royal (on y est pour les sept merveilles!)

Mais en fin de compte, qu'en est-il de la cause première de tout ce malheur qui s'est abattu sur le royaume après la disparition du roi ? Elémentaire, cher lecteur ! Cherchez la femme..! Emblématique de l'ainsi nommé «éternel féminin» qui depuis la nuit des temps s'est implanté avec force dans l'imaginaire et dans la mythologie patriarcales, le personnage de Samilia, fille unique du roi Tsongor, évoque ici la Femme par qui le malheur arrive... Samilia incarne le mystère féminin insondable provoquant la folie irrépressible des hommes et les violences dévastatrices de la guerre, comme Hélène à Troie. Samilia est certes, au départ et malgré elle, Hélène, mais pas que, car elle va se révéler en même temps être aussi celle par qui la loi cruelle et implacable des hommes sera subvertie, elle sera, telle Antigone envers ses frères Polynice et Etéocle lors du siège de Thèbes, celle qui saura s'élever au-dessus des passions meurtrières. Enfin, parce qu'elle sera restée fidèle à l'héritage de son père et aura assumé pleinement les conséquences de ses actes et de ses choix, elle connaîtra l'opprobre et l'exil. Samilia partira, « têtue » et « allant toujours tout droit », pour se transfigurer enfin en Athéna, emblème de l'amour filial, de la transmission du savoir et de la sagesse, image sublime pour laquelle Souma voudra aussi ériger un temple, afin qu'on puisse honorer sa soeur et qui, tel qu'on le décrit, évoque sans ambages cet autre temple, appelé Parthénon : «un édifice austère et somptueux qui sera le couronnement de ses travaux»

Laurent Gaudé n'hésite pas ainsi à emprunter aux oeuvres et à la culture classique occidentale les éléments majeurs servant de support à l'ordre symbolique de son récit (les mythes, les monuments, les rites et croyances – dont la pièce mise entre les dents du défunt, par exemple, jouant un rôle important dans le récit, et qui correspond en principe à l'obole donnée à Charon pour la traversée du Styx dans la mythologie grecque). Par un tour majeur d'illusionnisme et avec un talent de conteur hors-pair, l'auteur réussit à transplanter parfaitement ces éléments dans le décor d'une Afrique mythique, ancestrale, toute aussi légendaire à nos yeux que les civilisations antiques de la Méditerranée. Ce qui contribue sensiblement à mettre en valeur toute l'originalité de cette oeuvre, ainsi que le caractère universel que revêt son propos.
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