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Critique de le_Bison


Le ciel devint noir, le silence impose sa loi. Seules les grenouilles continuent à jacasser leurs dernières soirées dans un marais infesté d'alligators. Les vents s'engouffrent entre les branches nues des arbres déracinés. Une pluie furieuse se déchaîne et s'enchaîne dans un rythme endiablé, Doug Cosmo Clifford à la batterie, une même furie. Une pancarte s'envole « La Nouvelle-Orléans par les Bayous ». Born on the bayou. John Fogerty chante dans ma tête, même dans les sombres vies, la musique reste mon salut. La terre est abandonnée à la sauvagerie de la nature. Je ne croise personne, à part quelques vieux et quelques nègres, abandonnés à leur sort. Et le vain espoir que le gouvernement leur portera secours. Ou la lucidité de n'être rien à leurs yeux. Juste des poussières de vie noyées dans ce torrent de boue qui se déverse dans les rues, abandonnées de toutes âmes, une ville fantômes sans ses musiciens ni mêmes ses putains.

Cela fait longtemps que les romans de Laurent Gaudé m'attendent. Je le sentais bien ce type. Sa plume incisive, son rythme sans relâche, son immersion dans les bayous, dans la Louisiane, dans l'ouragan même. Les alligators hachent leurs proies, un prêtre au hachoir qui se perd, un enfant perdu qui se noie, une vieille négresse à la peau fripée qui survit, la fierté dans son regard, la bonté dans son coeur. Ce roman, on pourrait en faire une chanson, comme un ouragan qui passait sur moi l'amour a tout emporté… Emportées les vies, sauf celles des nègres, restés.

Le noir est tombé comme autant de bois centenaires, millénaires qui se sont couchés. Les survivants eux ne se sont pas couchés, emportés par la peur et la colère. Seuls les crocodiles, ou les alligators je ne sais plus trop, de toute façon c'est caïement pareil, ont trouvé cette liberté de nager dans les eaux boueuses de la ville, les cadavres des cimetières déterrés, des bouchées appétissantes en ces temps sauvages, mais les plus sauvages restent quand même cantonnés au genre humain, sans âme et sans remord. Cet ouragan, c'est un tourbillon littéraire qui emporte tout sur son passage, même la foi du lecteur, où le seul point positif de l'affaire est qu'il n'y a jamais eu de bisons en Louisiane, même dans des temps plus reculés que les bulletins météorologiques. le jour s'est levé, pleine de rhumatisme ou de vieillesse, Joséphine Linc. Steelson regarde le soleil pointer son cercle lumineux au-delà des décombres. Une négresse que je ne suis pas prêt d'oublier – comme les autres romans de Laurent Gaudé qui se sont cachés sous des réserves de poussière, des poussières de vie, de mort, qu'un autre ouragan pourrait bien emporter un jour ou l'autre, une nuit, avec ou sans lune, bleue ou noire.
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