Vues sur la mer

On se sent mieux en s’appuyant sur la solitude des autres comme sur une canne, ça nous rappelle la chance qu’on a d’avoir un autre près de soi, un autre quel qu’il soit, même s’il n’est pas si terrible, c’est toujours mieux que ça, que rien, que personne, et on serre l’autre dans ses mains et on se souvient qu’on y tient.

Dans la chambre, elle ne prend pas le temps de se déshabiller. Le bruit de la pluie la berce, couvre ceux de la ville et, dans son sommeil, Jeanne sent une couverture humide et ouatée qui l'enveloppe et la protège, tient à distance les voix et les images, lui permet d'être pour quelques heures cette petite chose sourde qui oublie le passé et la perspective de l'avenir. Ce corps lourd lové dans un brouillard sonore.

je n'ai pas trouvé l'équilibre, se dit jeanne. et ce n'est pas le souvenir qui donne aux choses une consistance

je crois que je me suis ennuyée. ce n'est pas si drôle de ne pas savoir où aller.

le sentiment d'impatience irraisonnée qui la taraudait depuis plusieurs mois, cette envie permanente d'être ailleurs, d'en avoir déjà fini avec les choses avant même de les avoir commencées, parait s'estomper

c'est peut être de cela dont elle avait envie quand elle a quitté on appartement. cette longue marche dans la foret puis se laisser faire, se réfugier. trouver enfin la cabane. s'endormir dans le grand silence et juste, parfois le grincement des arbres.

un réceptionniste un peu distrait qui la regarderait à peine,  la conduirait à sa chambre avec vue sur la mer, un espace clos aux quatre murs bien solides et bien durs que ne pourraient traverser les bruits du dehors.

Elle se dit, c’est ça, le réceptionniste me laisserait seule, seule comme maintenant, sauf que je n’aurai rien à attendre. Rien ni personne. Elle guette les pas sur le vieux bois qui craque.

Puis il va monter les escaliers. Retrouver sa femme endormie. Mettre son nez dans son cou sans la réveiller et Jeanne soudain sent les larmes pointer. Absurde, cette escapade. Du vide, du rien. Rien à côté d'un cou dans lequel fourrer son nez.
[...]
Paul en se couchant ne voit pas les yeux grand ouverts de Cécile. elle se dit, elle l'a épuisé mais c'est près de moi qu'il vient se reposer. C'est près de moi qu'il reposera toujours. plus de menace, de peur au ventre. C'est fait. C'est fini.
Paul ne peut pas dormir. il pense à la femme au carnet.

- Ah oui ? Et qu'est-ce qu'il faut faire, d'après toi ?
- Je sais pas. Des enfants, un mari.
- Faire un mari, oui, tiens, c'est une idée. Et qu'est-ce que tu en sais, d'abord, que je n'ai pas d'enfants ?
- Ca se voit.