Il faut prendre le temps de faire court
Au maréchal Pétain qui dînait dans la même salle, j'allai en silence adresser mon salut. Il me serra la main, sans un mot. Je ne devais plus le revoir, jamais.
Quel courant l'entraînait et vers quelle fatale destinée ! Toute la carrière de cet homme d'exception avait été un long effort de refoulement. Trop fier pour l'intrigue, trop fort pour la médiocrité, trop ambitieux pour être arriviste, il nourrissait en sa solitude une passion de dominer, longuement durcie par la conscience de sa propre valeur, les traverses rencontrées, le mépris qu'il avait des autres. La gloire militaire lui avait, jadis, prodigué ses caresses amères. Mais elle ne l'avait pas comblé, faute de l'avoir aimé seul. Et voici que, tout à coup, dans l'extrême hiver de sa vie, les événements offraient à ses dons et à son orgueil l'occasion, tant attendue ! de s'épanouir sans limites ; à une condition, toutefois, c'est qu'il acceptât le désastre comme pavois de son élévation et le décorât de sa gloire.
[Mémoires de guerre. L'Appel]
Pendant l'entretien que j'ai ensuite avec Sékou Touré et au cours de la réception que je donne au palais du gouvernement, j'achève de mettre les choses au point. Ne vous y trompez pas ! lui dis-je. La République française à laquelle vous avez affaire n'est plus celle que vous avez connue et qui rusait plutôt que de décider. Pour la France d'aujourd'hui le colonialisme est fini. C'est dire qu'elle est indifférente à vos reproches rétrospectifs. Désormais elle accepte de prêter son concours à l'Etat que vous allez être. Mais elle envisage fort bien d'en faire l'économie. Elle a vécu très longtemps sans la Guinée. Elle vivra très longtemps encore si elle en est séparée.
Combien, dans ces conditions, l'époque est-elle propice aux prétentions centrifuges des féodalités d'à présent : les partis, l'argent, les syndicats, la presse, aux chimères de ceux qui voudraient remplacer notre action dans le monde par l'effacement international, au dénigrement corrosif de tant de milieux, affairistes, journalistiques, intellectuels, mondains, délivrés de leurs terreurs ! Bref, c'est en un temps de toutes parts sollicité par la médiocrité que je devrai agir pour la grandeur.
Une fois de plus, exploitant la faculté démesurée d'oubli des clientèles électorales, l'antique propension française à se disperser en tendances verbeuses et à s'amuser des jeux politiques comme on le fait des luttes du cirque ou des concours au mât de cocagne, enfin l'aversion des intérêts organisés à l'égard d'un pouvoir fort, les partis restaureraient leur primauté et remettraient en marche le déclin.
Une balade radiophonique dans la bibliothèque de Charles de Gaulle (France Culture / La Fabrique de l’histoire). Photographie : Bibliothèque du Président Charles de Gaulle à “La Boisserie”, Colombey-les-Deux-Églises, novembre 1979. • Crédits : PIERRE GUILLAUD / AFP -AFP. Une visite de la bibliothèque de Charles de Gaulle à Colombey-les-Deux-Églises, en compagnie d'Yves de Gaulle. Diffusion sur France Culture le 14 février 2017. Production : Emmanuel Laurentin. Yves de Gaulle, le petit-fils de Charles de Gaulle, a publié en 2014, chez Plon, “Un autre regard sur mon grand-père, Charles de Gaulle”, où il évoque toute la formation intellectuelle et toutes les discussions qu'il avait avec son grand-père, lesquelles se passaient principalement à La Boisserie.
Source : France Culture
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