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Critique de Levant


La lettre anonyme a encore de beaux jours devant elle pour qui veut jouer au corbeau. Les réseaux sociaux ne la détrôneront pas de si tôt. Avec ce roman, dont on nous dit en deuxième de couverture que l'auteur y a mis beaucoup de lui-même, on ne s'en étonnera pas s'agissant de son premier ouvrage, David Gauthier nous propose une histoire de clochemerle moderne. Sauf que la tragi-comédie tourne au vinaigre et devient polar. Une évolution dramatique rehausse l'intrigue sur le tard.

Une histoire de corbeau ça ne passionne ni les gendarmes ni les médias nationaux tant qu'il n'y pas de bain de sang. On n'en dira pas autant des clients de la presse locale friands d'histoires croustillantes lorsqu'elles mettent en scène leurs voisins. Voilà donc du pain béni pour un rédacteur en chef dans sa course au scoop. Celui de la Gironde saute sur l'occasion pour dépêcher un de ses journalistes chevronné, Nicolas Berger, au secours de la jeune recrue de l'agence locale quelque peu dépassée par l'ambiance délétère qui s'est installée sur Sélérac, petite ville du sud-ouest. C'est aussi une façon de mettre Nicolas au vert. Il peine à se remettre d'une déconvenue conjugale avec celle qu'il n'évoque qu'avec déférence en lui attribuant la majuscule, parlant d'Elle, sans jamais la nommer. Comme par superstition. On se prend de sympathie pour ce coeur brisé.

Il n'en reste pas moins un coeur battant qui sait doser son rentre-dedans pour obtenir ce qu'il veut, bien conscient que sa position ne lui confère pas de prérogatives de police. On découvre avec cet éclairage les difficultés d'un métier dont les acteurs veulent se défendre de la réputation de "fouille-merde" que d'aucuns leur collent à la peau. Où est la limite entre droit à l'information et quête d'audience à grand renfort de sensationnel. On perçoit bien que l'auteur, journaliste lui-même, se livre inconsciemment à une forme de réhabilitation d'une profession qui souffre de ses francs tireurs peu regardant sur le glauque qu'ils jettent en pâture aux crédules pour faire du tirage.

Comme dans tout bon polar digne de ce nom l'identité du "coupable" est habilement préservée. Habilement car l'ouvrage ne pêche pas par surenchère d'artifices ou de coïncidences. Ça respire l'authentique, même si la scène finale violente quelque peu l'ambiance régionale qui prévaut dans cet ouvrage. On s'identifie volontiers à ces personnages, et on se laisse prendre au jeu des calomnies qui sèment le trouble dans l'esprit des villageois. La psychologie provinciale est bien restituée.

Je n'aurais toutefois pas craint de voir l'écriture s'enrichir de passes d'armes entre les mis en cause et les gogos prompts à une justice expéditive. L'exercice aurait supporté un supplément de dialogues bien sentis pris sur le vif entre place publique, bistrot et pas de porte. Mais peut-être mon ressenti est-il perverti par la mémoire du fort caractère d'un Pierre Fresnay dans le Corbeau d'Henri-Georges Clouzot et ses diatribes assénées d'une voix péremptoire.

La force de cet ouvrage réside à mon sens dans le fait qu'il dose à la juste mesure les envolées sentimentales et ne sombre pas dans la sociale démagogie en vogue. Il traite de déboires dans les parcours de vie avec crédibilité. Cette sobriété rend d'autant plus authentique et touchant le vécu intime des meurtris par la vie, ceux qui ont pâti de l'orgueil caractéristique à la nature humaine : l'histoire de Charles et Julia, les déboires de l'artiste Evan Janse sont traitées avec doigté et confèrent à cet ouvrage la touche d'humanité qui suscite l'attention sans verser dans le pathos.

J'ai pris beaucoup de plaisir à m'inclure dans l'ambiance de ce roman, à faire connaissance avec ses caractères, les apprécier. A découvrir l'envers du décor d'une profession que l'on vilipende volontiers, tant elle est contrainte à une rentabilité préjudiciable à la déontologie du métier. le sujet est traité avec sincérité par David Gauthier avec une écriture moderne, agréable, empreinte de naturel. C'est un très bon moment de lecture.

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