(1°) "Omphale. Une histoire rococo." (1834) : une bluette bavarde, parue à l'âge de 23 ans. L'auteur faisait ses gammes. La langue de
Théophile GAUTIER est encore surchargée des références culturelles de son temps, et veut nous en mettre plein la vue : péché de jeunesse. On remarque l'excellente description due l'atmosphère brumeuse (et assez bordélique) du pavillon abandonné par le tonton Chevalier en son jardin retournant doucement à l'état sauvage. Une tapisserie s'y anime la nuit — telles les figures de la Bergère et du Ramoneur sortant du tableau dans l'inoubliable film d'animation long métrage de
Paul GRIMAULT, "Le Roi et l'oiseau" (1980). Omphale est une sacrée dévergondée. L'écolier de dix-sept ans finit par attendre toutes ses nuits câlines dans son pavillon délabré : il en perdra le sommeil par simple voie de conséquences. Un galop d'essai de l'apprenti-conteur...
(2°) "
La morte amoureuse" (1836) : que de richesses (notamment linguistiques) contenues dans ce conte ! L'argument ? Un narrateur (aujourd'hui accablé de ses soixante-et-dix années) se souvient de ses vingt ans : alors "apprenti-ratichon" tel le jeune tuberculeux du "
Journal d'un curé de campagne" du film de
Robert BRESSON (1951), adapté du roman de
Georges BERNANOS (publié en 1936), disons que lui aussi n'a guère eu de chance dans sa très jeune vie.. Tombant amoureux d'une fidèle présente dans l'église lors de sa propre ordination. Il s'éloigne de cette (présumée) Belzébuth mais son amoureuse (transie) le rattrape jusqu'entre les murs moisis de sa première cure... L'épisode où le jeune Romuald précédé du Curé Sérapion (tous deux à dos de mule) se retourne une dernière fois sur sa cité de noviciat pour découvrir le palais de Clarimonde-la-Courtisane fait penser au départ du jeune lieutenant Drogo dans "
Le Désert des Tartares" de Valerio ZURLINI (adapté du fameux roman éponyme de
Dino BUZZATI, publié en 1940) : mêmes regrets, même promesse de nostalgie indicible... L'histoire d'amour durera trois ans. Trois ans à ne plus savoir démêler le rêve de la réalité. L'abbé Sérapion a l'oeil : en bon futur
Abraham van Helsing (Cf. "
Dracula",
Bram STOKER, 1897), on ne la lui fait pas... La belle Clarimonde n'a qu'à rester à sa place, bien au fond de son tombeau... Pourtant elle est vraiment amoureuse, cette morte-là, et économise farouchement le sang de son petit protégé... Une histoire de femme-vampire, de goule, de "non-morte" — "Strigoï", comme disent les Transylvaniens ? Si l'on veut... Une belle histoire d'amour contrarié. Maîtrise et concision du style, habileté d'effets dramatiques soigneusement ménagés. Chapeau, l'artiste ! La nouvelle fantastique qu'on aurait également aimé écrire à nos 25 ans... Et un véritable saut qualitatif en regard des malhabiletés de la nouvelle précédente !
(3°) "
Arria Marcella. Souvenir de Pompéi" (1852) : une visite du site sub-vésuvien pour guide touristique, trois amis en goguette, un "cicerone", une nuitée à passer à l'"osteria"... Les psychologies de Fabio, Max et Octavien si dissemblables... "Pompéi-de-jour" versus "Pompéi-de-nuit" : rien à voir ! La nuit, les contours des choses s'effacent, les ruines repoussent, le passé reprend sa place... et Octavien est attiré par les belles des siècles défunts... Tel le moribond Richard Collier de "Bid Time Return" ("
Le jeune homme, la mort et le temps", 1975) de
Richard MATHESON... A rebrousse-temps, donc ! Avec comme morceau de bravoure, l'éveil de la Cité romaine de Pompéi, digne voisine d'Herculanum en Campanie, dans la matinée qui précède l'éruption du Monte Vesuvio... La transition subtile qui nous fait passer de la réalité d'entre nuit et aurore au rêve réel du jour (ce "dernier jour de Pompéi"), est une superbe reconstitution qui rappelle — par sa mise-en-scène et la mise en place patiente des éléments du décor humain et architectural, l'attention portée aux "petits détails vrais" et la grande maîtrise de ses effets narratifs — celle de la Grande Cité d'Alexandrie dans le remarquable film "Agora" (2009) d'Alejandro AMENABAR, montrant la montée des périls interreligieux qui annoncent le calvaire de la belle mathématicienne astronome Hypatie... Et nous quitterons à regret les pas d'Octavien, soupirant sur la poussière de sa belle succube disparue qu'il n'arrivera plus à faire "renaître de ses cendres"...
Le plus réjouissant, pour nous ? L'anticléricalisme viscéral de Gautier. le curé desséché Sérapion mettant fin à l'enchantement du jeune Romuald par la tendre "vampire" Clarimonde... Ou cette vieille barbiche fourchue de Nazaréen, croix de bois sombre (sinistre) autour du cou — digne père converti de la belle tentatrice — interrompant impitoyablement les ébats langoureux (très "païens") entre
Arria Marcella et le jeune Octavien, ... On voit bien ici comment l'auteur a, comme qui dirait, "choisi son camp"...
Le film "Agora" nous montrera le même désastre moral, sclérosant, stupide, rigidifiant, des tout premiers Chrétiens, certains d'être toujours "Du Bon Côté" (celui du "Vrai Dieu"), passant de leur statut d'anciennes victimes martyrisées au rôle revanchard et délectable de nouveaux bourreaux des Juifs et des antiques "idolâtres" gréco-romano-orientaux... Mais quel gâchis ! Pauvres crétins de Terriens...
Cette heureuse sélection, centrée sur la célébrité (justifiée) de "
La Morte amoureuse", donne l'idée directrice de cet intéressant recueil.
Ce petit ouvrage publié par les éditions
Actes Sud en 1996, fort de ses 163 pages, se trouve — hélas ! — parasité (pour ne pas dire : vampirisé), à tout le moins plombé par une Postface "tue-Mystères" due à
Bernard Terramorsi...
En "divine" apogée de ces freudaineries à la
Roland Barthes (post "SZ") , citons la conclusion de ce texte sur le mode "J'ai-tout-compris-à-tout" (à TRES hautes vertus céphalalgiques) et valant son pesant de cacahuètes (Attention, car l'on cite L'Arétin et ses "Sonnets luxurieux" comme caution littéraire... ) :
"Foutons [...] Et si post-mortem il était honnête de foutre, /Je te dirai foutons-nous jusqu'à en mourir".
Haha.
Comme quoi la torture à lire les quarante-trois pages tue-l'amour de "LES PRELIMINAIRES : L'AMOUR ABJECT" puis "UNE LECTURE DE
LA MORTE AMOUREUSE : COÏT ET OBIT puis "REVIREMENTS : LE VOVANT MORT, L'INVERTI, LA REGRESSION" puis "
LE CAUCHEMAR : DU PESANT HORS DU TEMPS" peut nous faire redescendre sous terre lorsque la langue et la science de conteur de ce bon
Théophile GAUTIER (1811-1872) viennent de nous enchanter...
Une merveille encore : la reproduction d'une peinture de
Louis Welden HAWKINS : "Masque" (détail) de 1905, ornant le frontispice de cet ouvrage funéraire - soit la page I de la couverture célébrant "
Les Mortes Amoureuses" au doux regard de Sphynges...