AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782070363964
440 pages
Gallimard (08/06/1973)
3.72/5   182 notes
Résumé :
Je me suis épris d'une beauté en pourpoint et en bottes, d'une fière Bradamante qui dédaigne les habits de son sexe, et qui vous laisse par moments flotter dans les plus inquiétantes perplexités ; - ses traits et son corps sont bien des traits et un corps de femme, mais son esprit est incontestablement celui d'un homme.
Ma maîtresse est de première force à l'épée et en remontrerait au prévôt de salles le plus expérimenté ; elle a eu je ne sais combien de duel... >Voir plus
Que lire après Mademoiselle de MaupinVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (29) Voir plus Ajouter une critique
3,72

sur 182 notes
Ayant l'âme très romanesque d'une part et étant femme d'autre part, je voue une affection toute particulière aux romans historiques dans lesquels l'héroïne est contrainte de se travestir en homme. En des temps où peu de femmes avaient voix au chapitre, c'est un excellent moyen d'émanciper la femme - bien qu'il eût été préférable qu'elle puisse être elle-même en tout temps, chimère hélas depuis longtemps établie par L Histoire.

"Mademoiselle de Maupin" est le premier grand succès de Théophile Gautier que j'avais jusque là catalogué parmi les auteurs de roman jeunesse. Ici, il n'est pourtant nullement question de jeunesse, bien au contraire ! Ce roman épistolaire fait état des aventures d'une jeune aristocrate, bonne cavalière et redoutable escrimeuse, ayant rejeté sa condition féminine pour pouvoir agir à sa guise, en s'appropriant la liberté de comportement des hommes. Grâce à son déguisement, elle passe "de l'autre côté du miroir" et découvre avec joie la liberté de penser, d'agir et... d'aimer.

Théophile Gautier s'est inspiré de la biographie de la Maupin, escrimeuse et actrice du XVIIème siècle, pour brosser son héroïne sous les traits d'une femme indépendante et déterminée. Son roman n'est cependant pas un roman d'aventures de mon point de vue, mais un terrain parfait pour développer avec tout le romantisme du début du XIXème siècle un flamboyant panorama des moeurs libertines dans le sens noble du terme. Dans une quête absolue d'esthétisme, en perpétuelle recherche de la beauté comme unique âme de l'art, certains propos, pris au premier degré, ne manqueront pas de faire grincer des dents les lecteurs contemporains, sans même parler des plus féministes. Pourtant, c'est avec poésie, érotisme et réel talent que l'auteur traite son sujet à fond.

En parallèle des considérations esthétiques (rendues par les lettres D'Albert qui court après un amour idéal et chimérique), Madeleine de Maupin, alias Théodore de Sérannes, fait montre d'une très grande audace et d'une liberté d'opinion propres à réjouir les défenseurs de l'égalité des sexes et qui étonnent favorablement le lecteur à l'endroit de l'auteur. Parce qu'il l'a faite homme, Théophile Gautier permet à son héroïne de mener la danse jusqu'au brillant dénouement, pied-de-nez aux séducteurs de tous les temps. Enfin, les charmants tableaux amoureux, dont certains saphiques, dont il enchante le lecteur font inévitablement surgir dans son esprit les mignardises picturales de Poussin, Boucher et Fragonard.


Challenges 19ème siècle 2020 et 2021
Challenge ABC 2020 - 2021
Challenge COEUR d'ARTICHAUT 2020
Commenter  J’apprécie          380
Il nous est tous arrivé un jour de tomber sur un classique et de se dire « non sérieux c'est X qui a écrit cette daube ? S'il n'y avait pas son nom sur la couverture il y a longtemps qu'elle aurait sombré dans l'oubli ! » J'ai trouvé le mien avec ‘Mademoiselle de Maupin'.

Un jeune noble un peu trop esthète, d'Albert, prend pour maîtresse une comtesse surnommée Rosette. Il ne l'aime pas vraiment mais pense qu'elle l'aime. Ils reçoivent la visite d'un jeune chevalier, Théodore, dont la beauté correspond exactement à l'idéal de d'Albert. Il réalise vite que c'est de Théodore que Rosette est réellement amoureuse, et commence à soupçonner qu'il s'agit d'une femme déguisée en homme... le roman adopte trois points de vue suivant les moments : celui de d'Albert via les lettres qu'il envoie à un ami, de Théodore via également des lettres, et celui du narrateur dans les intervalles.

Il est normal que, de notre point de vue moderne, un classique du XIXème présente des longueurs. Normalement elles ne me dérangent pas. Mais là ! C'est bien simple, les lettres d'Albert sont interminables. Il y décrit sa vie, ses états d'esprit, ses sentiments, ses conceptions de l'art et ses idéaux de beauté avec un luxe et une profusion de détails à faire passer les ‘Mémoires d'Outre-Tombe' pour débordantes d'action !

Et quant à l'action d'ailleurs, quel ennui ! Théophile Gautier nous fait pénétrer dans la vie d'un petit maître du XVIIIème avec tout ce qu'elle peut avoir d'égoïste, de superficiel, d'hypocrite et surtout d'inintéressant. le héros est tout simplement insupportable. Il présente ses hautes conceptions artistiques et son idéal de beauté qui, paraît-il l'empêchent de jouir de cette vie où tout n'est pas beau et bien arrangé – mais où il vit dans le luxe et la plus complète oisiveté. Et son entourage approuve. On a juste envie de lui coller deux baffes, et de lui crier de se secouer un peu et d'arrêter les enfantillages. Rosette est la pire des cruches, et Théodore n'a pris l'habit d'homme que pour adopter avec enthousiasme tout ce qu'il y a de plus détestable dans leur vie.

Et c'est dommage, car il y a une vraie réflexion sur les rapports hommes – femmes au XVIII-XIXème, assez creusée et assez dure ; beaucoup d'ironie et de qualités dans l'écriture qu'on retrouvera par la suite dans ses grands romans. Mais rien à faire, l'histoire m'a horripilé, et c'est la curiosité seule qui m'a mené jusqu'à la dernière page. Spoiler : ça finit en eau de boudin.

En revanche, ce livre apportera une réponse à ceux qui parlent de la pudibonderie des siècles précédents : qu'ils se rassurent, interdits de l'Église ou pas les gens de l'époque avaient une vie sexuelle largement aussi active que la nôtre, voir plus, et le grand sujet de conversation, aujourd'hui comme hier, était de savoir qui couche avec qui. Mais en cherchant bien, on arrivait toujours à trouver une personne ou deux avec qui discuter de poésie. Simplement il fallait se débrouiller sans Babelio.
Commenter  J’apprécie          232

Mademoiselle de Maupin / Théophile Gautier
Roman épistolaire (sauf pour l'avant-dernier chapitre !) publié en 1835, ce récit raconte la vie de Madeleine de Maupin et ses aventures galantes.
Sorte de manifeste du Parnasse et de la doctrine de l'art pour l'art dont Gautier est le précurseur, ce texte est devenu célèbre aussi par ses deux préfaces qui fustigent les visions moralistes ou utilitaires de la littérature.
La première préface s'avère être une polémique acide à l'encontre de certains journalistes et critiques littéraires que Théophile Gautier juge trop vertueux. Certes, la vertu est assurément quelque chose de fort respectable, mais il semble à l'auteur naturel de lui préférer, surtout lorsque l'on a vingt ans, « quelque petite immoralité bien pimpante, bien coquette, bien bonne fille, la jupe plutôt courte que longue, la joue légèrement allumée, le rire à la bouche et le coeur sur la main. » Et d'ajouter que penser une chose et en écrire une autre, cela arrive tous les jours, surtout aux gens vertueux.
L'institutionnalité des plus méritoires de la feuille de vigne pour dissimuler ce que l'on ne saurait voir, est d'un ridicule affirme l'auteur qui poursuite en écrivant : « J'avoue que je ne suis pas assez vertueux pour défendre la feuille de vigne. Dorine, la soubrette effrontée, peut très bien étaler devant moi sa gorge rebondie, certainement je ne tirerai pas mon mouchoir de ma poche pour couvrir ce sein que l'on ne saurait voir. Je regarderai sa gorge comme sa figure et si elle l'a blanche et bien formée, j'y prendrai plaisir. »
La grande affectation de morale qui touche ces journalistes serait fort risible si elle n'était pas fort ennuyeuse ! Et à chacun de ces prédicateurs qui ne sauraient que faire sans le vice, ne manque que la tonsure et le petit collet. Hypocrisie et envie sont les marques de ces grimauds
Au terme de cette diatribe aux allures de pamphlet, Gautier ajoute avec humour : « Si vous voulez lire mon livre, enfermez-vous soigneusement chez vous ; ne le laissez pas trainer sur la table. S votre femme et votre fille venaient à l'ouvrir, elles seraient perdues. Ce livre est dangereux, il conseille le vice. »
Une seconde préface nous livre la pensée de l'auteur quant au rôle de l'utile et de l'inutile. L'art doit être indépendant et inutile et ne viser que le beau. Et pour Gautier, la jouissance lui parait le but de la vie, la seule chose vraiment utile au monde. Tout un chapitre au style somptueux pour vouer les critiques littéraires aux gémonies avant que ne commence le roman proprement dit.
En résumé, les préfaces sont une oeuvre à part entière et ont fait date dans l'histoire littéraire. Sur un ton enlevé, perfide et caustique, l'auteur attaque les bien-pensants, représentants de la tartufferie et de la censure et ceux qui voudrait absolument voir un côté utile dans une oeuvre littéraire, alors que l'art n'est pas assujetti à la morale ou à l'utilité pour ne s'allier qu'à la notion de plaisir. »
D'Albert, le personnage qui s'exprime épistolairement, recherche le beau et par là-même la belle. Il ne demande aux femmes que d'être belles.
« O beauté ! nous ne sommes créés que pour t'aimer et t'adorer à genoux si nous t'avons trouvée. Nous cherchons tous à t'élever un autel, l'amant dans sa maîtresse, le poète dans son chant, le peintre dans sa toile, le sculpteur dans son marbre.»
À son lecteur et ami d'enfance, il fait part du linceul d'ennui qui l'entoure et de la monotonie des jours. Il n'a nonobstant pas toujours le calme doux et triste que donne habituellement la mélancolie, alors il court pour n'aller nulle part et attend. Il attend de trouver la maitresse de ses rêves et se confie : « Je désire frénétiquement ce que je désire, sans toutefois rien faire pour me le procurer…J'ai vingt-deux ans et je ne suis pas vierge… Une maîtresse pour moi, c'est comme la robe virile pour un jeune Romain. »
Sa rencontre, il l'appelle Rosette car il ne sait son prénom, elle a vingt-six ans, bien en chair, la gorge ronde et petite, n'ignore rien de la vie et pas encore blasée. Un corps de vierge, une âme de fille de joie. « C'est un âge charmant pour faire l'amour comme il faut, sans puérilité et sans libertinage. »
Il écrit à son ami qu'il a trop rêvé à des sylphides vaporeuses. Et plus tard en parlant de Rosette il ajoute : « Elle a de petits raffinements de volupté on ne peut plus délicats, et ce grand art de paraître se faire extorquer ce qu'elle accorde très librement : ce qui donne à chacune de ses faveurs le charme d'un viol. »
Mais la suite n'est pas à la hauteur de ses espérances et Rosette ne saurait être la maîtresse en titre de ce despote de type oriental, juste un instrument de volupté bien qu'elle soit attentive, caressante et parfaitement fidèle- : « Mon âme ne s'est jamais unie avec cette âme. Cupidon, le dieu aux ailes d'épervier, n'a pas embrassé Psyché sur son beau front d'ivoire… »
On peut remarquer dans l'extrait à suivre, le style très imagé et emphatique de l'auteur :
« O célestes créatures , belles vierges frêles et diaphanes qui penchez vos yeux de pervenche et joignez vos mains de lis sur les tableaux à fond d'or des vieux maîtres allemands , saintes des vitraux , martyres des missels qui souriez si doucement au milieu des enroulements des arabesques , et qui sortez si blondes et si fraîches de la cloche des fleurs ! – ô vous , belles courtisanes couchées toutes nues dans vos cheveux sur des lits semés de roses , sous de larges rideaux pourpres , avec vos bracelets et vos colliers de grosses perles , votre éventail et vos miroirs où le couchant accroche dans l'ombre une flamboyante paillette ! – brunes filles du Titien , qui nous étalez si voluptueusement vos hanches ondoyantes , vos cuisses fermes et dures , vos ventres polis et vos reins souples et musculeux ! – antiques déesses , qui dressez votre blanc fantôme sous les ombrages du jardin ! – vous faites partie de mon sérail ; je vous ai possédées… » Et plus loin : « O beauté ! nous ne sommes créés que pour t'aimer et t'adorer à genoux, si nous t'avons trouvée, nous cherchons tous à t'élever un autel , l'amant dans sa maîtresse , le poète dans son chant , le peintre dans sa toile , le sculpteur dans son marbre. »
Et d'Albert face à la tendresse et la complaisance de Rosette se demande comment diable il pourrait quitter une femme aussi adorable sans avoir l'air d'un monstre ! Que deviendra Rosette ?
L'auteur ensuite nous transporte dans une temporalité ultérieure qui voit un certain Théodore recevoir Rosette. En fait, Théodore est Madeleine de Maupin, travestie en homme pour surprendre les secrets des hommes tout en poursuivant par ailleurs ses aventures galantes. D'Albert qui peu à peu soupçonne la vérité tombe amoureux de Théodore/ Madeleine dont, sous sa forme Théodore, est tombée amoureuse Rosette. Il confie son trouble à Sylvio, son meilleur ami, dans une belle et longue lettre.
D'Albert parviendra-t-il à faire de Madeleine son amante ? Une série de lettres, de l'un et de l'autre, homme et femme, nous raconte la suite avec le grand art dont Théophile Gautier a le secret.
Quelques réflexions de d'Albert peuvent nous interpeler quand on songe à notre époque : « Je ne sais pas, en vérité, pourquoi les femmes tiennent tant à être regardées comme des hommes ! . »
Une lettre de Madeleine de Maupin à son amie Graciosa est particulièrement intéressante quand elle lui confie ce qu'elle a observé des hommes qui la côtoyaient lorsqu'elle était travestie en Théodore. Et les situations cocasses rencontrées par Madeleine ainsi travestie sont légion, narrées au fil des missives. Notamment dans sa relation avec Rosette.
Madeleine écrit : « Elle se mit à m'aimer avec une naïveté et une conscience admirables, de toute la force de sa belle et bonne âme , de cet amour que les hommes ne comprennent pas et dont ils ne sauraient se faire même une lointaine idée , délicatement et ardemment , comme je souhaiterais d'être aimée. Mais la plus belle fille ne peut donner que ce qu'elle a , et ce que j'avais n'eût pas été d'une grande utilité à Rosette . Deux choses l'étonnaient en moi , et elle remarquait dans ma conduite des contradictions qu'elle ne pouvait concilier : c'était ma chaleur de paroles et ma froideur d'action … La douce chaleur de son corps me pénétrait à travers ses habits et les miens. Ma situation devenait fort embarrassante et passablement ridicule. je ne savais pas de quel bois faire flèche . Cet ardent désir m'échauffait de sa flamme , et je n'étais guère moins troublée que ma pauvre amoureuse . Je n'avais pas encore eu d'amant ; et ces vives attaques , ces caresses réitérées , le contact de ce beau corps , ces doux noms perdus dans des baisers me troublaient au dernier point , – quoiqu'ils fussent d'une femme ; – et puis cette visite nocturne , cette passion romanesque , ce clair de lune , tout cela avait pour moi une fraîcheur et un charme de nouveauté qui me faisaient oublier qu'au bout du compte je n'étais pas un homme … Que de fois j'ai souhaité être véritablement un homme comme je le paraissais ! Que de femmes avec qui je me serais entendue , et dont le coeur aurait compris mon coeur… »
Remarquable aussi la description faite par Théodore/Madeleine des sentiments d'une femme (Madeleine travestie en Théodore) objet de tentative de séduction par une autre femme (Rosette), le regard ému sur Rosette et l'excitation physique de Théodore.
Et puis vient l'avant dernier chapitre au cours duquel Madeleine, possédée des plus violents désirs, se languissant et avide de voluptés retrouve d'Albert…Mais je n'en dits pas plus…
L'histoire de Madeleine de Maupin est inspirée de la vie véritable et tumultueuse de Julie d'Aubigny, une cantatrice et duelliste du XVIIé siècle.
Un très beau roman aux aspects multiples de Théophile Gautier.


Commenter  J’apprécie          20
Première découverte pour moi d'un auteur, certes célèbre, du 19ème, mais qui jouit actuellement de moins de popularité que ses confrères Zola ou Balzac.

Deux éléments entrent en contradiction dans cette oeuvre: le style et la construction. Là où le style est rempli des recherches précieuses et du choix des mots complexes auxquels nous habitue le siècle du Roman, la construction est innovante et moderne, pleine de rebondissements. le classicisme du style est presque à outrance, et il m'arrive rarement de regarder autant un dictionnaire pour lire un livre. Certaines notes de l'ouvrage m'ont fait a priori comprendre que c'était une habitude prise par Gauthier que de semer certains vocabulaires volontairement obscurs... et parfois même mal orthographiés.

Mais ces lenteurs, qui ont de plus parfois leur charme, sont largement compensées par un récit riche en rebondissements, surtout quand on a pas pris la peine de connaitre l'histoire par avance. le suspense est ménagé, et le lecteur est guidé, comme dans un roman moderne à suspense. L'alternance des narrateurs, l'adresse au lecteur régulière sont des artifices agréables qui relancent l'intérêt de la lecture.

Le sujet central de l'amour est de ceux qui permettent le plus facilement de toucher à l'universalité, de lieu comme d'époque, étant le plus partagé et le plus inchangé de tout temps. Mais certains développements de Gauthier ont une liberté, une hardiesse qui me semblent assez modernes, ne les ayant pas rencontré chez les autres classiques de son époque.

Un auteur à redécouvrir donc, et j'en remercie une amie qui en est la défenderesse farouche, ancienne universitaire qui travaille encore aujourd'hui à la réalisation de certaines sommes sur son auteur fétiche.
Commenter  J’apprécie          190
L'idéal de la beauté et l'idéal de l'androgyne :

Le chevalier d'Albert est un jeune poète débauché à la recherche d'un type féminin dont il veut faire un plat pour sa seule gourmandise…. Mais pas n'importe quel plat ! le meilleur, le plus beau qui soit et rien que pour lui.

D'Albert concentre tout ce qu'on aime pas dans les grandes caricatures d'un poète : celui qui se voit au dessus de tout, sans émotion, froid, indifférent à tout, dédaigne le banal, rejette les salons bourgeois, rejette la vie en quelque sorte.
Quand les poètes ont généralement cette faculté à s'émerveiller de tout, à voir l'extraordinaire dans l'ordinaire, à voir le magique dans la banalité, lui rejette constamment son monde, portant ci et là des jugements sur le monde extérieur, n'appréciant la beauté que dans sa plus grande perfection, ou rien. Il ne recherche que cela, la beauté parfaite qui le rapprocherait de son paradis imaginaire.

Alors il attend, il attend cette beauté idéale. Il sera aidé par son ami épicurien (tout l'inverse d'Albert) qui le pousse dans un grand salon bourgeois où il l'incite à sélectionner une femme de salon.
Une d'entre elles retient son attention : Rosette, car elle est pleine de mystères derrière sa pudeur sans être niaise pour autant. Bien sûr, elle est d'une beauté assez exceptionnelle sans quoi d'Albert n'aurait même pas détourné son attention. Tout s'enchaîne assez vite dans un cadre spatio-temporelle mal défini, on sait seulement que Rosette et d'Albert jouissent momentanément de petites folies romanesques.

d'Albert est temporairement satisfait : il possède une belle maitresse, voila tout. Deux choses lui manquent cependant : leur relation n'est pas fusionnelle, et les petits plaisirs charnelles manquent d'éclats au fil du temps, mais surtout, Rosette n'incarne pas la beauté idéale qu'il désire tant. Oui oui, c'est tout ou rien avec d'Albert, soit il a le meilleur, soit il est fatalement déçu. On pourrait se dire qu'il faut être follement prétentieux pour en être là, mais ce n'est pas tant la prétention qu'un pur caprice d'artiste, celui qui veut la perfection pour la perfection, sans autre motif.

Cette perfection sera comblée par Théodore, un autre mystérieux cavalier qui survient dans l'histoire pour former un trio légèrement malsain entre d'Albert, Rosette et le nouveau venu.
Rosette et Théodore maintiennent depuis longtemps une relation semi-amicale semi-amoureuse, Rosette le désire plus que tout et Théodore la rejette sans s'expliquer.
D'Albert découvre avec émerveillement Théodore, à l'apparence masculine mais disposant de tous les traits féminins dont il rêve. Il en va de même pour sa personnalité qui est également androgyne, combinant les douceurs maternelles à une force et un courage visibles au travers de ses duels, de son habilité à la chasse… 
Théodore bouleverse notre poète débauché qui voit son idéal matérialisé devant lui mais comprime son désir à l'intérieur.
La confusion des genres augmente encore avec une scène de théâtre, littéralement une pièce dans une pièce, jouée par Théodore déguisée en fille où il prononce des phrases énigmatiques pleines de sous-entendus rappelant la situation actuelle vécue entre Théodore et d'Albert.
C'en est trop pour d'Albert qui prend le risque de tout dire à Théodore, il dévoile le mystère, il sait qu'elle se travestit en homme, il lui dit clairement tout en déclarant son amour inconditionnel, un amour superficiel car uniquement fondé sur le physique mais bien réel dans la tête du poète.

Théodore fuit encore, elle qui fuit la vie tout entière. Elle fuit les salons bourgeois où les femmes y sont trop rigides, elle fuit Rosette car c'est une femme et cet amour serait impossible. Elle fuit les hommes car ils sont rustres, brutaux derrière des faux semblants de prince romantique. Elle fuit un temps d'Albert mais … ce dernier a deux originalités, il a découvert son secret et son âme de poète débauché lui plait, elle apprécie ceux qui recherchent un idéal, ce qui l'élève au dessus des autres hommes brutaux.
Elle consent de grâce et lentement une seule et unique nuit à d'Albert, uniquement pour assouvir son rêve, des petites caresses voluptueuses et se volatilise subitement le matin même, dernière fuite.
Théodore s'explique dans une dernière lettre adressée à d'Albert : leur amour était fatalement superficiel, fondé sur la beauté et tôt ou tard une déception, un dégoût réciproque serait apparut, elle préfère donc le délaisser quand l'amour est au plus haut.
C'est une sorte de morale et d'apprentissage à d'Albert, elle le tourmente, le déstabilise mais lui apprend qu'il faudra chercher autre chose qu'un idéal de beauté dans sa vie.

C'est bien Théodore (ou Rosalinde, Mademoiselle de Maupin sous son identité bis) le personnage le plus intéressant du roman, c'est elle qui comprend parfaitement les deux sexes qu'elle tente de concilier en vain par son caractère et son physique androgyne.
D'Albert est têtu du début jusqu'à la fin du livre, il déshumanise totalement les femmes, ce n'est pas qu'il les méprise, c'est qu'il les voit comme des statues, et il recherche seulement la plus belle de ces statues.

Sur le style, c'est un livre qui veut impressionner, c'est un mélange d'emphases, un peu pompeuse parfois, de phrases très directes par le style épistolaire, et de très belles et nombreuses métaphores tout le long du roman. Bref, il y a de l'audace, parfois cela réussit, parfois c'est lourd.

C'est surtout la forme qui là est inacceptable : ce roman est faussement épistolaire. C'est unilatéralement épistolaire, on connait vaguement le destinaire qui n'a aucun intérêt et qui ne répond jamais. Mais surtout, on n'indique jamais l'auteur des lettres, il y en a 17. Certaines lettres émanent d'Albert, d'autres émanant de Théodore…. Sauf qu'on met du temps à s'en apercevoir, on comprend tout de travers souvent juste à cause de ça. Mieux encore, parfois certaines lettres sont des descriptions de l'auteur lui-même, ce qui trouble davantage.
Il aurait été si simple de mentionner l'auteur de chaque lettre mais non ….Cela doit ajouter du charme de ne rien dire — « Débrouillez-vous c'est plus charmant comme ça » — Eh bien non en fait, cela n'apporte rien. Cela rend la lecture très désagréable sauf si vous savez à quoi vous attendre avant la lecture.

Pas de quoi détester le roman non plus, il reste beaucoup d'audace, d'originalité et de superbes métaphores qui à elles seules méritent la lecture.
Commenter  J’apprécie          50

Citations et extraits (108) Voir plus Ajouter une citation
Rien de ce qui est beau n’est indispensable à la vie. - On supprimerait les fleurs, le monde n’en souffrirait pas matériellement ; qui voudrait cependant qu’il n’y eût plus de fleurs ? Je renoncerais plutôt aux pommes de terre qu’aux roses, et je crois qu’il n’y a qu’un utilitaire au monde capable d’arracher une plate-bande de tulipes pour y planter des choux. À quoi sert la beauté des femmes ? Pourvu qu’une femme soit médicalement bien conformée, en état de faire des enfants, elle sera toujours assez bonne pour des économistes. À quoi bon la musique ? à quoi bon la peinture ? Qui aurait la folie de préférer Mozart à M. Carrel, et Michel-Ange à l’inventeur de la moutarde blanche ? Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid, car c’est l’expression de quelque besoin, et ceux de l’homme sont ignobles et dégoûtants, comme sa pauvre et infirme nature.
Commenter  J’apprécie          160
Et puis, ce serait peut-être moi qui cesserais de vous aimer. Je vous ai trouvé charmant ; peut-être, à force de vous voir, vous eussé-je trouvé détestable. Pardonnez-moi cette supposition. En vivant avec vous dans une grande intimité, j’aurais sans doute eu l’occasion de vous voir en bonnet de coton ou dans quelque situation domestique ridicule et bouffonne. Vous auriez nécessairement perdu ce côté romanesque et mystérieux qui me séduit sur toutes choses, et votre caractère, mieux compris, ne m’eût plus paru si étrange. Je me serais moins occupée de vous en vous ayant auprès de moi, à peu près comme on fait de ces livres qu’on n’ouvre jamais parce qu’on les a dans sa bibliothèque. Votre nez ou votre esprit ne m’aurait plus semblé à beaucoup près aussi bien tourné ; je me serais aperçue que votre habit vous allait mal et que vos bas étaient mal tirés ; j’aurais eu mille déceptions de ce genre qui m’auraient singulièrement fait souffrir, et à la fin je me serais arrêtée à ceci : que décidément vous n’aviez ni cœur ni âme, et que j’étais destinée à n’être pas comprise en amour.
Commenter  J’apprécie          90
Rosette témoigna, pour apaiser sa soif, le désir de boire aussi de cette eau, et me pria de lui en apporter quelques gouttes, n’osant pas, disait-elle, se pencher autant qu’il le fallait pour y atteindre. Je plongeai mes deux mains aussi exactement jointes que possible dans la claire fontaine, ensuite je les haussai comme une coupe jusqu’aux lèvres de Rosette, et je les tins ainsi jusqu’à ce qu’elle eût tari l’eau qu’elles renfermaient, ce qui ne fut pas long, car il y en avait fort peu, et ce peu dégouttait à travers mes doigts, si serrés que je les tinsse ; cela faisait un fort joli groupe, et il eût été à désirer qu’un sculpteur se fût trouvé là pour en tirer le crayon.
Quand elle eut presque achevé, ayant ma main près de ses lèvres, elle ne put s’empêcher de la baiser, de manière cependant à ce que je pusse croire que c’était une aspiration pour épuiser la dernière perle d’eau amassée dans ma paume ; mais je ne m’y trompai pas, et la charmante rougeur qui lui couvrit subitement le visage la dénonçait assez.
Commenter  J’apprécie          90
Être beau, c’est-à-dire avoir en soi un charme qui fait que tout vous sourit et vous accueille ; qu’avant que vous ayez parlé tout le monde est déjà prévenu en votre faveur et disposé à être de votre avis ; que vous n’avez qu’à passer par une rue, ou vous montrer à un balcon pour vous créer, dans la foule, des amis ou des maîtresses. N’avoir pas besoin d’être aimable pour être aimé, être dispensé de tous ces frais d’esprit et de complaisance auxquels la laideur vous oblige, et de ces mille qualités morales qu’il faut avoir pour suppléer la beauté du corps ; quel don splendide et magnifique !
Commenter  J’apprécie          151
Je me sens impatiemment attendu dans un coin de la terre, je ne sais lequel. Une âme souffrante m'appelle ardemment et me rêve qui ne peut venir à moi ; c'est la raison de mes inquiétudes et ce qui m'empêche de pouvoir rester en place ; je suis attiré violemment hors de mon centre. - Ma nature n'est pas une de celles où les autres aboutissent, une de ces étoiles fixes autour desquelles gravitent les autres lueurs ; il faut que j'erre à travers les champs du ciel, comme un météore déréglé, jusqu'à ce que j'ai fait la rencontre de la planète dont je dois être le satellite, le Saturne à qui je dois mettre mon anneau. Oh! quand donc se fera cet hymen ? Jusque là je ne peux pas espérer de repos ni d'assiette, et je serai comme l'aiguille éperdue et vacillante d'une boussole qui cherche son pôle.
Commenter  J’apprécie          100

Videos de Théophile Gautier (25) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Théophile Gautier
En 1834, Balzac imagine et commande une canne somptueuse à l'orfèvre parisien le Cointe. La « pomme » en or, finement ciselée des armoiries des Balzac d'Entraigues, qui n'ont aucun lien avec l'écrivain, est ornée d'une constellation de turquoises, offertes par sa bien-aimée Mme Hanska. Cette canne est excessive en tout, et très vite, elle fait sensation parmi journalistes et caricaturistes. C'est la signature excentrique de l'écrivain, la preuve visible et provocante de son énergie et de sa liberté, imposant sa prestance au milieu de la société des écrivains. Pour Charlotte Constant et Delphine de Girardin, amies De Balzac, la canne est investie d'un pouvoir magique…
Pour en savoir plus, rdv sur le site Les Essentiels de la BnF : https://c.bnf.fr/TRC
Crédits de la vidéo :
Direction éditoriale Armelle Pasco, cheffe du service des Éditions multimédias, BnF
Direction scientifique Jean-Didier Wagneur
Scénario, recherche iconographique et suivi de production Sophie Guindon, chargée d'édition multimédia, BnF
Réalisation Vagabondir
Enregistrement, musique et sound design Mathias Bourre et Andrea Perugini, Opixido
Voix Geert van Herwijnen
Crédits iconographiques Collections de la BnF
© Bibliothèque nationale de France
Images extérieures :
Projet d'éventail : l'apothéose De Balzac Grandville, dessinateur, entre 1835 et 1836 Maison de Balzac, BAL 1990.1 CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
La canne De Balzac Orfèvre le Cointe, 1834 Maison de Balzac, BAL 186 CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Sortie des ouvrières de la maison Paquin, rue de la Paix Béraud Jean (1849-1936) Localisation : Paris, musée Carnavalet, P1662 Photo © RMN-Grand Palais / Agence Bulloz
La pâtisserie Gloppe, avenue des Champs-Elysées Béraud Jean (1849-1936) Localisation : Paris, musée Carnavalet, P1733 Photo © RMN-Grand Palais / Agence Bulloz
Balzac à la canne Illustration pour Courtine, Balzac à table, Paris, Robert Laffont, 1976 Maison de Balzac, B2290 CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Balzac, croquis d'après nature Théophile Gautier, 1830 Maison de Balzac, BAL 333 CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Portrait-charge de Balzac Jean Pierre Dantan, sculpteur, 1835 Maison de Balzac, BAL 972 CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Honoré de Balzac Jean-Théodore Maurisset, graveur, 1839 Maison de Balzac, BAL 252 CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Balzac en canne Jean-Théodore Maurisset, graveur, 1839 Maison de Balzac, BAL 253 CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Comtesse Charlotte von Hardenberg Johann Heinrich Schroeder (Boris Wilnitsky) Droits réservés
Delphine Gay (Portrait de Delphine de Girardin) Louis Hersent, 1824 Musée de l'Histoire de France © Palais de Versailles, RF 481
+ Lire la suite
autres livres classés : classiqueVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (474) Voir plus



Quiz Voir plus

Le pied de momie

Le narrateur de la nouvelle est :

un parisien
un marchand
un prince

10 questions
362 lecteurs ont répondu
Thème : Le pied de momie et autres récits fantastiques de Théophile GautierCréer un quiz sur ce livre

{* *}