Mademoiselle de Maupin /
Théophile Gautier
Roman épistolaire (sauf pour l'avant-dernier chapitre !) publié en 1835, ce récit raconte la vie de Madeleine de Maupin et ses aventures galantes.
Sorte de manifeste du Parnasse et de la doctrine de l'art pour l'art dont Gautier est le précurseur, ce texte est devenu célèbre aussi par ses deux préfaces qui fustigent les visions moralistes ou utilitaires de la littérature.
La première préface s'avère être une polémique acide à l'encontre de certains journalistes et critiques littéraires que
Théophile Gautier juge trop vertueux. Certes, la vertu est assurément quelque chose de fort respectable, mais il semble à l'auteur naturel de lui préférer, surtout lorsque l'on a vingt ans, « quelque petite immoralité bien pimpante, bien coquette, bien bonne fille, la jupe plutôt courte que longue, la joue légèrement allumée, le rire à la bouche et le coeur sur la main. » Et d'ajouter que penser une chose et en écrire une autre, cela arrive tous les jours, surtout aux gens vertueux.
L'institutionnalité des plus méritoires de la feuille de vigne pour dissimuler ce que l'on ne saurait voir, est d'un ridicule affirme l'auteur qui poursuite en écrivant : « J'avoue que je ne suis pas assez vertueux pour défendre la feuille de vigne. Dorine, la soubrette effrontée, peut très bien étaler devant moi sa gorge rebondie, certainement je ne tirerai pas mon mouchoir de ma poche pour couvrir ce sein que l'on ne saurait voir. Je regarderai sa gorge comme sa figure et si elle l'a blanche et bien formée, j'y prendrai plaisir. »
La grande affectation de morale qui touche ces journalistes serait fort risible si elle n'était pas fort ennuyeuse ! Et à chacun de ces prédicateurs qui ne sauraient que faire sans le vice, ne manque que la tonsure et le petit collet. Hypocrisie et envie sont les marques de ces grimauds
Au terme de cette diatribe aux allures de pamphlet, Gautier ajoute avec humour : « Si vous voulez lire mon livre, enfermez-vous soigneusement chez vous ; ne le laissez pas trainer sur la table. S votre femme et votre fille venaient à l'ouvrir, elles seraient perdues. Ce livre est dangereux, il conseille le vice. »
Une seconde préface nous livre la pensée de l'auteur quant au rôle de l'utile et de l'inutile. L'art doit être indépendant et inutile et ne viser que le beau. Et pour Gautier, la jouissance lui parait le but de la vie, la seule chose vraiment utile au monde. Tout un chapitre au style somptueux pour vouer les critiques littéraires aux gémonies avant que ne commence le roman proprement dit.
En résumé, les préfaces sont une oeuvre à part entière et ont fait date dans l'histoire littéraire. Sur un ton enlevé, perfide et caustique, l'auteur attaque les bien-pensants, représentants de la tartufferie et de la censure et ceux qui voudrait absolument voir un côté utile dans une oeuvre littéraire, alors que l'art n'est pas assujetti à la morale ou à l'utilité pour ne s'allier qu'à la notion de plaisir. »
D'Albert, le personnage qui s'exprime épistolairement, recherche le beau et par là-même la belle. Il ne demande aux femmes que d'être belles.
« O beauté ! nous ne sommes créés que pour t'aimer et t'adorer à genoux si nous t'avons trouvée. Nous cherchons tous à t'élever un autel, l'amant dans sa maîtresse, le poète dans son chant, le peintre dans sa toile, le sculpteur dans son marbre.»
À son lecteur et ami d'enfance, il fait part du linceul d'ennui qui l'entoure et de la monotonie des jours. Il n'a nonobstant pas toujours le calme doux et triste que donne habituellement la mélancolie, alors il court pour n'aller nulle part et attend. Il attend de trouver la maitresse de ses rêves et se confie : « Je désire frénétiquement ce que je désire, sans toutefois rien faire pour me le procurer…J'ai vingt-deux ans et je ne suis pas vierge… Une maîtresse pour moi, c'est comme la robe virile pour un jeune Romain. »
Sa rencontre, il l'appelle Rosette car il ne sait son prénom, elle a vingt-six ans, bien en chair, la gorge ronde et petite, n'ignore rien de la vie et pas encore blasée. Un corps de vierge, une âme de fille de joie. « C'est un âge charmant pour faire l'amour comme il faut, sans puérilité et sans libertinage. »
Il écrit à son ami qu'il a trop rêvé à des sylphides vaporeuses. Et plus tard en parlant de Rosette il ajoute : « Elle a de petits raffinements de volupté on ne peut plus délicats, et ce grand art de paraître se faire extorquer ce qu'elle accorde très librement : ce qui donne à chacune de ses faveurs le charme d'un viol. »
Mais la suite n'est pas à la hauteur de ses espérances et Rosette ne saurait être la maîtresse en titre de ce despote de type oriental, juste un instrument de volupté bien qu'elle soit attentive, caressante et parfaitement fidèle- : « Mon âme ne s'est jamais unie avec cette âme. Cupidon, le dieu aux ailes d'épervier, n'a pas embrassé Psyché sur son beau front d'ivoire… »
On peut remarquer dans l'extrait à suivre, le style très imagé et emphatique de l'auteur :
« O célestes créatures , belles vierges frêles et diaphanes qui penchez vos yeux de pervenche et joignez vos mains de lis sur les tableaux à fond d'or des vieux maîtres allemands , saintes des vitraux , martyres des missels qui souriez si doucement au milieu des enroulements des arabesques , et qui sortez si blondes et si fraîches de la cloche des fleurs ! – ô vous , belles courtisanes couchées toutes nues dans vos cheveux sur des lits semés de roses , sous de larges rideaux pourpres , avec vos bracelets et vos colliers de grosses perles , votre éventail et vos miroirs où le couchant accroche dans l'ombre une flamboyante paillette ! – brunes filles du Titien , qui nous étalez si voluptueusement vos hanches ondoyantes , vos cuisses fermes et dures , vos ventres polis et vos reins souples et musculeux ! – antiques déesses , qui dressez votre blanc fantôme sous les ombrages du jardin ! – vous faites partie de mon sérail ; je vous ai possédées… » Et plus loin : « O beauté ! nous ne sommes créés que pour t'aimer et t'adorer à genoux, si nous t'avons trouvée, nous cherchons tous à t'élever un autel , l'amant dans sa maîtresse , le poète dans son chant , le peintre dans sa toile , le sculpteur dans son marbre. »
Et d'Albert face à la tendresse et la complaisance de Rosette se demande comment diable il pourrait quitter une femme aussi adorable sans avoir l'air d'un monstre ! Que deviendra Rosette ?
L'auteur ensuite nous transporte dans une temporalité ultérieure qui voit un certain Théodore recevoir Rosette. En fait, Théodore est Madeleine de Maupin, travestie en homme pour surprendre les secrets des hommes tout en poursuivant par ailleurs ses aventures galantes. D'Albert qui peu à peu soupçonne la vérité tombe amoureux de Théodore/ Madeleine dont, sous sa forme Théodore, est tombée amoureuse Rosette. Il confie son trouble à Sylvio, son meilleur ami, dans une belle et longue lettre.
D'Albert parviendra-t-il à faire de Madeleine son amante ? Une série de lettres, de l'un et de l'autre, homme et femme, nous raconte la suite avec le grand art dont
Théophile Gautier a le secret.
Quelques réflexions de d'Albert peuvent nous interpeler quand on songe à notre époque : « Je ne sais pas, en vérité, pourquoi les femmes tiennent tant à être regardées comme des hommes ! . »
Une lettre de Madeleine de Maupin à son amie Graciosa est particulièrement intéressante quand elle lui confie ce qu'elle a observé des hommes qui la côtoyaient lorsqu'elle était travestie en Théodore. Et les situations cocasses rencontrées par Madeleine ainsi travestie sont légion, narrées au fil des missives. Notamment dans sa relation avec Rosette.
Madeleine écrit : « Elle se mit à m'aimer avec une naïveté et une conscience admirables, de toute la force de sa belle et bonne âme , de cet amour que les hommes ne comprennent pas et dont ils ne sauraient se faire même une lointaine idée , délicatement et ardemment , comme je souhaiterais d'être aimée. Mais la plus belle fille ne peut donner que ce qu'elle a , et ce que j'avais n'eût pas été d'une grande utilité à Rosette . Deux choses l'étonnaient en moi , et elle remarquait dans ma conduite des contradictions qu'elle ne pouvait concilier : c'était ma chaleur de paroles et ma froideur d'action … La douce chaleur de son corps me pénétrait à travers ses habits et les miens. Ma situation devenait fort embarrassante et passablement ridicule. je ne savais pas de quel bois faire flèche . Cet ardent désir m'échauffait de sa flamme , et je n'étais guère moins troublée que ma pauvre amoureuse . Je n'avais pas encore eu d'amant ; et ces vives attaques , ces caresses réitérées , le contact de ce beau corps , ces doux noms perdus dans des baisers me troublaient au dernier point , – quoiqu'ils fussent d'une femme ; – et puis cette visite nocturne , cette passion romanesque , ce clair de lune , tout cela avait pour moi une fraîcheur et un charme de nouveauté qui me faisaient oublier qu'au bout du compte je n'étais pas un homme … Que de fois j'ai souhaité être véritablement un homme comme je le paraissais ! Que de femmes avec qui je me serais entendue , et dont le coeur aurait compris mon coeur… »
Remarquable aussi la description faite par Théodore/Madeleine des sentiments d'une femme (Madeleine travestie en Théodore) objet de tentative de séduction par une autre femme (Rosette), le regard ému sur Rosette et l'excitation physique de Théodore.
Et puis vient l'avant dernier chapitre au cours duquel Madeleine, possédée des plus violents désirs, se languissant et avide de voluptés retrouve d'Albert…Mais je n'en dits pas plus…
L'histoire de Madeleine de Maupin est inspirée de la vie véritable et tumultueuse de Julie d'Aubigny, une cantatrice et duelliste du XVIIé siècle.
Un très beau roman aux aspects multiples de
Théophile Gautier.