Ah, ce noir et blanc, si magique, si intemporel ! Je m'aperçois que je restais souvent à béer devant les présentoirs de cartes postales sans savoir que certaines images, étaient de
Willy Ronis. D'une fraîcheur éblouissante, elles ont fait le tour du monde. Tandis que je feuillette l'album, le coeur me bondit d'émotion, d'allégresse, parce qu'il aime ce que j'aime, il capte ces choses minuscules…
Le métro aérien, le pavé brillant la nuit, les réverbères d'un escalier de Montmartre, une chaumière, des charpentiers, des mécaniciens, des grévistes, une colonie de vacances, un camping, une chambre avec un piano et un violon, des skieurs, le retour des prisonniers, des marchandes de frites, les adieux, les bistrots, des joueurs des cafés, des caveaux, des bals populaires, les péniches, la rambarde d'une fenêtre, la vieille dame dans un parc embroussaillé… Que j'adore ses plans, ses perspectives, ses champs d'observation, où son point de vue piquant renforce le caractère de chaque scène !
Willy Ronis fait résonner les
paroles et les accords secrets, enterrés dans nos mémoires douces-amères. Il a glissé l'illusoire dans le banal sans jamais étouffer la particularité sous l'emblème.
Willy Ronis est au service de son temps, il en a embrassé les goûts, les exaltations et le moralisme. Mais le chroniqueur a dégagé de ce qui s'évapore et s'oublie quelque chose d'impérissable. Militant (
Willy Ronis exprime son engagement politique pour le parti communiste déjà en 1923 alors qu'il a seulement 13 ans), certes, mais immense humaniste et esthète. Ses photos transmettent de l'amour pour ses modèles. Malgré l'aisance et la rapidité apparentes, avec lesquelles les spectateurs peuvent les décrypter, elles ne sont nullement faciles ni sentimentales et sont dignes des meilleures oeuvres de la photographie humaniste de tous les temps et de tous les pays.
Dans ses spectacles de rues parisiennes, nous remarquons une curieuse absence de hiérarchie et de jugement de valeur.
Willy Ronis sait montrer toute une manière de vivre à partir d'un simple moment, riche d'un infini de significations. Les
photographies de
Willy Ronis expriment avec naïveté son univers personnel, c'est un cheminement, tout doux, vers une allégorie du bonheur humble et discret. Est-ce le secret de sa longévité ? Car il disparaît à l'âge de 99 ans !
Il faut retenir l'année 1970 dans l'histoire de la photographie, c'est le début des Rencontres Internationales de la Photographie d'Arles. On y découvre enfin
Willy Ronis, ce personnage très communicatif, passionné, ce Parisien exilé dans le Vaucluse, alors sexagénaire, qui se concentre sur l'enseignement (la maîtrise de l'outil et avant tout la culture photographique, et cela dans une époque où l'enseignement de la photographie est quasi inexistant !). C'est le catalyseur de sa carrière. Et là, sa toute première publication « Belleville Ménilmontant » (avec les textes de
Pierre Mac Orlan, Éditions Arthaud, Paris, 1954) devient introuvable ! Ce n'est plus un flop commercial qui l'a mené à un dur découragement voire une véritable crise… Depuis
Willy Ronis met les bouchées doubles, signe plus de 25 ouvrages (Sur le fil du hasard, Mon Paris,
Toutes belles etc.) et connaît une avalanche d'honneurs.
Face à une foule en mouvement, qui se compose et se décompose sans cesse,
Willy Ronis guette l'instant où tous les regards s'harmoniseront. « le fantastique social, faute de mieux pour désigner un romantisme récent. Cette présence de la force poétique et mystérieuse de la vie quotidienne, je la retrouve dans vos
poèmes de la rue… », déclare l'écrivain
Pierre Mac Orlan à
Willy Ronis.
Voici seulement quelques-uns de ses détails biographiques qui m'ont particulièrement marquée. Né au pied de la Butte Montmartre d'un père ouvrier photographe et retoucheur de clichés, et d'une mère professeur de piano,
Willy Ronis s'imprègne de l'univers musical, de bel canto, des concerts symphoniques, et se passionne pour le dessin. Très tôt, il visite le musée du Louvre tout en aidant son père dans de menus travaux dans son studio-magasin boulevard
Voltaire. Son père lui offre son premier Kodak à l'occasion de ses 16 ans.
Il étudie la philosophie à Louis le Grand, déambule dans le Quartier Latin, où il fait de bouleversantes rencontres visuelles. Très vite il rejette le goût petit-bourgeois de la clientèle du magasin familial et se lance dans la redoutable photographie indépendante. En 1941, ses origines juives l'obligent à rejoindre précipitamment la zone non occupée, mais il sera le seul rescapé du groupe… Là, il fait connaissance de
Jacques Prévert, à Nice, où il exerce tour à tour plein de métiers différents.
Peu après la libération,
Willy Ronis rentre à Paris. Il épouse Marie-Anne Lansiaux, artiste peintre. le monde ouvrier est un axe majeur de son oeuvre. Sa franchise, ses opinions affirmées font qu'il refuse de collaborer avec Life, par exemple, et travaille en totale indépendance. C'est une question morale… parce que Life n'accepte pas que ses légendes accompagnent ses images !
En 1988, il perd son fils Vincent, qui a souvent été le sujet de ses oeuvres, dans un accident de deltaplane.
Le livre est trilingue (anglais, allemand et français). La colonne en français, aux petits caractères d'imprimerie, est difficile à trouver ! Ce qui est amusant, c'est que les scènes similaires (tout en étant lointaines ) sont comparées et placées l'une en face de l'autre tout le long de l'album. L'ouvrage comporte plusieurs chapitres : La période de l'entre-deux-guerres, Paris, Banlieue, France, Ailleurs, Portraits de personnalités et, pour couronner l'ouvrage, Nus féminins. Il est plutôt court de texte, parfait pour une première découverte de l'oeuvre de Ronis. Son auteur,
Jean-Claude Gautrand, photographe lui-même, journaliste, écrivain, commissaire d'expositions et historien de la photographie, nous rappelle cette grande vérité, c'est que l'appareil photo est un stylo et la photographie est une écriture. Cet album nous donne des ailes, il donne envie de sortir son « stylo » et partir en aventure, déjà au coin de la rue…