Anthony Buzetti appréciait le fait que son bureau n'eut pas de fenêtres. C'était à travers l'une d'elles que l'on avait abattu son frère ainé d'un coup de feu, et sa mère s'était jetée d'une autre fenêtre en apprenant la nouvelle.
Le principal défaut du curé, c'était d'écouter de façon délibérée les conversations qui ne lui étaient pas destinées ; il trouvait que les ragots constituaient les sons les plus intéressants que produisait l'âme humaine, non pas pour les vérités qu'ils pouvaient contenir, mais pour ce qu'ils révélaient du caractère de ceux qui les propageaient.
Randolph comprit alors ce cliché selon lequel les nouvelles, comme le poisson, n’ont de valeur que tant qu’elles sont fraîches.
J'ai tué beaucoup d'hommes ce jour- là Rando. J'ai appris à loger une balle de .30-06 juste au-dessous de la visière d'un casque, et cet après-midi là, c'était comme si je faisais exploser des potirons dans un champ, mais chaque potiron était un Dieter ou un Fritz qui avait dans la tête des pensées semblables aux miennes.
Cette pensée ne lui apporta nul réconfort; cependant, elle lui donnait un aperçu du puits abyssal rempli de sombres pressentiments dans lequel tombait son frère chaque fois qu'il ouvrait les yeux sur une aube nouvelle.
Il savait que le monde des humains n'était qu'une installation temporaire, un ouvrage de pacotille qui exploitait la nature avant d’être lui-même absorbé par le monde qu'il avait tenté de détruire.
Par-dessus le toit métallique abrupt d’une maison de trappeur, le patron de la scierie regardait une forêt de cyprès d’une hauteur considérable, n’appartenant pas à sa parcelle, et il passait le temps à calculer le volume de bois-d’œuvre qu’il pourrait en tirer.
Byron suivit son regard.
« Tu veux abattre tous les arbres de la Terre ?
-Il y en a pour une fortune, devant nous.
-Une forêt, c’est utile à autre chose qu’à fabriquer des volets et des bardeaux »
Son frère le considéra d’un air ébahi.
« À quoi, par exemple ?
-Eh bien, c’est beau à regarder, ne serait-ce que ça. »
Randolph se tourna de nouveau vers les arbres et fronça les sourcils.
« À regarder pour quoi faire? »
— On n’apprend pas à un vieux chat à se lécher le cul.
[Version moins soft que le vieux singe et les grimaces]
— J'ai compris que notre première vague d’assaut, lourdement chargée, était censée se faire faucher par l’artillerie allemande et rester coincée dans les barbelés, nos corps servant de dépôts d’armes pour les vagues suivantes, tu vois ? C’est à ce moment-là que j’ai su ce que valait une vie humaine aux yeux d’un de ces maudits généraux.
La dernière image que Randolph emporta de Nimbus, vue par-dessus la tête de Byron qui faisait le ludion, fut celle du cheval fixant sans le voir le phonographe mal calé, un animal trahi et abandonné, mais dont le pelage luisait sous le soleil radieux , et entouré de hautes herbes qui jaillissaient autour de lui d'un monde délabré.