Hume était à bien des égards le type parfait de l'homme cultivé de son temps. Il ne se distinguait de ses congénères que par son exceptionnelle audace intellectuelle. Né en Ecosse en 1711 dans un milieu protestant sévère, il n'avait pas vingt ans qu'il s'était détaché de la foi par la seule force du raisonnement et avait conçu les principes de sa philosophie sceptique : c'est en effet à dix-neuf ans qu'il fit paraître sa première oeuvre maîtresse, le Traité de la nature humaine. L'ouvrage était si abstrait de pensée et si difficile d'écriture que peu de gens le comprirent : selon les propres termes de Hume, "il tomba de la presse mort-né".
Chapitre 3. En Quête de la société idéale
Cependant, de toutes les causes qui ont contribué au XVIIIe siècle à refouler les préoccupations religieuses vers la périphérie de l'existence, aucune n'a peut-être té plus puissante que la sécularisation croissante de la religion elle-même. Entraînés par le nouvel esprit de la recherche, les prêtres et les ministres du culte -calvinistes, luthériens aussi bien que catholiques- commencèrent à considérer l'histoire de leurs propres églises et de celles de leurs rivaux avec un certain détachement critique et souvent un scepticisme narquois. (...)
C'est en Angleterre que les étapes de cette singulière évolution de la pensée religieuse, de la croyance au scepticisme, peuvent être le plus facilement retraces. Au XVIIIe siècle, les platoniciens de Cambridge, petit groupe d'ecclésiastiques et de professeurs de l'Université de Cambridge, commencèrent à déplorer ouvertement l'extravagance et l'hypocrisie des disputes doctrinales entre sectes. Ils proposèrent de réduire le message chrétien à quelques propositions relativement simples et relativement raisonnables.
Le christianisme, affirmaient-ils, est essentiellement la pratique de la raison et l'exercice de la vertu, associés à la contemplation mystique. La raison et la foi ne sont pas contradictoires, mais concordantes : la raison conduit à la foi ; la foi rehausse la valeur de la raison.
Chapitre 2. Une religion rationnelle
Le Christianisme raisonnable de Locke préconise la tolérance à l'égard des minorité religieuses ( à l'exception des athées, dont la parole, dit Locke, ne saurait faire foi en justice, et des catholiques, qu'il considère comme les agents d'une puissance étrangère. Il prêche la modestie en face des mystères de la nature et tient la révélation pour une extension de la raison. Les miracles, estime-t-il sont des phénomènes naturels qui ont seulement une apparence surnaturelle parcequ'ils sont au-delà de notre compréhension. De même , s'il ne nie pas la vérité du christianisme, il soutient que la doctrine chrétienne peut se ramener à une proposition unique : à savoir que Jésus-Christ est le Messie. Quant au reste de ce que l'on enseigne aux chrétiens à accepter pour vrai, Locke n'y voit qu'une fiction _l'invention de prêtres superstitieux ou avides de pouvoir.
Chapitre 2. Une religion rationnelle
A travers les siècles, les théologiens s'étaient péniblement efforcés de préciser le sens de certains textes et d'accorder entre elles les nombreuses versions des vies des saints mais , jusqu'à la Renaissance, personne , même parmi les chrétiens les plus cultivés, n'eût songé à mettre en question des récits de visions extraordinaire et d'événements miraculeux. C'est avec les progrès de l'humanisme que l'esprit critique fit son apparition et que des érudits commencèrent à écarter les versions interpolées et à épurer le texte des Ecritures. Au XVIIe siècle, une petite cohorte d'érudits d'une haute piété -Jésuites flamands et Bénédictins français pour la plupart- soumirent à une révision sévère toutes sortes de documents religieux, et finalement la Bible elle-même.
Chapitre 2. Une religion rationnelle
De là à la position des déistes -selon lesquels la seule preuve de l'existence de Dieu est dans ses oeuvres visibles- il n'y avait qu'un pas. Les déistes eurent tôt fait de le franchir. Mais les idées de Locke marquèrent aussi les chrétiens orthodoxes, et sa théologie raisonnable influença l'église anglicane durant tout le XVIIIe siècle. Cette popularité ne fut d'ailleurs pas due au seul prestige de ses idées religieuses : le rationalisme et l'appartenance aux classes supérieures allèrent souvent de pair, alors que que l' "enthousiasme" tendit à s'identifier au comportement des classes inférieures; or, l'église anglicane était précisément celle à laquelle se rattachaient de préférence les Anglais riches, cultivés et de bonne famille.
Chapitre 2. Une religion rationelle