De qui préférons-nous tenir ? du chimpanzé ou du bonobo ?
Le roman de
Jean Teulé a fait son petit effet en son temps, et je ne suis pas sûr qu'il ait valu à son auteur une grosse côte de popularité de la part des périgourdins ! Il faut reconnaître que les faits, avérés historiquement, ne livrent pas une image paisible des autochtones du nord Dordogne de cette époque. Une image que leurs... descendants(?) n'apprécient sûrement pas qu'on mette en avant...
Une image qui cadre mal avec la douceur de vivre d'une campagne vallonnée réputée pour sa douceur de vivre, le foie-gras qu'on y cuisine, les noix, les cèpes et la truffe qu'on y récolte, le Bergerac , le Pineau, le Cognac ou quelque autre nectar plus ou moins fermenté qu'on y peaufine et consomme avec plus ou moins de modération.
Il est d'ailleurs fait allusion page 24 à un cépage appelé Noah qui entrait à l'époque en Périgord dans la composition des nectars précités. Un cépage goûteux à forte teneur en sucre dont la culture fut interdite et les plants arrachés au 20e siècle, quand le corps médical eût démontré sa toxicité pour le système nerveux après fermentation...
Il faisait chaud cet été là, en 1870. Très chaud, même. La sécheresse sévissait depuis des mois et pour la population rurale locale c'était une calamité. A la foire de Hautefaye où traînaient quelques centaines de badauds, une bonne poignée de soiffards s'était déjà pas mal consolée avec une cuvée de Noah, précisément.
Concours de circonstance, c'est à ces soiffards qu'Alain de Money dut son calvaire et son incroyable supplice, pour une allusion à la guerre qu'il fit sans penser à mal et que ces quelques excités prirent pour du défaitisme. Et quel calvaire, quel supplice ! Roué de coups des heures durant, torturé puis brûlé et enfin même un peu mangé, on peine à le croire et c'est pourtant vrai !
Le plus incroyable dans cette histoire c'est l'effet boule de neige, car cette poignée de furieux "patriotes" entraîna vers la complicité active un nombre invraisemblable de suiveurs qui torturèrent toute une longue après-midi d'été ce pauvre de Money, le traînant de place en place pour un chemin de croix pour le moins... diabolique.
Mettre ce chemin de croix en images était une gageure et Gelli s'est mesuré au défi avec brio, je trouve. Son graphisme schématique monochrome est très efficace en noir et blanc, "rehaussé" de moins en moins discrètement par des éclaboussures de rouge, bien sûr.
La dramaturgie franchit les limites du supportable avec notamment l'orgie meurtrière collective dans la bergerie, "agrémentée" d'une scène de copulation très...dérangeante. On se demande s'il fallait oser les images mais Gelli l'a fait, jusqu'au bout, jusqu'au bûcher, jusqu'au cannibalisme.
A-t-il bien fait ? Je ne sais pas.
Ai-je bien fait de prendre cette BD dans ma petite bibliothèque du nord Dordogne où je vis ? Je ne sais pas.
Quoi qu'il en soit, fasciné, j'ai lu et regardé jusqu'au bout, incrédule bien que je connaisse l'histoire, bien que j'aie lu le livre de
Teulé et vu à Paris la pièce qu'il en a tirée.
La mise en images est ici au moins aussi efficace, sinon plus, que le livre et la pièce ! Oui, avec sa BD, l'audacieux Gelli m'a chopé plus encore que ne l'avait fait
Teulé, je crois.
Les faits-divers sordides ont un indéniable pouvoir d'attraction pour nombre de citoyens ordinaires, dont je suis pour le coup.
Peut-être se demande-t-on inconsciemment l'attitude qu'on aurait eu, si on avait été mis en présence d'une telle folie collective ?
L'homme, parfois bonne pomme, est aussi parfois un drôle de... bonobomme !