Non, n'en déplaise à Sartre, l'Enfer ce n'est pas les autres! Et la geôle n'est pas le reflet symétrique de cet enfermement étouffant auquel non condamne, de façon moins claustrophique, la société des hommes...La privation de liberté, ce n'est pas la punition suprême! La taule ce n'est pas la loose, quoi, je ne sais pas comment vous le dire, à la fin!
Non, pour Genet, la prison c'est le paradis, la porte ouverte -eh oui!- sur une transcendance dont le crime détient la clé .
Depuis sa fascination pour Pilorge, sacralisé dans le Condamné à mort, les assassins, les tueurs ont la cote, dans l’œuvre de Genet, surtout , comme ici, quand on n'est que deux vulgaires petits délinquants et que ce tueur dont , par chance, vous partagez la cellule, s'appelle Yeux-Verts!
Voilà le thème de Haute surveillance, une grande claque pour la bien-pensance et un vrai pavé dans la mare des idées reçues...
Mais le texte est plus fin que cela, plus retors aussi , jouant comme toujours chez Genet, avec ce qui est" in" , ce qui est "out", comme dirait Gainsbourg.
Le monde extérieur existe par les mots: il y a des femmes, une surtout, celle d'Yeux-Verts que les deux petits malfrats convoitent fantasmatiquement, il y a même un "out' dans le "in": un certain Boule-de-Neige, qu'on ne voit pas, et qui dispute à Yeux-Verts sa pourpre de monarque du crime et de la zonzon!
Un monde obscur, codé, plein de chausse-trappes et de tiroirs se dessine: les rivalités hétérosexuelles, masquent de façon transparente les jalousies homosexuelles. La prison est un monde où l'on étouffe de solitude, mais où le malheur, le crime de sang, la peine de mort, sont la couronne, le sceptre qui redonne aux déchus leur dignité perdue.
Beau et troublant.
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Yeux-Verts :
... les choses se sont mises à bouger. Il n'y avait plus rien à faire. Et pour cela il avait fallu que je tue quelqu'un. C'est votre tour. L'un de vous descendra ma femme. mais faites attention. J'ai tout préparé pour vous, je vous donne votre chance. Moi, j'ai fini. Rentier, je pars pour le monde des chapeaux de paille et des palmiers. Recommencer une vie c'est facile, vous verrez. Je m'en suis rendu compte dès le moment que j'ai tué la fille. J'ai vu le danger, mais, heureusement, après. Vous me comprenez ? Le danger de me retrouver dans la peau d'un autre. Et j'ai eu peur. J'ai voulu revenir en arrière. Halte ! Impossible ! J'ai fait des efforts. Je courais à droite et à gauche. Je me tortillais. J'essayais toutes les formes pour ne pas devenir un assassin. Essayé d'être un chien, un chat, un cheval, un tigre, une table, une pierre ! J'ai même, moi aussi, essayé d'être une rose ! Ne riez pas. J'ai fait ce que j'ai pu. Je me contorsionnais. Les gens disaient que j'étais convulsionnaire.
Yeux-Verts :
Tout a été de plus en plus poli avec moi. Je prétends que dans la rue un homme m'a salué en soulevant son chapeau.
Maurice :
Yeux-Verts, calme-toi.
Lefranc, (à Yeux-Verts) :
Continue. Raconte.
Maurice :
Non, arrête-toi. Ce que tu racontes l'excite. Ça le gagne. (A Lefranc :) Le malheur des autres, tu le digères.
Yeux-Verts, (sentencieux ou idiot) :
Je vous explique. Il a soulevé son chapeau. C'est à partir de là que toutes les choses ...
Lefranc, (implacable) :
Précise.
Le texte inédit d'un auteur culte.
Juin 1942. Jean Genet est incarcéré à la prison de Fresnes, condamné à huit mois de réclusion pour vol de livres. À trente et un ans, le détenu n'a encore rien publié ; mais la cellule est un lieu propice à l'éclosion de son talent littéraire. Il y écrit son premier roman, "Notre-Dame-des-Fleurs", et le long poème "Le Condamné à mort".
L'attrait du théâtre se fait déjà sentir, comme en témoigne "Héliogabale", ce drame à l'antique dont un manuscrit a été enfin retrouvé à la Houghton Library. L'existence de cette pièce était attestée, Genet l'ayant fait lire à quelques proches et ayant exprimé le souhait qu'elle soit publiée et créée — avec Jean Marais dans le rôle-titre. Rien de cela n'eut lieu et l'écrivain n'y revint plus.
Voilà donc, plus de quatre-vingts ans plus tard, la mise en scène des dernières heures d'Héliogabale, jeune prince romain assassiné, telles que Genet les a rêvées et méditées.
Au travers de cette figure solaire, hautement transgressive et sacrificielle, à laquelle Antonin Artaud avait consacré un essai flamboyant en 1934, Genet aborde les thèmes qui lui sont chers, dans les règles de l'art mais en laissant affleurer un lyrisme bien tenu : le travestissement et l'homosexualité, la sainteté par la déchéance, la beauté par l'abjection. Un envers du monde social où l'auteur, apprenti dramaturge, entend déjà trouver ses vérités, situer son oeuvre à venir et inventer sa propre légende.
Découvrir "Héliogabale" : https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/La-Nouvelle-Revue-Francaise/La-Nouvelle-Revue-Francaise524
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