Il reprit, d'une voix plus douce, dans un élan idéaliste qui le surprit lui-même :
- Je ne veux pas seulement empêcher de nouveaux crimes, je veux que tout le monde sache et que les coupables paient. Et les sauver. Tous.
Lauryn Bower ne se départit pas de son sourire :
- Oh, un chevalier blanc ! Comme c'est touchant. Quand les médias ont un court temps lié votre nom à celui d'Abia Cler, je me suis renseignée à votre sujet, inspecteur. Cette recherche obstinée de la vérité, cette volonté d'aider le plus faible, ce n'est pas vraiment votre genre. Ou par orgueil, peut-être. Vous n'aimez pas avoir l'impression que l'on se moque de vous. Mais ça ne suffit pas. Allons, racontez-moi, quelles sont vos vraies raisons ?
Quelle manipulatrice, pensa Gabriel, agacé. Et perspicace en plus. Une chose était sûr : quoi qu'elle ait fait, elle n'en ressentait aucune culpabilité.
Les horloges, trop nombreuses pour ne pas être oppressantes, rappelaient avec une efficacité cynique que les agitations de l'Homme demeureraient toujours de vaines fuites face à la course du temps. Les habitants de Prime pouvaient se croire supérieurs, indispensables, ils n'étaient pas différents des autres. Que ce soir sur ce coûteux pavage ou dans la brousse d'Africa, leurs pas les conduisaient tous à la mort.
Le macchabée, ou ce qu'il en restait, semblait vraiment présent au cœur du commissariat. La qualité de l'imagerie avait de quoi impressionner. On aurait cru pouvoir le toucher, tout comme on avait la sensation de réellement marcher dans les larges taches de sang sur le sol.
Du sang partout. Sur le sol, le bureau, les murs, jusqu'au plafond, comme si un artiste illuminé avait lancé des seaux de peinture rouge au hasard de ses envies.
Les pavés offraient un aspect luxueux, mais froid,et restaient silencieux sous les pas. L’inspecteur ignorait quelles matières hors de prix les constituaient. Il savait juste que, malgré les nombreux passants, avec les moteurs au berkélium tout-à-fait inaudibles et ce sol particulier, le quartier prisonnier d'une chape de silence ressemblait à une ville morte.
D'harmonieuses variations lumineuses multicolores à ses pieds lui apprirent que la batterie neuve de son mobiter était prête à l'emploi. Il soupira en regardant avec animosité le mini ordinateur anthracite flambant neuf qui semblait se tapir, provocant, sous son bureau, tel un petit animal sournois.
Sous elle la jeune femme voyait se dérouler le long ruban brillant où les voitures se poursuivaient en rivière de perles colorées. Observé à plusieurs mètres de hauteur, le spectacle dégageait une étrange beauté surréaliste. Régulièrement, surgissaient au-dessus de la mer d'immeubles, des ensembles architecturaux à la structure inattendue, parfois magnifiques d'imagination et d'harmonie, parfois semblant échappés de la cervelle de quelque concepteur mégalomane.
Le silence de l'appartement le frappa de plein fouet, plus encore que l'odeur lourde du sang. La lumière aussi. C'était presque indécent d'imaginer un crime sous une si belle et chaleureuse lumière.