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EAN : 9782020058056
280 pages
Seuil (01/03/1981)
3.48/5   22 notes
Résumé :
En Rouergue, au fort des guerres de religion, quelque dix-huit mois avant l’édit de paix d’Amboise (1563), un gentilhomme surnommé Sanglar (sanglier) a recruté une bande de soldats de fortune pour qui la guerre contre les huguenots est d’abord l’occasion de piller des « villes gagnées ». Au retour d’une expédition, ils arrivent un soir, en amis, dans un mas où l’on fête les noces de la belle Jourdaine, fille de la maison. La goujaterie de l’un des soudards va décle... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
« Ce coeur haïssait la guerre et battait pour la liberté,
au rythme même des saisons et des marées, du jour et de la nuit ».

Cet extrait du poème de Robert Desnos, écrit en 1943 pendant sa captivité, me semble résumer toute la profondeur et la richesse du roman de Maurice Genevoix.
Il est des histoires dont je n'arrive pas à m'extraire, happé que je suis par l'écriture flamboyante de l'auteur. Ce fut le cas pour le « Que ma joie demeure » de Giono, ou pour « La vie obstinée » de Stegner.
Il est des romans qui me restent en mémoire, tant ils procurent de souvenirs et de sentiments, car ils sont empreints de lyrisme et d'émotion.
Il est des écrivains qui ont marqué leur siècle, d'autres qui subsistent au-delà de toute époque, celui-ci est de ceux-là.
Il aura su transcrire à la fois des récits de nature et de guerre, qui se rejoignent dans leur description et qui nous font comprendre que la vie est un combat. Que ce soit dans Raboliot ou dans Ceux de 14, il a merveilleusement décrit l'instant présent, la subtilité des paysages et des personnages, qu'ils soient animaux ou humains.
Dans La Motte rouge, il ajoute la confusion des sentiments chère à Zweig, car son roman est une histoire d'amour impossible, une tragédie meurtrière sous couvert de religion.
Comme pour sa réécriture du Roman de Renard et pour le petit conte intitulé La forêt perdue, il situe l'action pendant le Moyen Age. Pour celui-ci dans ce Rouergue protestant des chevaliers de l'ordre de Malte.
Avec une dualité de couleurs stendhaliennes, la première édition s'appelait Sanglar, le sanglier, la bête au sang chaud recouvert d'une pelisse sombre, le rouge et le noir.
La motte rouge, c'est la « bâtisse fauve sur son socle de rochers pourpres », une citadelle stratégique qui domine la vallée, une butte où les esprits se buttent et où il y aura lutte.

« Par chance, une belle guerre s'allume, un grabouil où s'ébattre à l'aise comme un brochet dans un vivier. Catholique ? Huguenot ? Je t'égorge. Idolâtre ? Evangélique ? Je t'étripe. Dans les deux cas dévotement, pour ton salut et pour le mien. Dans les deux cas ton cheval est à moi, ton harnais, ta maison, ta femme... Il n'est que de choisir ».

Genevoix a vécu quelque temps dans ce secteur, pendant les années quarante, en Aveyron, chez ses beaux-parents, là où il a rencontré son épouse, défunte juste avant cette période d'occupation allemande de sa demeure solognote. Il revenait d'un voyage au Canada, il trouva son exil dans les Causses, pour ne pas revivre les affres de la grande guerre. C'est là qu'il rencontra la mère de sa future fille, appelée Sylvie, hommage à la forêt qu'il aimait tant. C'est aussi là qu'il écrivit Sanglar/La Motte rouge. Une autre époque, pour ne pas confondre avec les rafles de juifs, mais une même allusion aux persécutions liées aux religions.

« La curiosité se pique, la mode s'en mêle : c'est la coutume des hommes, ainsi faits qu'ils se jettent comme alouettes vers ce qui brille et leur semble neuf. Une religion nouvelle, quel appât, quel friand ragoût ! Pas un fils de bonne mère qui n'en veuille goûter à son tour. Je vous le dis, tout cela est triste. Sans doute le jour viendra où Dieu reconnaîtra les siens, où Il confondra l'imposture, dispersera comme balle au vent ces maudits souffleurs d'alchimie. Mais je crains bien que d'ici là... »

Les Causses, landes désertiques comme celles d'Irlande, avec les mêmes querelles entre catholiques et protestants, et un paysage découvert à couper le souffle.

« Rien, avant de la muraille, sous le décours entier du soleil, ne venait arrêter le regard : par-delà les champs du plateau faiblement incliné au midi, les prés où pâturaient les cochons et les brebis, c'était le causse à l'herbe rase, des vallonnements au fond vaporeux s'échelonnant jusqu'à l'horizon, la bourre violette des taillis d'hiver ou leur verdoiement printanier, les nuées du ciel roulant sur la lande ou la vibration dansante de la lumière; plus loin, par les journées limpides, des lignes de rochers pâles à la frange de causses voisins; plus loin encore des ondulations bleues des montagnes, à demi fondues dans l'éther ».

Sanglar, et la date de sa parution en 1946, ainsi retardée en raison des risques que n'aurait pas manqué de faire courir à l'écrivain l'évocation des troubles et des atrocités d'une période quelque peu semblable à celle de l'Occupation.

« L'ardente rousseur des terres s'opposait à la verdeur des petits chênes s'accrochant aux “raspes” du Tarn dont l'eau verte et miroitante se déchirait aux dents du roc ».

Encore et toujours une opposition des couleurs, celles des croyances qui ne peuvent guère se mélanger, un roux et un vert ne peuvent donner qu'un caca d'oie, couleur d'uniforme et pas du même nom. Un relent nauséabond qui transparaît dans cette zone libre, de déplacement, mais pas de pensée.

C'est l'histoire d'une femme, Jourdaine, victime compatissante et complaisante d'un chef de guerre, le nommé Sanglar. Elle emplit les pages du livre à la troisième personne, « elle », maintes fois écrit pour montrer la douceur et la perspicacité féminines face aux mercenaires avilis.

« Malgré l'horreur dont elle était maintenant la proie, elle gardait des événements une conscience atrocement lucide. Ses propres sens, vigilants et aigus, étaient autant d'autres bourreaux, plus adroits à la torturer que les soudards qui meurtrissaient son corps. Leurs mains sur elle, l'odeur de cuir et de cheval que soulevait chacun de leurs mouvements, (…) elle voyait, elle entendait tout, le respirait, le sentait dans chacune de ses fibres ».

Un passage où tout bascule, la promiscuité avec l'acte est impressionnante. Les êtres dépeints représentent toute une palette d'attitudes, la bêtise, la violence, le courage, l'abnégation et l'amour en dépit de tout.


« Regarde ! Les deux mains, Jourdaine… Ils ont arraché les ongles ; ils ont fendu mes doigts, un à un, jusqu'à la paume, et versé du sel dans les plaies. Pour toi… j'ai tout souffert pour toi. Quand ils m'ont pris, à l'aube, dans le chemin creux des Oustals, je n'ai pas perdu coeur, Jourdaine. Je savais ce qui m'attendait, mais j'ai pensé à toi, oh ! Comme j'ai pensé à toi... »

Et ces mots, symboles de vengeance, de couardise, de vindicte et de haine.

« Mais au matin, il y avait un message qui ne manquait jamais son but : tantôt, lesté d'un caillou, un billet qu'une fronde adroite lançait au milieu du Peyrou, tantôt un parchemin cloué sur un panneau des portes. Chacun de ces messages était timbré d'une tête de dogue aux crocs découverts qu'entourait cette hargneuse devise : N'aboie sans mordre ».

Il y a aussi un fil rouge, couleur du sang, un fil rouge volant, un oiseau nocturne qui emplit le vide du causse, un chouette rappel sonore en signe d'alarme, qui revient de façon récurrente au fil des pages.

« Les chevêches sortaient des arbres, voletaient sans bruit le long des haies, prolongeaient de toute part leurs cris rouillés, leurs rires lamentables »

C'est aussi l'histoire d'une jalousie, trop de prétendants pour Jourdaine, de drôles d'oiseaux qui ne voyelles, euh pardon, qui ne voient qu'elle.
Oiseau, jalousie, Jourdaine, toutes les voyelles sont au rendez-vous, depuis le roi Arthur. Et elle, désire se faire le rein beau.

« Elle ne cachait plus sa fièvre, l'impatience dont elle frémissait. Devant eux, le matin, sur le seuil de la porte ouverte, elle peignait et lustrait ses cheveux, laissait couler leurs moires entre ses doigts avant de les ramener en ondes, en torsades qu'elle soulevait des deux mains, fixait contre ses tempes avec des agrafes d'argent. Elle se paraît de vêtements aux teintes vives, comme pour une fête. Elle avait retrouvé sa belle robe en drap floret, son corps de cotte de soie rouge. Elle laçait, sur une chemise à larges manches qui dégageait ses bras et le haut de sa gorge brune, qui encadrait à demi son visage d'un col finement tuyauté, un corsage de velours noir agrémenté de broderies rouges. Ses pas, en ces journées, avaient quelque chose d'ailé. Chacun d'eux était comme un départ, un élan à grand-peine suspendu ».


La psychologie des protagonistes est méticuleusement mise en scène, et c'est là tout le talent de l'auteur qui parvient à laisser, je dirai même oblige son lecteur à poursuivre le travail d'imagination. Une belle plume au service d'une littérature admirable.


« Songeant à eux, il détestait cette guerre, entrevoyait des jours de ténèbres où triompheraient les pharisiens et les méchants, où les choses saintes seraient en dérision; non plus lumière au fond des coeurs, mais paroles de blasphème qui couvriraient en vérité l'orgueil, la cupidité, la luxure, la sauvagerie de la pire bête qui soit sous le ciel de Dieu : l'homme qui a renié son âme ».

Le chapitre final est magnifiquement amené et prendra chaque lecteur à revers.

L'histoire est un éternel recommencement.
Toute ressemblance avec des faits et des personnages existant à l'heure actuelle est parfaitement volontaire.

Je terminerai par des vers du poète Pierre Loubière, contemporain de Maurice Genevoix.

« Il faut croire au cycle de la graine
Aimer l'arbre et l'oiseau et la neige et la fleur,
Lier sa vie à d'autres vies car rien n'est vain
Tant qu'aveugles et fous s'embusquent dans nos coeurs.
Morts qui veillez sur nous, gardez votre confiance
En l'Homme, quels que soient ses cruels passe-temps
Et gardez dans vos yeux le ciel de votre enfance
Afin que tout poème innocente le temps. »








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Un Maurice Genevoix trés descriptif, difficile à suivre.Je ne me suis pas régalé à cette lecture!
Pourtant l'histoire est digne d'un thriller contemporain, mais se situe à l'époque des guerres de religion.
Jourdaine,violée le jour de ses noces par Sanglar ,capitaine de la garnison de Quintenas et qui a pendu son nouvel époux,semble osciller entre haine et amour.Mais la fin confirme que son désir de vengeance a triomphé.
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La motte rouge, c'est un château dominant les raspes du Tarn, en Rouergue. Pendant les guerres de religion, le capitaine Sanglar trahit le roi pour la cause parpaillotte et met à sac fermes, hameaux et villages du sud Aveyron.
Il y a dans ce roman beaucoup de brutalité, de haine, et une terrible vengeance.
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Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
Rien, avant de la muraille, sous le décours entier du soleil, ne venait arrêter le regard : par-delà les champs du plateau faiblement incliné au midi, les prés où pâturaient les cochons et les brebis, c'était le causse à l'herbe rase, des vallonnements au fond vaporeux s'échelonnant jusqu'à l'horizon, la bourre violette des taillis d'hiver ou leur verdoiement printanier, les nuées du ciel roulant sur la lande ou la vibration dansante de la lumière; plus loin, par les journées limpides, des lignes de rochers pâles à la frange de causses voisins; plus loin encore des ondulations bleues des montagnes, à demi fondues dans l'éther.
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La curiosité se pique, la mode s'en mêle : c'est la coutume des hommes, ainsi faits qu'ils se jettent comme alouettes vers ce qui brille et leur semble neuf. Une religion nouvelle, quel appât, quel friand ragoût ! Pas un fils de bonne mère qui n'en veuille goûter à son tour. Je vous le dis, tout cela est triste. Sans doute le jour viendra où Dieu reconnaîtra les siens, où Il confondra l'imposture, dispersera comme balle au vent ces maudits souffleurs d'alchimie. Mais je crains bien que d'ici là...
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Songeant à eux, il détestait cette guerre, entrevoyait des jours de ténèbres où triompheraient les pharisiens et les méchants, où les choses saintes seraient en dérision; non plus lumière au fond des coeurs, mais paroles de blasphème qui couvriraient en vérité l'orgueil, la cupidité, la luxure, la sauvagerie de la pire bête qui soit sous le ciel de Dieu : l'homme qui a renié son âme.
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Mais au matin, il y avait un message qui ne manquait jamais son but : tantôt, lesté d'un caillou, un billet qu'une fronde adroite lançait au milieu du Peyrou, tantôt un parchemin cloué sur un panneau des portes. Chacun de ces messages était timbré d'une tête de dogue aux crocs découverts qu'entourait cette hargneuse devise : N'aboie sans mordre.
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Par chance, une belle guerre s'allume, un grabouil où s'ébattre à l'aise comme un brochet dans un vivier. Catholique ? Huguenot ? Je t'égorge. Idolâtre ? Evangélique ? Je t'étripe. Dans les deux cas dévotement, pour ton salut et pour le mien. Dans les deux cas ton cheval est à moi, ton harnais, ta maison, ta femme... Il n'est que de choisir.
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Videos de Maurice Genevoix (28) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Maurice Genevoix
https://www.laprocure.com/product/1049468/genevoix-maurice-rrou
Maurice Genevoix, illustrations Gérard Dubois rroû Éditions La Table ronde
« On craque pour ce livre illustré de rroû de Maurice Genevoix aux éditions La Table ronde. Une petite merveille illustrée par Gérard Dubois qui est multi-primé en tant que dessinateur pour le Newyorker et le New York Times entre autres. Évidemment, Maurice Genevoix, c'est celui qui a été connu et reconnu pour Ceux de quatorze où il décrivait ses blessures de guerre et la guerre en elle-même, qui est un texte majeur en littérature française, puis qui avait eu le prix Goncourt pour Raboliot. Et ce texte-là, magnifique, n'est pas seulement l'histoire d'un chat, c'est bien plus que ça... » Marie-Joseph, libraire à La Procure de Paris
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