Psaume de silence
extrait
Il se passe souvent avec les mots quelque chose
d’assez semblable à cette sensation d’être surpeuplée,
comme si tous les mots s’étaient si bien accordés
de cette mémoire. On se dit qu’on ne peut pas y toucher.
On croit par eux toucher aux visages des morts.
Et puis soudain,
sentir que le monde est peuplé de mots en soi,
sentir ce souffle d’élévation vous grandir,
sentir que vos rêves de grandeur ont raison d’être,
que rien ne peut empêcher la parole ; qu’avant elle,
il n’y avait pas de parole, parce que c’est la nuit, parce qu’on
est cette seule lueur qui brille, parce qu’on croit, et
que, sur cette seule foi, tout est sauvé.
JOURNAL
extrait
Écriture comme une escale.
Ôtons les articles : le corps se perd, se fond.
S’agit-il du nôtre, hors du temps et de l’espace,
cette figure si totale ? Un vieux rappel de la
mer…
Fermer les yeux pour rejoindre une autre
lumière, une source qui se dissimule et qui
refuse de se lever dans mon corps aujourd’hui.
Comme j’ai souffert jusque là, et maintenant que
je souffre vraiment : je sais que je ne souffre
déjà plus, car la lumière vient.
Bien-être étrange qui nous fait être le monde
dans son mouvement et naître de ce monde par
la grâce de l’abandon.
JOURNAL(feuilles volantes)
Sans date [entre avril et décembre 1984]
Extrait 1
Il m'arrive de rêver être un grand tissu, une étoffe
qui recouvrirait tout, dont je serais un peu la matière,
écoulement, silence retenu, matière qui, enfin, ne
compte plus avec la mémoire et pourtant montre la
splendeur muette de ce qui a disparu.
Quelquefois il me prend l'envie de coudre ensemble
toutes les couvertures, tous les tissus, les objets
mêmes, tout ce qui m'entoure enfin pour m'y ensevelir.
Imaginer cette fusion possible. Être, seulement un
peu, la matière d'une étoffe qui recouvre tout.
p.51-52
JOURNAL (feuilles volantes)
Sans date [entre avril et décembre 1984]
Extrait 2
Je suis en exil, je me sens à peine appartenir à cette
terre, mon regard m'ennuie, je sais trop ce qu'il voit
et il ne voit rien qu'il ne sache déjà regarder. Ainsi
lorsque j'écris j'ai peur de manquer d'innocence, je me
méfie de ce que je ne serai plus désormais, j'ai peur de
ne plus supporter de penser aux mêmes choses. Je me
sens tout informelle et lâche (...), si bien que je suis
tombée malade, nostalgique comme renvoyée subi-
tement à ma stupidité. Cette peur d'être bête.
p.52
JOURNAL (feuilles volantes)
Sans date [entre avril et décembre 1984]
Extrait 4
On ne devrait jamais s'arrêter d'écrire, tout ce qui
est poésie surtout. On perd l'habitude, et bêtement on
devient ignorant de la musique qui lui est nécessaire.
D'une certaine façon on sort de la grâce.
p.57