AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782253247630
456 pages
Le Livre de Poche (07/02/2024)
  Existe en édition audio
4.45/5   331 notes
Résumé :
Une femme marche sur le bord de la route. Le jour n’est pas encore levé, l’air est glacial. Un homme surgit derrière elle. Il porte un bonnet noir…

Durant trente ans, dans la Sambre, une petite région industrielle du Nord de la France, des dizaines et des dizaines de femmes sont agressées sexuellement ou violées au petit matin. Elles portent plainte, parfois à quelques jours d’intervalles. Elles ne sont pas toujours crues.
Un jour de février 2... >Voir plus
Que lire après Sambre : Radioscopie d'un fait diversVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (130) Voir plus Ajouter une critique
4,45

sur 331 notes
5
85 avis
4
34 avis
3
4 avis
2
1 avis
1
0 avis
Radioscopie d'un fait divers : UN fait divers, pas vraiment. Il s'agit en fait du récit de plus d'une cinquantaine d'agressions sexuelles commises par un homme, dans un tout petit territoire, des bords de la Sambre, dans le Nord de la France, pendant une trentaine d'années. L'homme a enfin été arrêté en Février 2018. Les premières agressions remontaient à la fin des années 80.
Cet homme suivait le même mode opératoire, en devenant de plus en plus prudent, en devenant de plus en plus sûr de lui, en devenant de plus en plus violent. Comment cet homme a-t-il pu agir aussi longtemps dans un territoire aussi restreint sans être repéré, inquiété. C'est à cette question que tente de répondre l'auteur de cet essai.

Elle a choisi de rédiger cet essai en s'intéressant aux victimes, ces dizaines de femmes dont la vie a été brisée, par le fait d'un homme, le plus souvent un matin glacial d'hiver. Elles auront toutes du mal à surmonter ce qui s'est passé, même celles à qui l'on va dire qu'elles ont eu de la chance, La chance que l'agresseur n'aille pas jusqu'au bout ... Tu parles d'une chance !

Ce qui m'a sidérée, mise en colère, c'est d'entendre (oui c'était un livre audio) comment elles ont été, femme après femme, année après année, reçues dans les commissariats. J'avais d'abord écrit accueillies, ce terme n'était vraiment pas approprié.
Entre celles qui n'ont pas été crues, comme cette lycéenne à qui on demande si elle avait des contrôles dans la journée, celles à qui on a reproché leur mise, celles qu'on a soupçonnées d'aguicher les hommes, celles à qui on a fait raconter x fois la scène, celles à qui on a fait signer un procès verbal ne correspondant pas à leur récit, celles dont la plainte a été transformée en attentat à la pudeur, celles dont les plaintes ont disparu, j'ai eu l'impression de scènes se déroulant il y a longtemps. Pas si longtemps , et en France. J'ai honte parfois pour les autorités de mon pays.

Cette journaliste a mené une enquête incroyable, retrouvant ces femmes, allant les rencontrer, racontant une à une ces agressions qui ponctuent les années, sans que cela ne devienne ni répétitif ni lassant tant la détresse de ces femmes est bouleversante, saluant aussi dans ces pages le courage et l'obstination de quelques policiers, documentalistes, magistrats qui ont pu faire que le coupable soit finalement arrêté.

Je veux saluer aussi le travail de la narratrice Christel Wallois qui a su communiquer l'émotion, en restant sobre, sans tomber dans la grandiloquence. Une voix qui traduit avec beaucoup de respect les sentiments des victimes.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Audiolib pour ce partage #SambreRadioscopiedunfaitdivers #NetGalleyFrance

Commenter  J’apprécie          8647
Les faits divers les plus étonnants sont souvent ceux qui percutent de plein fouet notre capacité à les croire possibles, ils se basent sur des choses que la fiction n'ose pas. Imaginez un roman où un violeur sévirait sur une zone de 27 kilomètres le long d'un fleuve, durant 30 ans, quasiment le même mode opératoire, un nombre sidérant de victimes, sans être jamais arrêté ni même soupçonné. Dur dur pour la fiction, ce type de scénario, trop abrupt pour la crédibilité. Ça tombe bien, ce livre est une enquête, basée sur des faits. Ils concernent l'affaire du violeur de la Sambre, comment il procédait, quelles femmes ont été ses victimes pour former « un kaléidoscope de vies brisées », comment la société l'a raté pendant 30 ans. Et c'est juste incroyable.
C'est peut-être un mot, juste un mot qui a plongé la journaliste Alice Géraud dans ce travail: immanent. Ce fait divers l'est-il, qui aurait dès lors « une existence autonome, une dimension exceptionnelle et une causalité incertaine » ?
On commencera vite à se douter que non, il n'y aura qu'à se concentrer dans un premier temps sur l'accueil des policiers envers les victimes dans ces années 80. le soupçon se retourne trop souvent vers les victimes, et toutes les raisons semblent bonnes : l'adolescente qui cacherait une grossesse, quelle idée de se balader dans cette tenue avec des talons hauts, la jeune fille qui ne voulait pas aller travailler ce matin. Et puis il y a aussi à l'époque le fameux attentat à la pudeur de l'ancien code pénal....
Alice Géraud a choisi d'entrer dans cette vaste enquête par les victimes, autant dire que les répétitions de scènes seront légion. le violeur de la Sambre opère quasiment à l'identique, au petit matin, par surprise et strangulation. le récit est parcouru de ses éléments biographiques en début de certains chapitres, parfois même de ses paroles récoltées après arrestation, qui donnent la mesure, le rythme et l'ampleur du raté de la société. Comment la police et la justice ont-elles pu passer à côté de la sérialité autant de temps ?
Il suffira d'une cinquantaine de pages pour comprendre la transcendance de cette affaire de la Sambre, qui « déborde de son propre cours, elle vient cogner le système et l'éprouver ».

Une enquête de 400 pages lues de deux ou trois traites en ce qui me concerne, en apnée sidérée.
Une enquête passionnante, qui revisite aussi l'histoire récente et l'évolution (lente) de la société face aux atteintes à la personne, et aux violences sexuelles.
Une enquête élaborée avec brio par une journaliste au ton imparable, celui qui fait avancer avec clarté vers la vérité, l'indignation en sourdine.
Une grande enquête à ranger à côté d'autres, comme « Les fossoyeurs » récemment.

« Quinze ans plus tard, à la barre de la cour d'Assises de Douai, Franck Martins tiendra à reparler de la manière dont Charlène a été traitée ce jour de janvier 2008. Il dira que ce qui s'est passé ce jour-là est « une honte ». J'entendrai pour la première fois sa voix ronde trembler un peu. Il tiendra à présenter ses excuses à Charlène, « au nom de la police ».

Merci à Babélio et les Éditions JC Lattès pour l'envoi de ce livre passionnant dans le cadre de masse critique.
Commenter  J’apprécie          544
Lu grâce au commentaire d'Anne-Sophie (merci dannso !). J'hésitais, elle a levé mes doutes, en plus ma bibliothèque l'avait mis en avant. Je l'ai commencé hier en fin de journée, lu en apnée, fini ce matin.
J'ai pleuré sur ce livre, j'ai pleuré de compassion pour toutes ces femmes victimes de ce violeur, pour leurs vies détruites ; mais j'ai aussi pleuré de rage face à ce mur, ces hommes qui sont censés les accueillir, les aider et prendre leur plainte. Les accueillir ? les aider ? Demande-t-on à une gamine de 13 ans qui vient d'être traînée dans une maison en ruine, étranglée et violée si "elle a pris du plaisir" (mention figurant au PV d'audition) ? Je suis restée sidérée. Effarée.....
.
Je me suis interrogée. Pourquoi vérifier si la gamine devant soi avec des traces de lien autour du cou, des preuves médicales de viol, n'a pas tout inventé afin de sécher le collège et les interro annoncées ? Comment peut-on imaginer ça ? Etait-ce des directives de Paris de systématiquement mettre la parole des femmes en doute ? Etait-ce parce que les flics en question étaient des hommes ? Etait-ce parce qu'ils ne voulaient pas gérer ces dossiers-là ? Mais mince ces flics avaient des mères, des soeurs, femmes, filles, nièces. Comment est-ce possible ? Pourquoi ?
Je ne sais pas et je m'interroge toujours.
.
Ce qui est sûr c'est que ce qui y décrit dans le livre est d'une violence inouïe. Ce qu'a fait cet homme à ces femmes, ce qu'a fait la police à ces femmes, ce qu'a fait la Justice à ces femmes..... Victimes pourtant, elles sont toujours vues comme de potentielles menteuses, affabulatrices, mythomanes voire responsables de ce ce qui leur est arrivé....
Les viols ont commencé fin des années 1980 et n'ont pris fin qu'avec l'arrestation du violeur en question en 2018. Condamné pour 56 viols et agressions sexuelles. Sans doute la partie émergée de l'iceberg. Un tiers de mineures.....
.
Cet essai retrace le déroulement (pathétique) de l'enquête. Il essaie d'expliquer pourquoi cet homme a pu ainsi longtemps violer et agresser des femmes sans être inquiété. La conclusion n'est pas réjouissante. J'espère que ça servira de leçon pour ne jamais reproduire un tel fiasco....
Le sous-titre est "radioscopie d'un fait divers". Sans doute traité comme tel puisque, comme il a été dit "y a pas mort d'homme".........
.
Un grand merci à l'autrice pour ce récit, pour s'être intéressée aux victimes, à ce qu'elles ont vécu et à ce qu'elles vivent encore.....
Un livre indispensable mais un livre qui fait mal....
Commenter  J’apprécie          5331
Sambre... Voici une écoute que j'ai faite il y a plus de trois semaines et qui pourtant me prend aux tripes rien qu'à l'évocation de son titre... Et pour cause, pendant près de trente ans, plusieurs dizaines d'adolescentes et de femmes ont été victimes d'agressions sexuelles aux abords de cette rivière franco-belge du Nord de la France.

Quand je pense à ce livre écrit par Alice Géraud, une journaliste indépendante, je suis prise d'un sentiment de colère.
Je suis en colère contre les personnes représentant l'autorité qui n'ont pas pris au sérieux ces femmes et jeunes filles venues au commissariat après leur agression et qui, au contraire ont parfois été capables de les rendre fautives ou encore de remettre en cause leurs paroles ce qui les a détruites... Je suis également en colère contre certaines décisions et choix pris qui ont permis au violeur de la Sambre de continuer à sévir pendant trente ans en toute impunité... Et pourtant, je suis très reconnaissante pour le travail minutieux et la détermination de certaines personnes qui ont contribué à l'arrestation de Dino Scala.

Plus qu'une simple dénonciation, Alice Géraud a ici fait un important travail de recherche. Au cours de cette lecture, on peut voir l'évolution du droit pénal qui devient plus répressif en caractérisant certaines atteintes, et les nombreux progrès et moyens développés et utilisés par la police scientifique. Par ailleurs, ce texte rappelle l'impact que peut être le manque de moyens matériels et humains dans des zones géographiques oubliées et sinistrées.

Concernant l'écoute en elle-même, j'ai trouvé que Christel Wallois avait su retranscrire les émotions se dégageant de ce récit. Tout en racontant l'horreur, j'ai ressenti beaucoup d'empathies et d'humanités à l'égard de ces adolescentes et femmes. C'est sûrement pour ça que j'ai du mal à passer à autre chose depuis cette écoute.

Je tiens à remercier Audiolib et Netgalley France pour m'avoir permis de faire cette écoute que je conseille pour un public averti.

J'espère que le livre d'Alice Géraud qui a fait l'objet d'une adaptation en série télévisée offrira une réflexion à ses lecteurs ou spectateurs comme ça a été mon cas...
Commenter  J’apprécie          455
En pleine période #MeToo, Alice Géraud, journaliste spécialisée dans les faits divers de la société française, est interpellée par un confrère sur cette histoire folle d'un violeur en série, appelé le Violeur de la Sambre, vient d'être arrêté après plus de trente ans d'agressions et de viols, et est inculpé pour un minimum de 57 victimes.

Son mode opératoire est toujours le même, son terrain de chasse : une départementale de 27 km, le long de la rivière la Sambre, des voies ferrées entre Maubeuge, Louvroil, Aulnoye-Aymeries, Avesnes, dans le Nord. Il attaque à l'aube seulement, arrive derrière sa cible, l'étrangle d'un bras ou avec un lien, la traine dans le fossé ou un champ, ou une ruelle, un chemin quasi dans le noir, l'empêche de le regarder, et avec un couteau la menace. Beaucoup de victimes en sortent avec d'horribles marques de strangulation, la plupart restent inconscientes un long moment, avant de se relever. L'homme a disparu. Leurs vêtements sont boueux, il s'est surtout attaqué à la poitrine des victimes. Parfois viol par fellation, parfois viol vaginal. Les victimes ont entre 13 et 50 ans. Certaines ne disent rien, et celles qui portent plainte vont vivre un calvaire.

Le parcours criminel de cet homme commence vers 1986 (d'autres agressions précédentes n'ont pas été enregistrées), et finit en 2018.
Les plaintes enregistrées soit à la Police, soit chez les gendarmes ne sont pas toutes retrouvées. Car ces inspecteurs et autres gendarmes ne portent aucun intérêt à ces victimes terrorisées, et souvent il n'y a qu'une main-courante, ou alors on ne leur propose pas de porter plainte, contre X car pour la plupart elles n'ont pas vu le visage du criminel. Et pendant longtemps, on va désigner ce qui leur est arrivé par la dénomination « attentat à la pudeur ».

Quelques unes ont vu son visage, mais par contre son odeur de métallurgiste et sa voix leur restent. Les plaignantes sont malmenées, elles ne sont pas crues, elles sont souvent accusées de mentir, de fabuler. L'horreur en plus, car personne ne leur dit qu'il y a d'autres victimes.
Que le salopard en question est ami avec les policiers de Maubeuge, et passe souvent dans ce vieux commissariat pour boire un coup avec les flics.

Que seules deux archivistes de la Police Judiciaire de Lille vont commencer à faire le lien entre plusieurs plaintes et vont faire un tableau sur des feuilles A4 avec tout ce qui peut etre recoupé : les heures, les jours, l'endroit, les descriptions.
Rien ne sort dans la presse, à part un petit journal hebdomadaire local « La Sambre ». Les policiers n'ont aucune idée que leurs collègues de la ville d'à côté recueillent aussi des victimes de ce serial violeur. Personne ne partage. Personne n'en parle. Et la compétition entre Gendarmerie et Police fait que chacun s'occupe de ses affaires. de ces plaintes. Il y a des enquêtes en cours mais aucune plaignante n'est tenue au courant. C'est l'omerta partout.

C'est le constat atterré de la journaliste, qui décide d'aller voir de près ce qui se passe, ce qui s'est passé. Ce Dino Scala, qui a fait bien plus de victimes que la justice n'en n'a compté, a vécu et violé toute sa vie sur un minuscule périmètre, sans être inquiété ni interrogé. Par personne. Son ADN l'a finalement trahi, et les caméras de sécurité du parking de l'usine métallurgique où il a toujours travaillé permettent à des inspecteurs de la PJ de Lille de l'arrêter, en Juin 2018.

Alice Géraud, journaliste à Libération puis fondatrice du site « Les Jours » s'en va sur le territoire de la Sambre, à la rencontre de victimes de Dino Scala, celles qui veulent bien lui parler. Elle recueille leur parole, sans jugement, leurs explications, souvenirs, et ensuite ce qui est souvent le plus dramatique, comment leur plainte aux autorités a été reçue. Comment elles, elles ont été reçues. Leurs traumatisme qui empire. Les conséquences de ce viol et de se sentir méprisées par la police et la justice. Leur combat, leurs vies détruites. C'est effrayant et bouleversant.

D'un autre côté, l'auteure va dans les commissariats, et rencontre des témoins qui expliquent comment ces victimes sont reçues. le langage procédural utilisé. La différence manifeste entre les mots tapés à la machine sur du papier pelure, enfin retrouvés, et la parole de chaque victime.

L'auteure relate toute l'enquête, chronologiquement, en mettant en premier et en priorité la parole de ces femmes que la justice a méprisées pendant trente ans. Celles qui ont eu un meilleur « traitement » parce qu'on a trouvé de l'adn, qu'on l'a cherché. C'est effarant.
Dino Scala a été jugé en 2022 pour le viol de 57 femmes. Il a pris 20 ans mais a fait appel. D'autres victimes sont en train de se faire connaître.

Je suis sortie bouleversée, atterrée de ce livre si précis, si effroyable de la façon horrible dont les gendarmes et les policiers ont nié tout respect de chaque victime, de la petite de douze ou treize ans qui ne savait même pas décrire ce qu'elle avait dû faire, à des cinquantenaires rouées de coups et détruites moralement. Et les dégâts sur leur vie intime et sociale. Je pensais que cette façon de recevoir des victimes de viols datait d'il y a cent ans. Mais non ! Tout est vrai. Et cette misère sociale du Nord, avec les aciéries qui ferment l'une après l'autre, donnent une couleur et un décor infiniment triste à l'histoire. Je suis du Nord. J'ai la chance de ne pas avoir vécu celà.

Il paraît qu'une série télévisée va sortir, s'inspirant de ce livre.
Ce livre a reçu de nombreux prix. L'enquête est précise, le style clair, c'est une lecture indispensable.


Ma note : 5 sur 5.
Lien : https://melieetleslivres.fr/..
Commenter  J’apprécie          351


critiques presse (3)
Telerama
22 février 2024
Avec une précision clinique, sans analyse ni théorie, elle expose des faits, les juxtapose pour dessiner la carte limpide et effrayante d’un monde où l’on enquête avec peu de moyens (ni ADN ni ordinateurs). Mais surtout, d’un monde empreint d’une ignorance et d’un sexisme insondables, où nul ne s’intéresse à ces victimes.
Lire la critique sur le site : Telerama
LaCroix
20 mars 2023
Dans un livre-enquête remarquable, Alice Géraud raconte les manquements des institutions judiciaires et policières qui n’ont pas réussi à empêcher le violeur en série Dino Scala de s’attaquer à plus d’une cinquantaine de femmes pendant trente ans.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Bibliobs
16 janvier 2023
La puissance de « Sambre » tient dans l’approche retenue par Alice Géraud : raconter, derrière l’enquête tentaculaire qui aboutit, le 26 février 2018, à l’arrestation de Dino Scala, les errements, parfois le naufrage, des institutions policières et judiciaires.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (108) Voir plus Ajouter une citation
Ses mains restent accrochées au pupitre. Elle n'en a pas terminé. Elle veut s'adresse à la cour, dénoncer la manière dont sont traitées les victimes. Le président acquiesce, il sait, les autres ont déjà beaucoup raconté qu'elles n'avaient souvent pas été bien reçues dans les commissariats. Emilie l'interrompt. Non, pas seulement dans les commissariats. ici aussi, devant cette cour, en 2022? cela ne va pas. "Il faut que vous traitiez bien les victimes. Que vous soyez bienveillants". Le président plisse des yeux étonnés derrière ses lunettes cerclées. "Vous ne nous trouvez pas bienveillants ?". Emilie le regarde. Elle dessine doucement un non de la tête. Elle explique que le jour où la première victime est venue témoigner, la vieille dame à la canne sortie en pleurs, elle aussi a dû quitter la salle.

Il y a un "après" le témoignage d'Emilie. Pour tout le monde. Pour la cour. Pour les parties. Pour les victimes surtout. Elle a donné de la force à celles qui n'en avaient pas, ou plus. Emilie n'avait pas prévu de rester au procès, mais elle posera des congés et reviendra dans cette salle d'audience les autres jours. Elle accompagnera celles qui sont à bout. Petit à petit, une forme de solidarité se tisse entre les victimes, et ce qui ressemble à de la sororité. Elles se soutiennent. S'encouragent. Se comprennent. A elles toutes, elles viennent raconter une histoire plus grande que la leur. Celle d'une société et de ses institutions dysfonctionnelles face aux violences sexuelles. Ce sont elles qui maintenant tiennent l'audience.
Commenter  J’apprécie          40
Lorsqu'elle retourne enfin au lycée en janvier 2003, l'adolescente est une autre. Elle ne veut plus sortir aux récrés, demande à rester enfermée dans une salle. Désormais, elle a peur de tout. Elle est obsédée par le faits divers à la télé. Dort avec la lumière et la télé allumées 24 h sur 24. Elle change de look. Ne met plus que des joggings informes. Se coupe les cheveux. Les teint. Ne se maquille plus. Et commence à grossir. Au lycée, cette année-là, elle décroche. Lorsqu'elle est chez elle, elle pleure toute la nuit, un de ses frères dormira au pied de son lit durant des années.
Commenter  J’apprécie          60
Les années qui suivent, Manon s'enfonce. La jeune fille blonde aux yeux bleus, si mince, si riante, est méconnaissable. Elle prend 30 kilos, arrête la gymnastique (elle faisait alors beaucoup de compétitions) car la salle de sport se trouve sur le chemin de halage le long de la Sambre. Ses crises de boulimie la dévorent. Puis, elle se met à boire, comme elle mange, d'énormes quantités en très peu de temps. Les comas éthyliques se succèdent. Mais cela ne suffit pas à panser la peine. Elle se met à fumer, à prendre du speed, puis de la coke. La coke la rassure, elle lui donne l'illusion de maîtriser, de voir venir les dangers. Il faudra de longues années pour qu'elle commence à aller mieux, lorsqu'à l'âge de 22 ans, elle rencontre celui qui va devenir son compagnon, puis le père de son fils. Elle ne se drogue plus, ne boit plus. Mais la douleur est toujours là. Chaque fin d'année est une période difficile. Elle continue d'avoir peur des gens derrière elle, des bras des autres. Elle a du mal à laisser son fils jouer dehors dans le jardin seul. Et les crises de boulimie surgissent encore de temps en temps. Elle pense qu'elle ne retrouvera jamais le morceau d'elle-même arraché à ses 15 ans.
La plainte de Manon n'a jamais été transmise aux enquêteurs du SRPJ qui enquêtaient à cette époque sur le violeur de la Sambre. Cette plainte ne sera d'ailleurs jamais retrouvée. La procédure a disparu. Un ami policier essayera de la rechercher dans les archives, en vain. Manon a l'impression d'avoir été effacée.
Commenter  J’apprécie          10
Les inspecteurs Blaise et Dethy qui avaient suivi l'affaire depuis le début ne sont plus en poste à Erquelinnes. Cette affaire s'est petit à petit effacée de la mémoire collective locale. Ce 5 février 2018, l'agression sexuelle de Lucie est donc traitée comme un cas isolé. Banal. Et la dernière victime du violeur de la Sambre n'échappera pas au parfum tenace de la suspicion qui flotte encore, et toujours, sur les victimes d'agressions sexuelles.
Les policiers veulent vérifier si l'adolescente n'avait pas une raison d'inventer cette agression. D'autant que son père les a informés que Lucie érait une adolescente fragile. Durant sa déposition, les policiers lui demandent si elle n'avait pas de contrôle prévu à l'école ce matin-là par hasard. Lucie répond que non, elle n'avait pas de contrôle. Mais les policiers appellent quand même linstitution privée ou l'adolescente est scolarisée. Pour vérifier. Ils notent sur leur rapport que, contrairement à ce qu'elle leur a déclaré, elle avait justement deux contrôles prévus dans la journée, un de sciences et un de francais. On est en février 2018, la vague #MeToo a traversé l'Atlantique, elle a submergé réseaux sociaux et médias européens. Et pourtant, ce matin-là, au commissariat d'Erquelinnes, il y a toujours ce doute poisseux sur la parole des victimes. Il n'empêche pas l'enquête. Il n'empêche pas l'empathie. Mais il est posé là. En quelques mots noir sur blanc.
Commenter  J’apprécie          10
Fos relations des enquêteurs lillois avec leurs collègues locaux sont parfois tendues. Cette année 2009, elles sont notamment compliquées avec le commissariat d'Aulnoye-Aymeries autour d'une autre affaire, très médiatisée : la disparition d'une petite fille de 5 ans prénommée Typhaine. Les policiers d'Aulnoye avaient placé les parents en garde à vue avant de les relâcher le jour même. Le procureur d'Avesnes, Bernard Beffy, sentant la disparition suspecte avait refusé de déclencher l'alerte enlèvement. L'enquête sera retirée aux policiers d'Aulnoye et confiée à la police judiciaire de Lille. Six mois plus tard, la mère et le père passeront aux aveux. Le corps de la fillette sera retrouvé enterré en Belgique.

Cette même année, I'adjoint de Franck Martins découvre qu'un récent cas d'agression sexuelle à Assevent, en aval de Maubeuge, ne leur a pas été signalé alors que les policiers locaux avaient pourtant fait le lien avec le violeur de la Sambre. Il prend la peine de coucher sur procès-verbal son agacement, qui se conclut par ce rappel à l'ordre : « Indiquons avoir à nouveau sollicité que toute information relative à ce genre de faits présentant la moindre similitude dans le mode opératoire avec les faits dont nous sommes saisis soit portée à notre connaissance. »
Commenter  J’apprécie          10

Videos de Alice Géraud (18) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Alice Géraud
Attention !!! Nouvel horaire pour l'émission "Le coup de coeur des libraires" sur les Ondes de Sud Radio. Valérie Expert et Gérard Collard vous donnent rendez-vous chaque samedi à 14h00 pour vous faire découvrir leurs passions du moment ! • Retrouvez leurs dernières sélections de livres ici ! • • • le Dipoilocus et autres dinosaures méconnus: et autres découvertes saugrenues de Lise Beninca aux éditions Hélium https://www.lagriffenoire.com/encore-plus-de-dipoilocus.html • Encore plus de Dipoilocus de Lise Beninca et Clémence Lallemand aux éditions Hélium https://www.lagriffenoire.com/encore-plus-de-dipoilocus.html • Prout ! Prout ! de Sandrine Lamour et Marianne Barcilon aux éditions Lito https://www.lagriffenoire.com/prout-prout.html • C'est super d'être petit ! de Hervé Eparvier et Soledad Bravi aux éditions EDL https://www.lagriffenoire.com/c-est-super-d-etre-petit.html • Moi, Mouth ! de Grégoire Solotareff et Soledad Bravi aux éditions EDL https://www.lagriffenoire.com/moi-mouth.html • Les discours les plus éloquents - Décryptage en BD par Soledad Bravi de Soledad Bravi, Romain Boulet aux éditions le Robert https://www.lagriffenoire.com/les-discours-les-plus-eloquents.html • Les Mauvaises Epouses de Zoe Brisby aux éditions Livre de Poche https://www.lagriffenoire.com/les-mauvaises-epouses-1.html • La Double Vie de Dina Miller de Zoé Brisby aux éditions Albin Michel https://www.lagriffenoire.com/la-double-vie-de-dina-miller.html • le Lâche de Jarred McGinnis aux éditions Points https://www.lagriffenoire.com/le-lache-1.html • Monsieur Vénus/Madame Adonis de Rachilde et Martine Reid aux éditions Folio Classique https://www.lagriffenoire.com/monsieur-venus-madame-adonis.html • Rachilde, homme de lettres de Cécile Chabaud aux éditions Écriture https://www.lagriffenoire.com/rachilde-homme-de-lettres-1.html • Pour que chantent les montagnes de Phan Que Mai Nguyen aux éditions Points https://www.lagriffenoire.com/pour-que-chantent-les-montagnes-1.html • Là où fleurissent les cendres de Nguyen Phan Que Mai et Sarah Tardy aux éditions Charleston https://www.lagriffenoire.com/
+ Lire la suite
autres livres classés : faits diversVoir plus
Les plus populaires : Non-fiction Voir plus

Autres livres de Alice Géraud (1) Voir plus

Lecteurs (945) Voir plus



Quiz Voir plus

Retrouvez le bon adjectif dans le titre - (5 - essais )

Roland Barthes : "Fragments d'un discours **** "

amoureux
positiviste
philosophique

20 questions
848 lecteurs ont répondu
Thèmes : essai , essai de société , essai philosophique , essai documentCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..