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Critique de nadejda


« A la table des hommes » est un conte intemporel qui nous hisse au-delà de la haine tout en nous ancrant dans notre temps bouleversé par une violence dont nous avions cru être protégé, la guerre, le goût de la destruction et le mépris de la vie. Mais ces périodes de chaos n'ont-elles pas exister tout au long de l'histoire de l'humanité ? ne peuvent-elles pas générer une renaissance, être l'occasion de grandir ?

Ce conte revisite la Genèse à partir de la naissance obscure d'un être qui sort par étapes successives de sa condition animale pour atteindre progressivement à la connaissance de lui-même et des autres.
Ses débuts dans l'existence sont douloureux et confus. Il perd suite à un déluge de feu et de destruction deux mères la première animale, une truie et la seconde humaine qui le nourrit de son lait peu de temps victime, elle-aussi des suites de cette catastrophe peut-être atomique.
Une daine l'adoptera, le guidera jusqu'à ce que les hommes, dont il va apprendre alors à se méfier, la tue.
Il vit dans l'instant tous ses sens en alerte et gardera cette capacité à s'extraire du temps.
« Tout ce qui n'advient pas dans l'immédiat, ou presque, est pour lui un jamais. Il vit dans la plénitude du présent au sein d'une rondeur temporelle chaque jour renouvelée, non dans l'étendue indéfinie du temps. »

Il est prénommé Babel, à cause de la confusion de son esprit, par des femmes qui l'accueillent dans un village dont les hommes ont disparu.
A partir de ce moment, différent des autres, lui qui n'est « ni beau, ni laid (mais) particulier, et émouvant avec son regard d'innocent en alarme » va attirer sur lui au fil de ses rencontres compassion, désir de protection mais aussi la haine que peut faire naître son innocence, le désir de le faire souffrir.

Il va franchir, en fuyant pour survivre à la folie meurtrière des hommes, des frontières géographiques mais aussi faire tomber des frontières intérieures qui le maintiennent dans l'obscurité dont il va s'extraire en apprenant à lire et découvrant le pourvoir et la magie des mots. Il deviendra alors Abel : de la confusion qui l'habitait quand lui manquaient les mots, il va parvenir à un souffle, un souffle de vie fragile, beau, précieux dans sa fragilité même, qui lui permettra de se sentir relié aux autres et à l'Autre mais toujours « une mémoire obscure couve en lui qui se réveille au moment propice et lui inspire ce qu'il doit faire... »

Sylvie Germain nous tend par l'intermédiaire de ce livre un fil d'ariane qui peut sembler ténu. En le tirant elle ne nous offre pas de solutions, elle nous dit que la consolation peut venir de la conscience de la beauté fragile et fugace des choses et des êtres qui nous entourent, voués à disparaître. Beauté qu'il faut effleurer, contempler, protéger sans la figer sous peine de la détruire.

Elle nous dit que Babel devenu Abel « n'est plus avide de découvrir davantage le langage des hommes, il lui suffit de faire bon usage des mots qu'il a appris, de préserver autour de chacun d'eux un espace de silence où les faire résonner. Il n'est plus désireux de plaire à ses semblables, d'être accepté par eux, il lui suffit d'avoir été aimé par quelques-uns et d'avoir aimé ceux-là. Il a reçu sa part de fraternité, des destructeurs la lui ont arrachée, mais sous la douleur de ce rapt, il conserve la joie d'avoir un jour reçu cette part d'amour et d'amitié, et cette joie, personne ne pourra la lui retirer. »
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