La petite polémique à propos du texte donné à l'épreuve de français du bac a montré à nouveau l'ampleur de l'échec du système scolaire, qui produit en masse des incultes et ne joue plus que très mal son rôle de réparation des différences culturelles – j'en profite pour louer les Lagarde et Michard, les maîtres de ma lointaine scolarité, grâce auxquels un enfant de milieu populaire pouvait découvrir la littérature et, ce qui est aussi important, son histoire. le fameux texte de
Sylvie Germain, honnie par certains lycéens, m'a donné envie de lire "
Jours de colère", le roman d'où il est extrait.
C'est le récit d'un amour posthume, donc d'une folie. Il est ancré dans un hameau isolé au bord des forêts, quelque part au-dessus de l'Yonne, dans un temps imprécis, dont on comprend aux dernières pages qu'il s'agit de la fin du XIXe. Un bûcheron, un rustre âpre au gain et de coeur inflexible, surprend une scène de crime et s'éprend de la femme assassinée… S'ensuit un long enchaînement de vengeances à l'encontre du criminel et de sa descendance. À ce premier fil narratif, se mêle l'histoire d'une famille voisine, qui tombe elle aussi sous le coup de la colère de notre homme, devenu tout puissant dans
le hameau. Cela ne peut que finir très mal. L'intrigue est assez simple et très efficace. On rêve de ce qu'aurait pu en tirer un
Faulkner, ou un Michon, un Millet. Mais, sans s'évader totalement de la réalité,
Sylvie Germain tire le récit vers la magie. C'est ainsi, par exemple, qu'une femme vouée à la Vierge par sa mère accouche d'un fils tous les 15 août, à des heures échelonnées dans la journée, engendrant donc 4 fils du Matin, un fils du Midi et 4 fils du Soir, nantis des caractères que ces heures présupposent. Comme on le voit, le récit est souvent gouverné par une métaphore, la projection d'une idée dans le monde réel, une allégorie faite événement.
La langue est à l'unisson, extrêmement fleurie, comme on le dit de la barbe de Charlemagne : c'est une effervescence incontrôlée d'images qui semblent arrachées aux manuels de catéchisme – des fleurs, des étoiles, des anges, etc. en avalanche. « Sa joie… avait… le goût et l'odeur d'un fruit mûr etc. ». Si le récit est voué à la Vierge, la langue, elle, est vouée à la Trinité ; tout y va par trois ; les épithètes et autres qualificatifs (« En suspens dans l'oubli, l'indifférence et la mélancolie. ») et même les phrases. L'histoire progresse lentement, par vagues, dans un long ressassement où chaque membre de phrase est deux fois reprise sous une autre forme avant une nouvelle avancée. J'ouvre les pages au hasard : « Jour de colère aujourd'hui. Jour de colère chaque jour de sa vie. Jour de colère pour toujours. le vieux Mauperthuis sentait son coeur battre de colère etc. » Impossible que
Sylvie Germain ne se soit pas avisée de ce tic d'écriture qui gâche la lecture. En refermant le livre, le lecteur trouve lui aussi au Code Civil des beautés insoupçonnées. « le style, disait Jude Stéfan, c'est l'effort contre soi-même ». Il est vrai que l'autrice était alors jeune :
Jours de colère est son deuxième roman. Il faudrait aller voir dans la suite de son oeuvre ; je délègue cette tâche à qui le voudra . Pour autant, je ne regrette pas ma lecture, pour l'intrigue, marquante.