Entre roman, conte et mythe, voici l'histoire de Lucie Daubigné, «
l'enfant-méduse ». Petite-fille heureuse et enjouée, Lucie vit dans le Berry, au milieu des marais où la nature est propice à se créer un monde enchanté. Les astres, les oiseaux et les insectes sont son décor favori. Avec son ami Louis-Félix, petit « prince des étoiles », Lucie pétille d'insouciance, celle liée à l'enfance et à la confiance. Mais un jour, la noirceur envahit son monde jusque-là lumineux. Sous les traits de son frère Ferdinand, le « roi soleil » tellement chéri par sa mère Aloïse, l'ogre la prend et la dévore. Il ne la tue pas comme d'autres petites-filles, mais chaque jour pendant trois ans, il revient abuser d'elle. Lucie se tait, n'osant dévoiler son terrible secret. Son cri muet, personne ne l'entend, surtout pas sa mère. Comment d'ailleurs parler de ce crime infâme à une mère qui voit en son fils une copie de son premier mari, mort en héros à la guerre, idôlatré et aimé par-delà la mort ? Alors Lucie élude les questions, se met en retrait des autres, de ses amis, de la vie… Se perdre et se confondre parmi les insectes des marais, prendre leur pose et capter ce regard hypnotique. Se rendre hideuse en coupant ses cheveux, s'affamer pour perdre ses rondeurs d'enfant. de jolie princesse, la petite-fille veut se transformer en crapaud repoussant. A force, l'ogre ne voudra plus d'elle… En vain. Plongée dans les abîmes, Lucie perd toute insouciance et se forme au mal. Après la douleur, vient la haine et la vengeance. Lucie pourra-t-elle se sauver de l'ogre ? Et surtout, pourra-t-elle se sauver d'elle-même ?
Dans une écriture magnifique et poétique, entre conte et réalité,
Sylvie Germain nous raconte une histoire, la plus terrible qui soit, l'inceste. A travers une prose magistrale, l'auteur brode un récit inspiré à la fois des contes traditionnels (thème de l'ogre), de la mythologie (le mythe de la Méduse), de l'Ancien Testament (thème de la vengeance) et du Nouveau Testament (thème de la rédemption et du pardon). Chaque chapitre appelé " Légende" est entrecoupé de poèmes en prose. Mais toute cette beauté stylistique est avant tout au service de l'histoire de Lucie, bien « réelle », qui plonge le lecteur dans des méandres de noirceur tout au long du récit.
Nous suivons la petite-fille, personnage central, de l'enfance à l'âge adulte. D'une enfance dorée à l'horreur du tabou, Lucie se transforme. Si l'acte de l'inceste est bien sûr évoqué, on suit essentiellement la transformation psychologique de la petite-fille. Lorsque le chagrin fait place à la haine puis à la vengeance, Lucie a déjà perdu son âme d'enfant. Même la mort de son bourreau ne la soulagera pas et seule la capacité de pleurer lui est restituée. Son secret, ô combien elle n'aurait pas voulu le porter ! Mais il est là, et il la ronge. Si l'ogre est mort, il reste encore les traces de ses mains, de ses baisers volés qui la marqueront au fer rouge pour le reste de ses jours.
Il faudra beaucoup de temps, beaucoup d'errances avant que Lucie puisse revenir vers cette mère qui n'a voulu rien voir. Mais, tel un poison qui coule dans ses veines, son corps d'enfant meurtri reste à jamais lié à sa vie de femme, indéniablement.
J'ai découvert
Sylvie Germain avec ce roman envoûtant. Dans la beauté des mots, l'auteur dévoile la noirceur des âmes. Entre onirisme et réalité, l'écriture est splendide. Pourtant, aborder un tel sujet n'est pas simple. Certains préféreront un récit plus "concret", plus sobre. Mais les faits, on les connaît tous, relayés tous les jours dans les sordides faits divers : il s'agit du viol d'un enfant. Comment ensuite mettre des mots sur la souffrance de l'enfant ? A travers ses phrases si particulières,
Sylvie Germain a sondé l'âme de Lucie et a donné forme à sa douleur et à sa haine de la manière la plus parfaite qui soit . Moi, j'ai plongé dans son roman et je n'en suis toujours pas revenue. C'est un livre qui reste en moi, un peu comme une révélation.
Si je devais n'en retenir qu'un sur ce sujet, ce serait "
L'enfant Méduse".