C'est un livre trouvé au fin fond de la bibliothèque municipale de Rouen - de sa réserve, plutôt. ce livre date de 1989 et je trouve que l'on a tendance à trop se réfugier dans l'immédiateté, et à ne pas assez retourner dans le passé, pour lire ou relire des livres qui datent des décennies antérieures. L'on retrouve ainsi des faits oubliés, ou devenus impossibles. Ainsi, Gabriel, qui n'a pas de médecin traitant, trouve un rendez-vous médical dans la journée, sans difficulté, et ce médecin, découvrant son état mental, lui donne un arrêt maladie de quinze jours - pour qu'il puisse changer d'air, se remettre.
Dans un registre plus léger, Gabriel est photographe "à l'ancienne", puisque le numérique n'existe pas. Aussi, les retouches photos quand une erreur est faite "sur place" est nettement plus compliquée à corriger - quand ce n'est pas totalement impossible. Rude vie que celle de ce photographe qui va de cérémonie en cérémonie, de maternité en maternité, pour immortaliser ces moments de bonheur et tenter de les vendre après.
Et Gabriel dans tout cela ? Il vit seul, il rêve seul, il se souvient et son monde se désagrège au fur et à mesure que le mur en face de lui est démoli. Il fera même une incursion dans le chantier, comme tant de jeunes le font. Pour constater l'ampleur de la démolition, ou l'ampleur de sa démolition, de ce qu'il pourrait construire - ou reconstruire - s'il quittait enfin ce terrain trop connu. Je reconnais d'ailleurs que le dénouement m'a semblé un peu hermétique, et c'est peut-être ce qui m'a empêché d'aimer pleinement cette lecture.
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Gabriel mène une vie morne. Une fois achevé son travail de photographe, il se réfugie entre les quatre murs de son appartement dont les fenêtres donnent sur une façade qui le protège du monde. Sur ce mur s’étale le portrait du Docteur Pierre, visage fané d’une réclame pour une pâte dentifrice. « Il vivait en miroir d’un immense visage muet d’une apaisante indifférence. Il ne voulait rien d’autre. » (p. 19) Dans sa solitude et sa réclusion volontaire, Gabriel tient le monde à distance, et le Docteur Pierre l’aide à tenir ses démons en respect. Hélas, quand un chantier de démolition s’en prend à l’immeuble et au portrait défraîchi, Gabriel se sent assailli, perdu, dépourvu de repères et de protection. Quand la grande façade est tombée, il y a désormais trop de lumière dans l’appartement de Gabriel. Avec elle s’engouffrent les souvenirs d’Agathe, amour enfui aux relents de souffrance. Gabriel pourra-t-il retrouver sa sérénité ?
Symbolique, presque mystique et tout à fait solennel, ce court roman est d’une grande beauté, mais il est un peu hermétique. Et c’est avec une déception certaine que je sais être passée à côté de cette œuvre. Pour finir, un extrait qui illustre tout à fait cela. « Blessure du temps que Gabriel n’avait pas vu passer, blessure des jours au fil desquels s’était usée lentement sa jeunesse sans crier gare, ni quoi que ce soit d’autre d’ailleurs. Blessure des nuits sans sommeil et d’espoirs sans élans, sans éclat et sans force. Blessure d’un corps rejeté sur la grève de la plus grise solitude, dans les sables amers du désir déchu de ses droits de jouissance. […] Blessure d’une mémoire confuse, ensommeillée de nostalgie et de langueur – enamourée d’une enfance devenue fabuleuse à force de distance. » (p. 127)
Rendez-vous avec un autre texte de Sylvie Germain, très bientôt.
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(...) ce mur était son rempart contre la ville, contre la foule, et ce visage était son horizon. C'est que les larmes qui sourdaient de ce rêve étaient les siennes - purifiées, magnifiées. Toutes les larmes enlisées dans son cœur, et qu'il n'avait pas su verser. C'est qu'il avait déposé derrière cette face muette la lancinante rumeur du désir que son corps et son sang d'homme minime ne pouvaient plus depuis longtemps contenir et endurer. C'est que ce grand visage mural était un suaire dont le sourire masquait la fadeur de ses jours, le vide de ses nuits.
« Blessure du temps que Gabriel n’avait pas vu passer, blessure des jours au fil desquels s’était usée lentement sa jeunesse sans crier gare, ni quoi que ce soit d’autre d’ailleurs. Blessure des nuits sans sommeil et d’espoirs sans élans, sans éclat et sans force. Blessure d’un corps rejeté sur la grève de la plus grise solitude, dans les sables amers du désir déchu de ses droits de jouissance. […] Blessure d’une mémoire confuse, ensommeillée de nostalgie et de langueur – enamourée d’une enfance devenue fabuleuse à force de distance. » (p. 127)
Son immobilité semblait alors résulter tout autant d’une pose éternelle que d’une fulgurance plus vive qu’un éclair.
« Il vivait en miroir d’un immense visage muet d’une apaisante indifférence. Il ne voulait rien d’autre. » (p. 19)
« La grosse bâtisse désaffectée demeurait encore riche de mémoire, d’imaginaire. » (p. 27)
Lecture de Sylvie Germain : une création originale inspirée par les collections de la BIS.
Ce cycle est proposé depuis 2017 par la BIS en partenariat avec la Maison des écrivains et de la littérature (MéL). Un mois avant la restitution, l'écrivain est invité à choisir un élément dans les fonds de la BIS. Lors de la rencontre publique, « le livre en question » est dévoilé. Chaque saison donne lieu à la publication d'un livre aux éditions de la Sorbonne "Des écrivains à la bibliothèque de la Sorbonne".
Saison 5 : Jean Lancri, Gaëlle Obiégly, Sylvie Germain et Michel Simonot
Captation, montage et générique par Corinne Nadal
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