Quatre actes de présence

Le souffle : pure expression de vie, signature à la fois si délicate et si pénétrante, infime et bouleversante, de la présence d'un vivant. Comme la lumière, il frémit à la lisière de la matière et de l'immatériel, entre mystère et merveille.

La musique est par excellence l'art d'agencer et de faire tinter le silence, de lui conférer un rythme, une dynamique ; dans une partition musicale, les silences sont signifiés, comme les notes, et ils portent des noms qui renvoient au souffle : respirations, pauses, soupirs, qui se déclinent en demi-soupirs, quarts de soupir...

Le silence est en synergie avec la sagesse, il est en effet nécessaire au travail de la pensée ; la réflexion ne peut avancer et la méditation se dilater que dans un espace mental désencombré, les idées ne peuvent surgir et prendre relief que dans un esprit attentif, disponible à l'imprévu, et les songes n'adviennent qu'au plus secret de l'être. Le silence féconde la capacité de jugement, il aiguise la conscience et e discernement. Il a une fonction pédagogique, une qualité morale et une dimension métaphysique. Il a aussi, et par excellence, une vocation spirituelle.

"Dans un festin, et dans un festin seulement, l'homme se réjouit de la joie de l'autre, je dirais même plus : il a besoin de cette joie. [...] Le festin est peut-être - paradoxalement - le seul lieu où la joie de l'autre ne suscite pas l'envie, où il n'existe aucune concurrence, aucun numerus clausus ; le nombre accru des convives, loin d'être un obstacle, un danger, multiplie la joie de chacun et de tous." (Steinhardt)

Cette carence de vie avant la mort n'affecte pas que les miséreux, elle frappe tout autant les nantis, comme en a témoigné Fritz Zorn dans son livre Mars, paru juste après sa mort à l'âge de trente-deux ans. Né sur la "rive dorée" du lac de Zurich, Fritz Zorn (pseudonyme signifiant "colère") a été élevé dans un enfer douillet, très calme et lisse - l'enfer d'une bourgeoisie qui s'ingénie à esquiver toute question, à nier avec une égale opiniâtreté les drames, la souffrance, les désirs, la vie même, à éluder le présent, à tuer le temps de bout en bout en attendant une mort discrète, bienséante.

La "maison de Dieu" n'est pas une maison de retraite mais une tente de nomade à déplacer et redresser sans cesse, la foi n'est pas une rente viagère mais un trésor vivant qui nécessite une attention à renouveler chaque jour

Nous sentons tous, un jour ou l'autre, que la "vraie vie est absente", que nous portons des intuitions inexplorées, des capacités mentales inemployées, des aspirations inassouvies ; que nous sommes inachevés.
Mais le plus souvent, nous négligeons ces intuitions, par crainte ou par paresse, nous les laissons s'éteindre, par indifférence, à la fin se dissoudre, par oubli. Ou nous les enlisons dans des satisfactions faciles d'accès, dans des rêves à bas coût.

Se donne à qui veut bien le recevoir, et à le recevoir tel quel : un feu qui flamboie sans rien brûler, un vent qui passe sans s'annoncer, un léger souffle de lumière ; juste un soupir, une caresse

Celui qui perçoit ce chant de silence, qui reçoit ce souffle de vie pure, n'en est jamais l'unique destinataire et ne peut pas en garder la jouissance pour soi seul

un Dieu qui ne pourra jamais nous contraindre, qui ne pourra jamais s'imposer, un Dieu qui ne pourra que mourir de tous nos refus d'amour