Fille de rapatriés d'Algérie,
Frédérique Germanaud est née en 1966, soit quatre années après l'exode de ses parents.
De cet exode, elle en a entendu parler durant son enfance et son adolescence jusqu'à en rejeter le récit.
Elle souffre, comme nombre d'enfants de rapatriés, de l'image négative des rapatriés d'Algérie dans l'opinion publique en France. Colons, exploiteurs, d'extrême droite...Le récit de leur exode, de leur supposé malheur et de leur perte ne supporte pas la comparaison avec d'autres exodes, d'autres malheurs, d'autres pertes, ceux des justes.
«Nés en Algérie, ils sont mon origine, mal aimée, mal comprise.» écrit-elle à la page 12.
Dans cette France qui les reçoit en pinçant le nez et en se bouchant les oreilles, «Ils sont devenus étrangers. Redevenus devrais-je écrire puisqu'ils l'étaient déjà il y a une poignée de générations, exilés d'Espagne, de France ou d'Italie.», poursuit-elle à la page 20.
Rarement il m'a été donné de lire des phrases aussi proches de ma propre expérience de l'exode des rapatriés d'Algérie, moi qui en suis un, parti d'Algérie avec mes parents à l'âge de 10 ans.
Frédérique Germanaud a compris que pour sortir de ce récit il fallait y entrer. C'est ce qu'elle fait dans son roman
Dos au soleil.
Elle plonge dans le passé de ses parents, recueille tout ce qui se dit, s'écrit, se lit, se voit sur le départ d'Algérie. Elle retrouve le nom des bateaux de la CNT (El Djezaïr, El Mansour, Ville d'Alger, Ville d'Oran, Ville de Tunis, le Sidi Ferruch, le Kairouan...) elle lie le destin de ces passagers forçés à celui de navires qui finiront tous cobayes des essais nucléaires français ou dépecés dans différentes parties du globe.
Elle convoque mes fantômes, la machine à coudre de ma mère expédiée depuis le port d'Oran et jamais retrouvée, la Dauphine récupérée un mois après sa «disparition», la Ménagère de 48 pièces dont mon frère avait la charge, et les papiers des ancêtres regroupés dans un porte document marocain de cuir frappé.
Page 68 «Qui penserait à mettre dans sa valise les actes de décès de ses ancêtres ?»
Frédérique Germanaud interroge
L Histoire lorsque
L Histoire se refuse à témoigner pour ceux qui ne sont pas du bon côté.
Elle prend le contrepied de l'auteur de l'Algérie c'est beau comme l'Amérique qui pense de ses parents et grands-parents :
« Comment accepter, à cinquante ans, qu'on est passé du mauvais côté de l'Histoire ? Qu'on a construit sa vie sur une injustice de fond ? »
Elle refuse de faire le voyage à Oran, pour voir, préférant garder pour elle sa «réalité de l'Algérie (...) plus cohérente dans (ses) carnets que ce (qu'elle) pourrait en voir ou tenter d'en comprendre.»
Sa leçon, si leçon il y a, c'est que l'on ne refait pas l'histoire et que si l'on assume une part de son héritage, ce n'est pas pour autant qu'on le défend et qu'on y adhère.
J'ai retrouvé dans les mots de
Frédérique Germanaud, la même émotion, la même intégrité la même humilité et les mêmes doutes que chez
Alice Zeniter dans
l'Art de perdre.
Je remercie les éditions Réalgar et Babelio de m'avoir adressé cet ouvrage lors de la dernière opération Masse Critique. Précisément celui que je voulais recevoir.
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