« Par une étrange presbytie collective, ce qui est digne d'intérêt se trouve toujours loin, incapables que nous sommes de le voir dans les détails et dans les infinies subtilités que nous avons sous les yeux. »
Ainsi prévenus, nous ne chercherons pas l'exotisme ou l'extraordinaire dans ces récits de
Frédérique Germanaud, qui préfère porter son attention sur des lieux banals, pauvres, anodins voire ingrats, lieux de silence, de secret, d'oubli, de solitude ou de perte, parfois repliés, ou fermés. Non plus l'aventure, ni ses aventuriers, mais plutôt des non-voyageurs, des anti-héros le plus souvent réduits au désoeuvrement et à l'observation du menu qui leur est donné.
Qu'on n'attende pas davantage des histoires habilement troussées :
Frédérique Germanaud "raconte" le peu et le maigre par le biais délibérément choisi d'une « écriture fragmentaire et discontinue ».
Comme les paysages, les sensations sont finement décrites et analysées, avec une attention patiente et méticuleuse aux presque riens, même les plus a priori insignifiants.
Rien de spectaculaire pourtant dans cette écriture, pas de prouesses (et encore moins de coquetteries) stylistiques, mais une élégance impeccable, précise, sûre, toute de maîtrise. le parti pris de la simplicité et du dépouillement est magistralement tenu, qui s'exprime sur un mode pointilliste, par touches remarquablement délicates et avec un vocabulaire parfait de justesse, jamais pris en défaut. Encore, la pénétration psychologique atteint à une finesse qui force l'admiration.
« Comme ces rapporteurs minutieux du réel, ceux qu'elle nomme écrivains du peu, ses compagnons de longue date » (
Charles-Albert Cingria,
Henri Calet*,
Jacques Réda,
Joël Vernet,
Henri Thomas,
Jean Follain,
Richard Brautigan ou
Georges L. Godeau),
Frédérique Germanaud écrit avec "une focale longue, celle qui révèle le détail".
Ainsi, dans l'un de ces récits, Marika "ne comprend pas tout à fait ce que cherche Flora, pourquoi elle se réjouit du savoir qu'elle va cueillir si loin alors que tout est à portée de main, dans les livres."
Chacune des cinq nouvelles de ce recueil rigoureusement construit est suivie et prolongée par un long texte en italique où l'écrivaine reprend la main pour s'exprimer de façon clairement autobiographique : c'est
la chambre d'écho.
À l'heure où (par quel refus du style ?) nombre d'auteurs "dont on parle" semblent avoir renoncé au travail de la langue – exemples récemment lus :
Michel Houellebecq,
Laurent Binet,
Philippe Labro ou
David Foenkinos –, il est rassurant et, disons-le, réjouissant, de constater combien
Frédérique Germanaud « sait écrire » et, partant, convainc, emporte.
Les bons livres sont ceux qui laissent, après qu'ils ont été lus, une impression tenace et lancinante. Ils marquent. Et c'est bien le fait de celui-là.
* « J'aime ces faubourgs pauvres où il n'y a rien à voir. »