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16 février 2017
Un-e individu-e ne saurait être réduite à un-e membre d'un groupe stéréotypé

Redécouvrir Viola Klein « pour ne pas participer à une science malade, et à l'oubli, féministe aussi, souvent rejoué, de sa propre histoire » (Eve Gianoncelli)

Dans leur introduction, Eve Gianoncelli et Eleni Varikas abordent la production intellectuelle féministe, les « aventures épistémologiques et politiques de la théorie et de la pratique féministes dans les sciences sociales et humaines » et présentent Viola Klein et ses travaux. Elles parlent, entre autres, d'« une contribution précieuse à la compréhension de la formation du stéréotype de la ‘féminité' et, plus généralement, des procédés de typage qui construisent, légitiment et font apparaître comme naturelles les catégorisations binaires et hiérarchiques de sexe, mais aussi de ‘race' et de couleur, de religion ou de sexualité ». Viola Klein, « en tant que femme, juive, exilée, précaire » était particulièrement sensible aux rapports de pouvoir et aux processus d'altérisation.
Eve Gianoncelli et Eleni Varikas discutent du « caractère féminin », de l'articulation entre expérience et formes de connaissance, d'inhibition du sujet, de bicatégorisation et de hiérarchisation, de l'universel correspondant au schéma masculin, des oeuvres de l'auteure et du « défaut supposé de radicalité » ou des limites dans les analyses. Elles insistent sur l'analyse sociologique, le souci de l'égalité émancipatrice, la « foi » dans le progrès, l'absence d'« analyse spécifique de la classe comme rapport de pouvoir », son souci à la fois théorique et pratique, sa conception forte de l'égalité et de la liberté…

« C'est, conformément à ce projet, à la réinscription dans l'histoire intellectuelle et dans l'histoire du genre et du féminisme, d'une pionnière, comme tant de femmes, injustement oubliée, dont les questions résonnent en outre avec des préoccupations actuelles, que ce numéro voudrait contribuer. »

Je n'aborde que certains points, dans les limites de mes connaissances.

Viola Klein souligne, entre autres, la division des qualités humaines en deux classes correspondant à la division entre les hommes et les femmes, la variété « déconcertante » de traits considérés comme caractéristiques des femmes, les traits liés à la position subordonnée des femmes, le dualisme comme soit disant « principe efficace pour réduire le chaos à un système », la déduction d'une « bipolarité psychologique des être humains » comme destruction non du chaos mais de la variété, la place des rôles sociaux, le résultat historique des conditions sociales sujettes aux changements, l'offense à l'estime de soi, les effets du découragement sur la créativité féminine, l'opprobre associée à l'écart aux conventions établies, l'inhibition de l'expression, la force des arguments étayés « par l'opinion »…

Eve Gianoncelli analyse « le processus de subjectivation féministe », la conscience des rapports de pouvoir, les liens entre « conscience diasporique » et expérience singulière, « La prise de conscience de l'imbrication des rapports de pouvoir dont en tant que femme, juive, exilée, prétendant exister dans l'univers académique, Klein fait l'expérience, débouche d'abord sur sur cette exploration plus spécifique de la féminité », les difficultés à penser le « sujet connaissant de la sociologie de la connaissance », la masculinité et la féminité comme termes « trop vagues et indéfinis pour être utiles », la place de « la dénégation commune d'une aptitude féminine à la pensée » comme élément déterminant du processus de subjectivation, l'inextricabilité du scientifique et du politique…

J'ai été particulièrement intéressé par l'article de Sonia Dayan-Herzbrun, les références à Theodor Adorno (je rappelle Tumultes N°23 : Adorno critique de la dominations. Une lecture féministe), les intellectuel-le-s sans abri, les groupes et individu-e-s « parias dans les sociétés d'après l'émancipation » (voir par exemple Eleni Varikas : Les rebuts du monde. Figures de paria), la désignation d'un groupe comme problème, « Pour échapper aux stéréotypes, il est inutile d'opposer un savoir à une illusion. Il faut s'ouvrir à la multiplicité indéfinie, toujours variable et contradictoire, des expériences, remplacer le confort par l'inquiétude permanente », la féminité comme idéologie. Je souligne une phrase de Viola Klein citée « Etre jugée, non comme individu, mais comme membre d'un groupe stéréotypé, implique une somme incalculable de restrictions, de découragements, de sentiments de malaise et de frustrations – même si les flatteries occasionnelles peuvent aider à renforcer un ego défaillant »
Jane Lewis analyse le féminisme « anglais » d'après la seconde guerre mondiale et particulièrement les travaux sur le « modèle duel » d'emploi féminin et leurs limites, l'absence de revendication « liée aux droits individuels », la non-prise en compte des classes sociales, le poids de l'idéologie familialiste, la mise en cause du travail ménager « corvée gratuite des femmes au foyer », les écarts aux argumentaires développés dans les années 60-70, mais aussi la détermination pour trouver le bon angle pour « faire valoir leur propos dans un contexte utile »…

Parmi les autres articles, je souligne l'article de Clémence Schantz « ‘Cousue pour être belle' : quand l'institution médicale construit le corps féminin au Cambodge », l'articulation entre biomédecine corps et genre, la contribution de l'institution médicale au maintien de l'ordre social, les périnéorraphies, le « coudre pour être belle », le façonnage du vagin à la taille du pénis du mari, « Fabriquer un vagin à la taille de l'homme revient à fabriquer le corps de la femme selon le désir de l'homme à travers l'intervention de la biomédecine », la pression de la prostitution sur toutes les femmes, les liens entre fantasme de « propreté » et ordre social…

Reste que le vocabulaire et l'usage de concept « bourdieusien » ne me semble pas approprié. Quoiqu'il en soit un exemple de la poursuite du modelage des corps féminins pour le seul désir et plaisir des hommes, avec la plus que complicité du corps médical.

Je termine par la passionnant article de Nassira Hedjerassi sur bell hooks.

« Faisant l'hypothèse que le rapport au savoir nous permet d'éclairer une telle trajectoire, je propose une lecture du parcours de formation de bell hooks, articulant des rapports sociaux pluriels combinés (classe, race, sexe), en prenant appui sur un corpus constitué principalement de ses écrits autobiographiques ».

L'auteure aborde les rapports sociaux et le rapport au savoir « indissociablement un rapport social et singulier », le rôle de l'éducation dans la construction des rapports sociaux inégalitaires, le « caractère partiellement fictionnel ou mytho-graphique » indiqué par bell hooks elle-même, le contexte ségrégationniste, la mobilisation parentale sur le plan éducatif, le « sentiment d'exil et même d'excommunication au sein de sa propre famille », l'éducation très rigide, la honte de ce qui relève du corporel, la résistance et la rébellion, « elle se construit dans le geste de « répliquer » », la socialisation et la question raciale, « la souffrance reliée au manque d'amour de soi», ce qui permet d'« élargir le spectre des possibles », la frénésie d'apprendre, le rôle fondamental des livres, la lecture comme activité clandestine et nocturne (ces deux derniers points me parlent intimement), la confrontation au monde universitaire « blanc, mâle, élitiste », les transgressions possibles, l'occultation des savoirs des vaincu-e-s par l'histoire…

En espérant que les livres de bell hooks évoqués dans cet article soient enfin traduits. En complément possible, bell hooks : ne suis-je pas une femme ? Femmes noires et féminisme
Lien : https://entreleslignesentrel..
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