Les Faux-Monnayeurs est un classique du XXe siècle. L'auteur,
Prix Nobel de Littérature en 1947, le considérait comme son premier véritable roman, qualifiant ses oeuvres précédentes de récits ou de soties (farces satiriques). Ce livre sert dans tous les cas à
André Gide de terrain d'expérimentation pour sa réflexion sur l'art romanesque : celle-ci fera de lui un précurseur du Nouveau Roman (courant littéraire né dans les années 1950, remettant en cause les canons du roman réaliste traditionnel et interrogeant la place du narrateur dans le récit).
Il est impossible de résumer ce roman tant les intrigues et personnages sont multiples. En simplifiant à l'extrême, on pourrait indiquer qu'il s'intéresse principalement à deux lycéens, Bernard et Olivier, et à deux écrivains, Robert de Passavant et Édouard Molinier. Autour d'eux toute une galaxie de personnages s'entrecroise.
Le récit débute de façon éclatante, sur un ton à la fois violent et bouffon. Bernard découvre qu'il n'est pas le fils de son père - un magistrat qu'il méprise -, mais les fruits d'un amour adultérin. Il écrit alors une lettre d'adieu à ce (faux) père détesté et s'enfuit. La vie l'attend. Il a de grandes choses à accomplir. Hélas, après ce début tonitruant, le grand écrivain dilue son intrigue et nous perd dans des dédales d'histoires ; c'est qu'il s'intéresse avant tout à des questions théoriques autour de l'art romanesque et cherche des voies pour dépasser le récit classique.
Gide multiplie ainsi les personnages, les points de vue et les techniques narratives. Il écrit tantôt à la troisième personne, tantôt à la première personne, utilise tantôt un narrateur omniscient, tantôt un narrateur ignorant, parfois même le narrateur apostrophe directement le lecteur. Ces différentes techniques s'entremêlent et nous confrontent aux questionnements fondamentaux d'un écrivain : comment appréhender à travers les mots le réel dans toute sa complexité et sa vérité ?
Cette interrogation se retrouve également dans la mise en abyme opérée par
Gide, qui lui permet de s'intéresser au concept même de roman. le personnage d'Édouard Molinier écrit en effet un roman intitulé
Les faux-monnayeurs. Mais au final, il ne fait que rédiger ses propres réflexions, comme une sorte de journal de son livre, en lieu et place du roman qu'il souhaite écrire. le roman (fiction) devient donc petit à petit un journal (réalité) que l'auteur cherche à retranscrire. L'intérêt pour Édouard n'est plus tant dans l'oeuvre qu'il projette d'écrire (roman), mais dans le chemin qui le mène à cette oeuvre (journal).
Gide propose même une double mise en abyme, puisqu'il écrit en parallèle des Faux-Monnayeurs, un
Journal des faux-monnayeurs, qui retranscrit son expérience et ses réflexions durant la rédaction de son livre, à l'image de son héros.
Avouons-le, ce tourbillon, malgré (ou à cause) de son ambition, ne m'est pas toujours apparu digeste et je me suis parfois fermement ennuyé, notamment dans le journal d'Édouard, personnage insipide et niais, que j'ai très peu goûté.
Par ailleurs, j'ai été assez gêné par le sous-texte homosexuel entre de jeunes lycéens et des hommes trentenaires. Sans entrer dans le politiquement correct, on ne peut pas lire ces ‘'amours'' sans éprouver un sentiment ambigu où les questions de l'emprise et du consentement restent problématiques
Trop théorique, trop fumeux, trop malaisant avec ces sous-entendus sexuels, je n'ai pas aimé ces Faux-Monnayeurs. L'ambition et la dextérité qu'ils recèlent sont évidentes, mais j'attends finalement autre chose d'un roman qu'un cours sur l'art romanesque.
Au final, que le grand maître me pardonne, le roman balzacien reste le canon indépassable pour moi et j'y trouve bien plus de vie que dans cet ouvrage de déconstruction érudit et brillant, mais assez vain à mes yeux.
Tom la Patate
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