Si le grain ne meurt /
André Gide (1869-1951)
Prix Nobel 1947
La cinquantaine passée,
Gide décida d'entreprendre l'écriture de ses mémoires. Tenant un journal depuis toujours, c'est sa vie privée ainsi notée qui lui a été un tremplin pour trouver l'inspiration. Cette autobiographie, écrite dans un style remarquable très classique, s'étend de l'enfance de
Gide jusqu'à ses fiançailles et nombres des éléments vécus et relatés dans cette oeuvre ont inspiré «
La porte étroite » et «
L'Immoraliste ».
Dans ce récit, il raconte sans fard les 26 premières années de sa vie. Lors de sa parution en 1926, le livre scandalisa ses contemporains. On parla d'audace provocante. Cela a toujours été dans la nature de
Gide de provoquer, obsédé qu'il fut d'être foncièrement sincère.
La jeunesse de
Gide n'a pas connu ce qu'il appelle « l'exotisme de la misère », mais plutôt la « simplicité archaïque » de la vie huguenote notamment lors de ses vacances à Uzès, berceau de la famille paternelle.
« Mes parents avaient pris coutume de passer les vacances d'été dans le Calvados, à La Roque Baignard, cette propriété qui revint à ma mère au décès de ma grand-mère Rondeaux. Les vacances de nouvel an, nous les passions à Rouen, dans la famille de ma mère ; celles de Pâques à Uzès, auprès de ma grand-mère paternelle. »
Dès le début du récit,
Gide fait part de ce vif sentiment qu'il éprouvait d'être divisé par sa double origine normande et languedocienne. Difficile alors pour le jeune homme de se sentir enraciné quelque part même s'il est fier d'être le petit fils du pasteur Tancrède
Gide et s'il se sent touché par la vie évangélique d'une famille paysanne. Il est certain que l'atmosphère régnant au sein de cette famille a eu un impact déterminant sur son enfance. Il reconnait son côté obtus et oppressé, paralysé par l'éducation puritaine et sévère de sa mère et fera tout pour que ce côté disparaisse et cède la place à un jeune homme épanoui et libre d'esprit et de corps.
« Mon éducation puritaine encourageait à l'excès une retenue naturelle où je ne voyais point malice. Mon incuriosité à l'égard de l'autre sexe était totale…Je vivais replié, contraint, et m'étais fait un idéal de résistance ; si je cédais, c'était au vice… »
L'amour de
Gide pour Madeleine Rondeaux, sa cousine, (Emmanuelle dans le récit) a eu une importance capitale dans la vie de l'écrivain. Elle devint sa femme en 1895. On retrouve Madeleine sous divers noms dans son oeuvre, que ce soit dans «
L'Immoraliste » ou dans «
La porte étroite ». Il apparait que cet amour se tournait vers un être faible, victime d'un drame familial et qu'il souhaita protéger.
L'ouvrage se divise donc en deux parties : dans la première, il raconte ses souvenirs d'enfance : ses précepteurs, ses écoles où il ne fut guère assidu, pour une scolarité globalement anarchique, sa famille, ses mauvaises habitudes, ses jeux, sa solitude puis son amitié avec Pierre Louÿs, sa vénération pour sa cousine et ses premières tentatives d'écriture. Dans la seconde partie,
Gide retrace sa découverte du désir et de sa pédophilie et son homosexualité, lors d'un voyage en Algérie. Affidé à Pierre Louÿs,
Oscar Wilde et Paul Albert Laurens, il vogue avec Ali sur des vagues d'oaristys en route vers l'empyrée…
Il faut bien retenir que
Gide porte un regard sévère sur ses obsessions et cette absence de complaisance se traduit par une confession écrite sincère et sans pudeur en une langue aux mots choisis et précis. Un critique disait : lire
Gide, c'est comme écouter du Bach.
Extrait : « le motif secret de nos actes, et j'entends : des plus décisifs, nous échappe ; non seulement dans le souvenir que nous en gardons, mais bien au moment même. Sur le seuil de ce que l'on appelle : péché, hésitais-je encore ? Non ; j'eusse été trop déçu si l'aventure eût dû se terminer par le triomphe de ma vertu, que déjà j'avais prise en dédain, en horreur. Non ; c'est bien la curiosité qui me faisait attendre… »
Pour la petite histoire, le titre fait allusion aux versets de l'Évangile selon
Saint Jean, 12,24-25 :
« Si le grain de blé qui est tombé en terre ne meurt, il reste seul ; mais, s'il meurt, il porte beaucoup de fruit. Celui qui aime sa vie la perdra, et celui qui hait sa vie dans ce monde la conservera pour la vie éternelle. »
Ce texte exprime donc de façon métaphorique la dualité de l'auteur. Commencé en 1916, ce récit à forme parfois de confession fait écrire à
Gide dans son journal : « Je n'écris pas ces mémoires pour me défendre, je n'ai point à me défendre, puisque je ne suis pas accusé. Je les écris avant d'être accusé. Je les écris pour qu'on m'accuse ».
Pour la petite histoire encore, notons que
André Gide eut une fille :
Catherine Gide (1923-2013), écrivaine, fille naturelle et seul enfant d'André
Gide et d'Élisabeth van Rysselberghe (fille de Maria et du peintre Théo van Rysselberghe). Elle fut reconnue par son père à la mort de Madeleine en 1938, épouse d'André
Gide.