J'aime beaucoup l'ambiance qui se dégage des thrillers de
Karine Giebel. Son style concis, incisif, alternant points de vue externe et interne, nous plonge en quelques lignes dans une ambiance à la fois oppressante et captivante, qui fait défiler les pages à une vitesse folle. Un style qui n'est pas dénué de poésie, non plus (« Escortée par la nuit, la pluie a filé en douce vers d'autres contrées. »), et qui nous fait osciller constamment de la douceur à l'horreur, de la souffrance à la délivrance.
Rien d'extraordinaire pourtant dans ce road-trip à deux, l'un – avocat respectable mais routinier, bourgeois un peu coincé - fuyant sa vie depuis qu'il sait qu'il va mourir (d'une tumeur au cerveau), l'autre – jeune délinquant plein de vie – en cavale depuis qu'il a commis le délit de trop. Deux solitudes paumées que tout oppose mais qui s'accordent contre toute attente, développant au fil des kilomètres ce qui ressemble à une relation filiale : l'un a depuis longtemps perdu contact avec son père, l'autre n'a jamais eu de fils, et le regrette...
Il regrette beaucoup de choses, d'ailleurs, ce François, à l'aube de sa mort. Faire carrière, vivre (très) confortablement, c'est agréable... mais est-ce épanouissant ? Maintenant que le tic-tac de la Faucheuse le hante (« Je vais mourir, je vais mourir... »), il se demande s'il a fait les bons choix : « Toute sa vie, il n'a vu que lui. Enfermé dans sa tour d'ivoire, indifférent à la misère quotidienne ». Mais peut-être n'est-il pas trop tard ? lui susurre le jeune Paul, qui brûle si bien la vie qu'il a déjà plusieurs cadavres sur la conscience... Alors ? Paul est-il celui qui fera de ses derniers instants de vie un feu d'artifice, ou bien celui qui l'enfoncera dans sa propre déchéance ?
Car voilà toute la dualité du roman... Paul est-il ange, ou démon ? Victime, ou bourreau ? Quoi qu'il en soit, François le moribond est « heureux d'être accompagné dans sa souffrance » pour ce qui constitue son dernier (et étrange) voyage. Tout comme
Baudelaire (dont les poèmes les plus noirs sont cités à chaque début de partie), il est hanté par le temps qui fuit et la mort qui s'annonce. Cependant il ne souhaite pas que sa compagne « assiste à sa déchéance », afin qu'elle garde « une bonne image de lui. de bons souvenirs »... le jeune auto-stoppeur est presque une bénédiction : il amène le quadragénaire à se libérer de ses carcans. Même s'il l'implique aussi dans une affaire hautement dangereuse. Mais bon, mourir d'une balle ou d'une tumeur !..
Le dernier tiers est un peu moins passionnant – classique histoire de mafieux, entre deux répits accordés par dame morphine (François plane comme un oiseau, mais il sait que l'atterrissage sera compliqué – petite allusion à « L'albatros »). L'histoire d'amitié insensée vire au scandale international étouffé, soit... Mais tout ce que l'on retiendra, c'est cette interrogation lancinante : « Qu'est-ce que je ferais s'il ne me restait que peu de temps à vivre ? »...