- Quand avez-vous compris que j'étais une femme? demanda-t-elle, avec, pour la première fois depuis des mois, un sourire malicieux sur les lèvres.
Cette mimique n'échappe pas à Wellington qui éclate de son rire sonore, celui qu'Odélie affectionne tant.
- Tout ce temps, vous avez fait preuve d'un contrôle impressionnant. Vous devriez faire mon métier.
Il fait allusion à sa mission et cela intrigue Odélie.
- Je ne vous ai jamais vue sourire, poursuivit-il. Dans le cas contraire, j'aurais découvert la vérité. Aucun homme ne peut sourire avec autant de charme.
Odélie se sent rougir jusqu'aux oreilles. Jamais personne ne lui a fait un si gentil compliment. Elle baisse les yeux, troublée par cette marque d'intérêt.
- Malheureusement, je n'ai même jamais soupçonné que vous n'étiez pas ce que vous prétendiez être. C'est le Dr. Senter qui m'a ouvert les yeux. Nous étions encore à Cambridge.
- À Cambridge!
Odélie se souvient tout à coup d'une phrase de Jean Rousselle. " Croyez-vous que ce soit par hasard si vous avez été désignée comme assistant du docteur? " lui avait-il demandé. avant de pousser son canot sur la rivière kennebec. Se pourrait-il que la réaffectation d'Odélie n'ait pas été une décision administrative? Wellington veillait déjà sur elle? Ce dernier lui fait alors un clin d'oeil. Puis il s'adosse contre la pile de bois sec et poursuit :
- Je me rends compte qu'il y a eu plusieurs indices depuis le début, mais, dans le feu de l'action, ils sont passés inaperçus. Votre secret explique plusieurs de vos comportement suspect à mes yeux. De même que ma propre attitude.
Cette dernière phrase pique la curiosité d'Odélie qui se redresse et s'assoit. El Wellington de baisser les yeux, intimidé.
- Sur la route de Philadelphie, j'ai remarqué ces... attentions que vous aviez pour moi. Cela m'a indisposé parce que je devinais à travers elles une certaine inclination de votre part. Vous aurez compris que les garçons ne m'intéressent pas... Toujours est-il que c'est à ce moment-là que j'ai commencé à me méfier de vous. Cela me rendait nerveux et je crois que la plupart des catastrophes qui nous sont tombées dessus ont été causées par cette nervosité. Sauf peut-être la dernière...
- La dernière ?
wellington indique du menton son bras gauche.
- Au moment où l'arbre m'est tombé dessus, j'étais en train de me demander si c'était pas Dieu possible que je sois amoureux de vous. Cela m'a distrait et a bien failli me coûter la vie. J'en ai été furieux contre moi-même pendant des jours.
Plongée dans une léthargie dont elle n'essaie plus de se tirer, elle sent brusquement des souvenirs l'envahir. Un feu, ses vêtements se balançant au gré du vent devant les flammes. Ses cuisses nues qu'on frotte, la caresse du cèdre souple sur sa peau. Elle comprend soudain que le malaise de Wellington. Il l.a déshabillée, il sait donc qu'elle une femme! Mais quelle importance cela aurait-il, maintenant que le sommeil devient pesant? Quelle différence cela peut-il faire puisqu'elle sait qu'elle ne le reverra plus? Il ne saura jamais à quel point elle l'a aimé. Il aura peut-être découvert sont secret, mais cela ne les aura pas rapprochés, comme Odélie l'avait tant espéré. Elle sent des larmes chaudes couler entre ses cils glacés. Elles figent sur ses joues et lui brûlent la peau jusqu'à ce qu'une main les essuie doucement. Odélie ouvre les yeux.
Devant elle, une silhouette se découpe dans la tempête. Seul le visage est identifiable. Wellington est à genoux à côté d'elle.
L'escapade sans retour de Sophie Parent - Mylène Gilbert-Dumas - VLB éditeur