The wicked & the divine, tome 5 : Phase impériale (1/2)

Ce tome fait suite à The Wicked + The Divine - Tome 04 (épisodes 18 à 22) qu'il faut avoir lu avant. Il comprend les épisodes 23 à 28, initialement parus en 2016/2017, écrits par Kieron Gillen, dessinés et encrés par Jamie McKelvie, avec une mise en couleurs réalisée par Matthew Wilson. Il comprend également les couvertures originales de McKelvie, ainsi que les couvertures alternatives réalisées par Kevin Wada, Jen Bartel, Emi Lennox, Nicola Scott, Alison Sampson, Chynna Clugston Flores, Elsa Charretier, et la photographie parodiant la couverture de l'épisode 26 de la série Sex Criminals (de Matt Fraction & Chip Zdarsky).

Ce tome s'ouvre avec un épisode en forme de magazine dont Kieron Gillen est le rédacteur en chef. Il comprend 6 articles et une page de crédits. Les articles comprennent en 4 et 6 pages et sont accompagnés de 2 ou 3 illustrations réalisées par Kevin Wada. Ils prennent la forme d'un texte rédigé avec des citations de l'interviewé intégrées dans le corps de texte. Ils concernent : la Morrigan, Baal, Woden, Lucifer, Amaterasu. le dernier article revient sur les événements s'étant déroulés dans le bâtiment Valhalla. Pour le premier janvier 2015, Perséphone contemple le feu d'artifice du nouvel an depuis le balcon d'un étage supérieur d'un gratte-ciel. Au milieu des bouquets, se dessinent les têtes de Luci (Eleanor Rigby), Inanna (Zahid) et Tara (Aruna) pour leur rendre hommage. Amaterasu (Emily Greenway) vient rejoindre Perséphone en train de fumer une clope. Perséphone reconnaît qu'elle a eu ce qu'elle souhaitait, sans que ça la rende heureuse pour autant. Amaterasu lui propose un baiser pour la réconforter. le lendemain, Minerva rentre dans la chambre de Baal et elle réveille Perséphone qui a passé la nuit avec Sakhmet (Ruth Clarkson). Minerva demande à Perséphone d'être gentille avec Baal.

Perséphone claque la porte au nez de Minerva en lui disant d'aller se faire voir. Elle consulte son téléphone et constate qu'elle doit répondre à une invitation. Perséphone descend au parking et elle enfourche sa moto. Elle sort en trombe de l'immeuble, mais accepte quand même de répondre à une question d'un fan faisant partie d'un petit groupe attendant d'apercevoir une des divinités. le fan demande comment ils doivent l'appeler sachant que certains textes indiquent que son nom ne doit pas être prononcé. Elle lui répond de l'appeler le Destructeur. Puis elle lance sa moto à fond jusqu'à arriver au pied de l'enceinte de Valhalla. Là, elle marque une pause, se souvenant parfaitement de ce qu'elle a fait subir à Ananke avec ses vrilles. Elle pénètre à l'intérieur où l'attendent Cassandra Igarashi et les 2 autres nornes.

Le début de ce tome déroute le lecteur. Il se souvient que ce n'est pas la première fois que les auteurs expérimentent avec la forme : l'épisode 8 alternait des cases dessinées avec des cases noires pour rendre compte de l'expérience de se trouver dans un concert de Dionysos et des pulsations de sa musique. le lecteur se demande ce qui justifie de passer en mode magazine pour l'épisode 23. Les peintures de Kevin Wada sont sympathiques et agissent comme des photographies de stars dans un magazine dédié à des idoles pop. le lecteur peut apprécier la mise en scène, et encore plus les costumes, le maquillage et les poses étudiées. L'éditorial de Kieron Gillen l'oriente dans l'objet du magazine et donc l'intention de l'auteur. Il s'agit de faire le point après la bataille du tome précédent, et les révélations faites au grand public concernant Ananke. Les pages de texte s'avèrent très fournies, avec une petite taille de police de caractère. En fin de volume, Gillen explique qu'il a fait appel à de vrais journalistes pour poser les questions et conduire les interviews, et qu'il a retravaillé chaque article à partir de cette matière. le lecteur se prête au jeu de cette forme sans rapport avec une bande dessinée. Il n'est pas forcément très convaincu par le ton de chaque article, plus posé qu'un véritable article de magazine pop. La narration par un journaliste ne met pas en évidence un point de vue très différent de l'un à l'autre, sa personnalité ne transparaissant pas. Les réponses de chaque personnage sont brèves et contiennent peu de nouvelles informations. Il est alors possible de voir ce numéro comme un rappel des faits passés. Au fil des pages, il apparaît que la forme retenue permet au scénariste d'effectuer des remarques plus explicites sur le caractère de chacune des divinités. Chaque journaliste intègre des réflexions sur son ressenti en se préparant à poser une question peut-être gênante, et sur la réponse plus ou moins évasive que donne l'interviewé. Finalement, le lecteur en apprend davantage sur chacune des 5 divinités, grâce à la perception qu'en donne chaque journaliste (il ne faut quand même pas être réfractaire à la lecture de textes).

Retour à une bande dessinée traditionnelle pour les 5 épisodes suivants. Suite aux nouvelles morts, il appartient aux divinités de choisir ce qu'elles vont faire ensuite. le lecteur qui a suivi depuis le début est fort aise de constater que la menace des grandes ténèbres évoquées par Ananke n'a pas été oubliée. L'intrigue avance rapidement : menace des ténèbres, questionnement sur la machine qu'Ananke faisait construire à Woden, évolution des alliances entre les différentes divinités. Kieron Gillen entremêle ces fils narratifs dans une trame riche et organique, chaque divinité évoluant dans ses valeurs et ses objectifs. Jamie McKelvie est de retour pour dessiner ces 5 épisodes. Il n'a pas changé sa manière de faire : détourage des formes par un trait fin, propre et net, représentation des arrière-plans en fonction de la scène. Il bénéficie toujours de la mise en couleurs de Matthew Wilson, nourrissant les dessins sans les écraser. Il rehausse discrètement quelques surfaces, et améliore le contraste en 2 éléments contigus. Il applique les effets spéciaux avec une précision chirurgicale et une pertinence extraordinaire : le résultat final semble avoir été fait un unique artiste, chaque élément (trait encré & couleur) ayant été pensé en même temps.

Comme dans les tomes précédents, le découpage de la page est pensé en fonction de chaque scène, rien ne semblant rebuter l'artiste : dessin en double page pour le feu d'artifice, vue globale d'un bâtiment (Valhalla), gros plans sur les visages, déchaînement d'énergie pendant un combat, scène intimiste, orgie… Jamie McKelvie parvient à intégrer du suspense dans une double page sur fond noir, avec juste une petite silhouette, tout aussi bien que dans 7 pages décrivant la discussion des divinités autour d'une table de réunion circulaire dans Valhalla. Il gère aussi bien le placement spatial des personnages dans une séquence avec plus d'une dizaine d'individus, que les expressions de visage pour exprimer des états d'esprit nuancés et complexes. Sans ostentation, la narration visuelle s'avère riche et diversifiée, emmenant le lecteur dans de nombreux endroits, le faisant côtoyer de nombreux personnages, avec une évidence qui reflète une grande maîtrise technique.

Sous le charme des dessins, le lecteur découvre le début de cette phase impériale. Il s'agit d'une référence historico-politique qui évoque la manière dont un état arrivé au stade d'empire se termine. Les divinités étant maintenant installées dans leur rôle, comment va évoluer leur influence ? le scénariste ne met pas en scène cette question d'une manière théorique ou académique. Débarrassées de la tutelle d'Ananke, les divinités peuvent jouir sans entrave, sans objectifs qui leur soient imposés. La question se pose de savoir quelle part d'humanité reste encore en elles, les interviews ayant apporté des éléments pour y répondre. Il est possible également de considérer cette histoire comme une métaphore de l'entrée dans l'âge adulte, de la prise d'autonomie, et de la découverte de son caractère et de ses valeurs. du fait de la situation, les divinités se rassemblent autour d'une table pour choisir ce qu'elles souhaitent faire entre en se préparer à combattre les Grandes Ténèbres, en découvrir plus sur la Récurrence, ou une troisième voie inattendue. Faut-il se préparer à la vie active pour assurer sa subsistance matérielle, continuer à étudier, ou autre chose ? Ce questionnement n'est pas le seul. Baal se retrouve à assumer une forme de parentalité vis-à-vis de Minerva, de responsabilité vis-à-vis de ses parents. Bien que plus jeune, Minerva se sent la responsabilité de partager ce que lui dit sa sagesse, à des individus qui n'ont pas envie de l'entendre. Cassandra veut percer à jour les plans d'Ananke pour ne pas se faire surprendre. Woden se heurte de plein fouet aux conséquences de son comportement de jouisseur lâche et misogyne et s'interroge sur sa réelle capacité à changer. le lecteur se retrouve immergé dans une narration captivante, pleine de suspense et de questionnements sur l'existence, pleine de surprises formelles (l'étonnant épisode 27 avec des découpages en bande jouant sur la simultanéité).

Après un quatrième tome faisant la part belle à l'action, le lecteur pouvait s'attendre à une baisse de rythme ou d'intensité. Il n'en est rien. Les auteurs redoublent d'inventivité, prenant le risque de rebuter leur lectorat avec un numéro sous forme de magazine, avec des séquences à la conception aussi ébouriffante que naturelle. L'intrigue avance rapidement, ainsi que les relations interpersonnelles, pour un récit riche et varié, divertissant et intelligent, se lisant avec facilité et plaisir.

Une première phase impériale des plus excellente et exceptionnel avec nos dieux qui nous donne un scénario hors du commun est vraiment potable ou tout s'enchaîne a vitesse grand v mais on reste en admiration devant ce volet grandiose encore un grand bravo