"Les enfants commencent par aimer leurs parents;
en vieillissant ils les jugent;
parfois ils les pardonnent."
Oscar Wilde,
le portrait de Dorian Gray
Cette histoire est celle de Mikal Gimore, petit frère de Gary Gilmore (qui a assassiné deux hommes en 1976, après avoir passé une grande partie de sa vie en prison ou derrière les barreaux, et dont
Norman Mailer avait relaté l'histoire dans
le chant du bourreau en 1981). C'est le témoignage poignant d'un homme qui cherche à comprendre son passé en racontant, sans larmoiement ni pathos, mais avec beaucoup de finesse et de générosité, ce qui a pu mener sa famille dans le gouffre de noirceur dans lequel elle a fini.
La transmission d'un sentiment de malédiction.
Mikal Gilmore raconte tout d'abord l'histoire de ses parents, Bessie Brown et Frank Gilmore. Sa mère est née "dans l'Utah mormon au début du XXe siècle- un lieu qui, à de nombreux égards, était formidablement différent de l'Amérique qui l'entourait. Les mormons possédaient depuis longtemps un fort et spectaculaire sens de l'altérité et de l'unité: ils se voyaient non seulement comme le peuple élu moderne, mais aussi comme un peuple dont la foi et l'identité avaient été forgées par une longue et sanglante histoire, et par le bannissement pur et simple. Ils formaient un peuple à part - un peuple doté de ses propres mythes et objectifs, et d'une histoire d'une violence ahurissante." (P.29).
Bessie était différente de ses frères et soeurs, moins docile et plus rebelle. Elle ne voulait pas rester "enfermée" dans les lois et règles strictes des mormons mais rêvait d'un ailleurs, et c'est Frank Gilmore, beaucoup plus âgé qu'elle, qui lui a donné le sentiment qu'elle pourrait échapper à sa propre famille.
Le problème est que Frank Gilmore avait aussi ses zones d'ombres. D'ailleurs, Mikal raconte qu'il reste encore des mystères à propos de son père, dont personne n'a voulu lui expliquer la teneur.
Frank et Bessie ont fini par avoir des enfants, une "tragédie" en soi pour l'auteur, et n'ont eu de cesse de se déplacer et de changer de noms en passant d'un état à l'autre. Pourquoi? On apprend que Frank Senior était un escroc notoire. Lorsque Gary né dans les année 40 au Texas, ses parents le déclarent sous un autre nom. Et puis il y a autre chose, le passé trouble de ce père étrange. Seule Bessie était au courant de ce secret et jamais elle n'en a parlé à ses enfants. Quoi qu'il en soit, des hommes mystérieux poursuivaient la famille, mettant Frank Sr. dans un état de nervosité et de peur incroyables. Tous ces mystères ont bien sûr nourri les fantasmes des enfants, et certains d'entres eux ont commencé à avoir des problèmes avec la justice, Gary en particulier, puis ensuite Gaylen.
Au bout d'un certain moment, la famille s'est posée, après que cette fuite en avant étrange et suspecte ait cessé. Frank Senior a réussi à gagner un salaire honnête grâce à la vente d'un livre mais malgré tout, les choses ne se sont pas améliorées pour les fils Gilmore. Frank Junior, Gary et Gaylen, les trois aînés (Mikal est né plus tard, en 1951) étaient régulièrement battus par leur père sans aucun motif, hormis de la méchanceté et une paranoia déplacée. Gary s'est retrouvé dans une maison de correction, pour en ressortir un an et demi après, changé ... en pire. Il était sur la voie du crime.
Comme se le demande Mikal, sans ce passé, sans cette famille et sans la violence de son père, aurait-il fini en prison et dans le couloir de la mort? Question sans réponse, car il est impossible de trouver l'origine du crime et du mal, même si la situation dysfonctionnelle et le malaise constant qui régnait dans la famille Gilmore ont sans nul doute laissé des traces indélébiles dans l"inconscient de la progéniture. Chacun des fils a été détruit à sa façon, et aucun n'a voulu avoir d'enfants, de peur de transmettre la malédiction.
Ce qui se remarque aussi dans l'histoire de cette famille, c'est tous le folklore, les mythes, les fantasmes qui ont été transmis au fil du temps par les parents Gilmore à leur enfants, qui eux-mêmes les avaient hérités de leurs propres parents. Par exemple, à la base du drame familial maternel semble se situer une mort, celle d'Alda Brown, la soeur de Bessie, dont la fratrie ne s'est jamais remise. de cette mort est née beaucoup de malheur et de tristesse. du côté paternel, Franck Gilmore Senior ne connaissait pas clairement son père. Encore de la souffrance. Ainsi, toutes ces histoires de morts, de fantômes, de drames ont hanté l'histoire de la famille Gilmore, comme si le passé réclamait son dû. Gary Gilmore en a-il été la victime?(consciemment?)
Cela rappelle
Shakespeare (Les péchés des ancêtres viennent hanter la vie des vivants, la malédiction des anciens rejailli sur leur descendance.) C'est ce qu'évoque sans cesse le narrateur, et on le comprend, tant il a peur de transmettre lui-même ce malheur.
Mikal Gilmore ne croit pas aux fantômes, ni aux esprits, mais veut affronter ses démons intérieurs, et pourtant, tout reste compliqué...
Ce texte est très émouvant, car il est sensible et on sent la peur suinter du texte, comme si même l'écriture ne pouvait venir à bout du malheur. Point positif s'il en est,
Mikal Gilmore est devenu rédacteur en chef du magazine
Rolling Stone aux Etats-Unis, signe que la "résilience" existe malgré tout.
A lire, magnifique...
Une note? 10/10, car ce texte me parle, comme m'avait parlé celui de Delphine de Vigan ( Rien ne s'oppose à la nuit, voir avis ici) qui cherchait elle aussi au fond d'elle-même une réponse.
Bravo à M. Gilmore!