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EAN : 9782070377527
608 pages
Gallimard (20/02/1986)
3.84/5   63 notes
Résumé :
Le Bonheur fou, c'est celui qu'éprouve Angelo Pardi, le héros du Hussard sur le toit, à faire la révolution italienne en 1848. Angelo se promène à travers la révolution comme il se promenait naguère à travers le choléra de Provence. La guerre - cette guerre-là, qui est à la fois guerre civile et guerre à l'Autriche - lui communique les sentiments les plus délicieux. L'amitié y prend quelque chose d'exalté et d'admirable, bien propre à transporter l'âme la plus noble... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Où le mystère n'est pas où on le cherchait
ET
où les Bourgeois Gentilhommes se croient Tartuffes.

J'ai lu ce livre avec un plaisir non mitigé. C'était un grand bonheur ! Un bonheur,comme de vivre un de ces après-midis d'été, ivres de soleil, où le temps même s'écoule langoureusement et où rien, vraiment rien ne peut vous détourner de l'essentiel. Et l'essentiel, c'est ici et maintenant.

Pourtant. Pourtant il y aurait à redire. Car quand j'essaye de reconstituer ma lecture, je trouve un blanc. Ou plutôt, en lieu et place du blanc, je trouve Angelo. Angelo est comme ces textes qui pensent se suffire à eux-mêmes. Il ne se mettent pas au service d'une thèse, n'apportent pas d'arguments, n'attaquent ni ne défendent rien ni personne. Ils se content. On les écoute, comme on entend les rivières couler. Et quand le texte a fini de s'écouler, quand, la couverture refermée, le silence se fait, on se rend compte que c'est fini. La magie de l'instant s'est évaporée. C'est fini. Mais que s'est-il passé ?

Vous avez été mené, emmené, emporté dans les bras d'un conte. Vous lui cherchez des raisons, des buts et des moyens, mais il n'en avait d'autre que de vous enchanter. Ce qui fut fait, et vous laisse pantois.
Mais comment, me direz-vous, comment fonctionne cet enivrement ? Par magie. Angelo est une créature mythique, un héros. L'héros est cette créature, faite en apparence comme vous ou moi, mais qui se différencie par l'exagération d'une caractéristique. Chez Angelo, c'est le courage. Non pas le courage de celui qui mène un long combat contre l'infortune, mais celui du spadassin. Il est l'héritier d'une belle tradition, qui a chanté les exploits d'Hercule, d'Achille et d'Hector, d'Ulysse et même de d'Artagnan. Il cherche ce qu'il appelle le bonheur, et veut le trouver dans l'action héroïque, de préférence même dans la mort héroïque. Un héros ne se justifie pas par des raisonnements, il ne fait qu'accomplir sa destinée. En ce sens, Angelo échouera : il est invincible et l'héroïsme ne le mènera pas au Panthéon. Mais quelle fougue, quelle audace, quelle force ! C'est ce qui fait briller les yeux des enfants, et des hommes qui jugent leur vie par trop grise. L'héros, lui, s'oppose au destin, et c'est ce qui le distingue. Nous manquons cruellement d'héros …

Que penser d'un livre sans thèse ni message? Serait-on justifié à se sentir floué parce que n'ayant rien appris ? Ne s'agirait-il que de littérature d'amusement ? Alors, que penser, justement, de grands classiques tels que l'Odyssée, des pièces de Shakespeare ou de Molière ? Quelle est la fonction du Médecin malgré lui ou du Bourgeois Gentilhomme ( ne parlons pas d'utilité) ? Sans doute avaient-ils un message social ou politique au moment de leur écriture; message qui est beaucoup moins visible aujourd'hui. Mais même s'ils n'en avaient pas, qui oserait contester leur valeur ? Il doit y avoir en moi quelque chose de puritain, qui estime perdre son temps quand il n'apprend pas
quelque schéma qui lui permette de mieux saisir la réalité, et qui s'en sent alors coupable. C'est étrange, car je ne me voyais pas ainsi. Je ne crois pas que tout doive avoir une fonction. J'apprécie la beauté, et pourtant, il y a ce coté puritain ( qui n'a d'ailleurs rien à voir avec la religion mais plutôt avec un furieux besoin de comprendre) .

Ainsi, bien qu'ayant été ravi par un conte, et n'ayant rien eu à comprendre, j'aurais appris quelque chose. Surprenant, non ? Surprenant, ou magique …





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Dans la bonne trentaine de romans, récits et nouvelles qu'a écrits Giono, « le Bonheur fou » est le plus long (470 pages dans l'édition originale contre 403 pour « Batailles dans la montagne » et 398 pour « le Hussard sur le toit »). C'est également l'un des plus curieux, parce qu'il s'apparente à plusieurs genres littéraires sans être totalement affilié à aucun.
Quatrième roman (chronologiquement parlant) du « Cycle du Hussard », il prend place juste derrière « le Hussard sur le toi » dont il constitue la suite. Mais si vous pensiez que l'auteur vous conterait la suite des aventures amoureuses d'Angelo Pardi et de Pauline de Théus, vous vous mettez le doigt dans l'oeil jusqu'à l'omoplate. Pas de Pauline à l'horizon, et « le Bonheur fou », de toute évidence n'est pas un bonheur sentimental. C'est un roman historique, politique et même patriotique : il s'agit ni plus ni moins de la première guerre d'indépendance entre l'Italie et l'Autriche en 1848, une révolution plus ou moins avortée, mais qui sème déjà les graines d'une révolution plus ample qui mènera à la constitution du Royaume d'Italie et à l'unification du pays en 1861.
C'est donc apparemment, un roman historique que nous propose Giono : Angelo, de retour en Italie après ses aventures françaises, se trouve devant le siège de Mantoue. Mais l'Italie de son enfance, celle qu'il recherche plus ou moins, n'est plus là : ici c'est la guerre qui rebat les cartes. Si les insurgés affichent tous un patriotisme exemplaire, il se joue également un jeu d'influences qui, pour une nature noble comme Angelo, est entaché de bassesse. Angelo va apprendre à ses dépens que rien n'est acquis, et qu'il faut se méfier de tout, de tout le monde, y compris de ses amis, y compris de sa famille. Son frère de lait, Giuseppe, va se découvrir traître, cupide, envieux, lâche et en tous points l'antithèse d'Angelo, courageux, chevaleresque, et animé des meilleures intentions.
Pourtant le drame historique (remarquablement reconstitué, au travers de scènes de batailles particulièrement réussies) n'est là que pour amener le drame personnel qui oppose Angelo à Giuseppe. Cette lutte fratricide, qui n'est pas sans rappeler Caïn et Abel, Etéocle et Polynice, ou plus près de nous les protagonistes de « A l'est d'Eden » (de Steinbeck), est le noeud du roman et en constitue la conclusion.
Alors, on peut se poser la question : « le Bonheur fou ». Mais quel bonheur ? Et pourquoi est-il fou ? On sait déjà que ce n'est pas un bonheur sentimental. Est-ce la flamme patriotique des révolutionnaires, et celle d'Angelo en particulier, qui anime les insurgés ? Pourquoi pas ? le terme « fou » correspond assez bien à cette révolte légitime, mais peu raisonnée, et peu raisonnable, d'ailleurs l'insurrection sera un échec. Ou alors ce « bonheur fou » pourrait être cet extraordinaire appétit de vivre qui caractérise Angelo : vivre de façon intense, mais vivre pour vivre (de là l'adjectif fou, qui signifie à la fois démesuré et hors de tout raisonnement sensé). Et si ce « bonheur fou », après tout, ne s'appliquait pas au roman et à ses personnages, mais à Giono lui-même, qui a dû trouver une belle jubilation à écrire ces pages qui rappellent tantôt Stendhal, tantôt Tolstoï et tantôt Giono lui-même dans son goût des descriptions précises et colorées, son dessin, subtil et fort à la fois, de personnages inoubliables, son affection pour Angelo
Sans parler de son style inimitable, fluide et riche, qui nous enchante et nous donne, à nous lecteurs et lectrices… un bonheur fou !
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Le bonheur fou, au-delà de celui de son héro, est assurément pour Jean Giono, celui qu'il a eu à écrire ce roman. On y perçoit à tout instant la gourmandise que l'auteur y prend dans ses descriptions de paysages, d'action ... ses dialogues.
C'est également celui du lecteur (que je fus) qui dévora les pages avec rage et délice.
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Dans l'affrontement entre le Piémont-Sardaigne et l'Autriche, pour « libérer » la Lombardie, Angelo Pardi, le « hussard sur le toit », déploie son essence et son existence à sa manière bien spécifique, ravissante et inactuelle. Un régal et un rêve, servis par la langue de Giono à son sommet d'ironie.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/03/04/note-de-lecture-le-bonheur-fou-jean-giono/

Quelques années après avoir dû se réfugier quelque temps en Provence (et y vivre les événements, entre exil forcé, épidémie de choléra et amour fou resté un temps platonique, qui donnèrent lieu, moyennant quelques ajustements internes, à « Angelo » et au « Hussard sur le toit », vers 1836-1840), Angelo Pardi, toujours jeune colonel piémontais de cavalerie issu d'une noble et influente famille turinoise, toujours aussi engagé dans les menées révolutionnaires visant notamment à secouer le très réactionnaire joug autrichien sur l'Italie du Nord, se retrouve pris au coeur des événements de 1848, lorsque les soulèvements populaires en Sicile, à Naples et à Rome font office de déclencheur au Nord, entraînant à la fois l'insurrection à Milan et dans certaines villes plus modestes du royaume lombardo-vénitien géré par l'Autriche, et la déclaration de guerre à la puissance occupante par le roi Charles-Albert de Piémont-Sardaigne. Naviguant de courrier secret en mission auto-attribuée, Angelo parcourt cette campagne militaire et révolutionnaire en franc-tireur alerte, tout en étant conduit, inexorablement, à la résolution dramatique de certaines contradictions politiques (dont un long prologue parmi les filières à l'étranger des carbonari, prologue dont Angelo était tout à fait absent puisque se passant vingt à vingt-cinq ans plus tôt, nous offrait les racines délétères), familiales et intimes qui le hantaient depuis longtemps, souvent à son insu et tout à son honneur.

De nombreux commentateurs (dont, au tout premier chef, Pierre Citron, dans sa copieuse et précieuse notice accompagnant le texte dans La Pléiade) ont noté que ce roman de 1957 qui achève le cycle dit « du Hussard » (si l'on excepte l'écho que l'on en retrouvera dans « Les récits de la demi-brigade », publication posthume de 1972) était à la fois le plus long de Jean Giono (devant « Batailles dans la montagne » et « le hussard sur le toit », déjà), celui auquel il aura consacré, et de loin, le plus de temps de travail, et enfin, paradoxe apparent pour un pacifiste aussi convaincu, son seul récit véritablement militaire (avec un degré extrême de soin et de précision – qui pourrait évoquer, dans un tout autre registre, la démonstration d'art de la guerre conduite par Marcel Proust dans le tome 3 de « La Recherche », « le Côté de Guermantes »). Fort loin de se limiter à un hommage évident au Stendhal de « La Chartreuse de Parme » (comme l'avait parfois imprudemment catalogué une certaine critique littéraire), « le bonheur fou » est peut-être bien le plus riche et le plus mystérieusement abouti des grands romans de l'auteur.

Dans ce roman-ci, l'ironie rampante, qui a toujours été jusqu'alors l'une des grandes forces – pas toujours bien identifiée par la critique – de Jean Giono, devient réellement essentielle, renforcée par une utilisation particulièrement rusée de personnages secondaires hauts en couleur – même lorsque leur apparition demeure fugitive -, au fil des rencontres d'Angelo sur l'immense champ de bataille qu'est devenue la Lombardie pendant ces semaines fiévreuses de 1848. La vieille dame, le commandant d'artillerie, le cauteleux Bondino ou encore l'ex-général napoléonien Lecca, et bien d'autres : autant de comparses qui finissent par jouer un rôle bien éloigné de celui de second couteau, dans la trame globale de l'oeuvre.

« La cathédrale d'histoire que construit Giono est donc bien toujours sous le vocable de Notre-Dame-de-la-Désillusion » : la remarque si juste de Pierre Citron pourrait toutefois masquer le combat dantesque que mène ici l'auteur quasiment contre lui-même, déployant la force et l'inventivité d'une langue évolutive, maniant discrètement une forme subtile d'anachronisme de tonalité et de préciosité à contre que ne renieraient certainement pas les Wu Ming de « Q – L'Oeil de Carafa » ou de « Altai ». Très différent en cela, au prix d'un autre petit paradoxe, du « Hussard sur le toit », il dissimule une intrigue quasiment policière sous les faux hasards du brouillard de la guerre, et en extrait une réflexion songeuse et vitale sur le sens de la vie – sous contraintes à réinventer perpétuellement. Tour de force narratif, enchantement du verbe, « le bonheur fou » est certainement, subvertissant son apparence de roman historique et de roman de guerre, le plus politique et le plus secrètement intime de tous les romans de Jean Giono.

Lien : https://charybde2.wordpress...
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Angelo s'ébroue comme un cheval fou dans son Italie natale aux prises avec la révolution de 48 , c'est le bonheur fou que de se battre pour son idéal , que d'exécuter des gestes flamboyants dans les paysages aimés. Mais une révolution c'est aussi la politique , et derrière les flamboyants , il y a les habiles , les tireurs de ficelle, ceux qui tireront profit du sang des purs. L'opposition entre Angélo et Giuseppe annonce le combat fratricide des « Deux cavaliers de l'orage » . C'est aussi le bonheur fou de galoper en chevauchant les phrases d'un Giono au comble du bonheur d'écriture.
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Citations et extraits (32) Voir plus Ajouter une citation
-Le marin est mort, dit Angelo.
-Bigre, vous en êtes sur ?
-Malheureusement oui. Je tenais beaucoup à cet homme.
C'est lui qui m'a tiré de dessous les pattes des cheveaux quand j'ai été blessé. Il a été tué à côté de moi en courant à l'assaut d'un dernier dépôt de farine qui était solidement gardé. J'aime autant vous donner quelques détails pour calmer votre imagination. Il a reçu trois balles dans la poitrine. Tout le monde tirait sur lui, je ne sais pas pourquoi. Il avait finalement pris goût à notre petit métier. Il n'a pas dit "ouf". Trois trous gros comme le poing. Les Autrichiens étaient des Hongrois. Ils tiraient avec des balles cisaillées.
Louis semblait très décontenancé.
-J'ai préféré être précis, dit Angelo d'un ton de voix très naturel. C'est vous qui cherchez le marin.
-Vous n'êtes pas si couillon que vous en avez l'air, dit Lecca en riant très franchement. Je voulais vous éviter la peine d'écrire sur un bout de papier la liste des endroits où vous avez déposé la farine. Nous n'allons pas tarder à claquer du bec tous tant que nous sommes.
- Avouez que ce matin vous vous êtes servi de moi pour votre intérêt particulier, dit Angelo.
- Tiens! dit Lecca, quand vous en êtes-vous aperçu ?

(pp.270-271)
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La cour était étroite et verte de mousse. Un couloir y débouchait qui menait dans le hall de service d'une maison bourgeoise.
-Doucement les basses, dit le tonnelier.
-Que désirez-vous, Messieurs?
C'était un grand valet de chambre, style anglais, qui venait de surgir d'une porte basse et se redresser de toute sa hauteur.
- La sortie, dit le tonnelier.
-Par ici, Messieurs.
Il les précéda en balançant cérémonieusement ses bras raides.
- Le fils aîné de notre maison s'est battu ce matin place du Dôme, dit-il.Il vient de rentrer pour se restaurer. Les tirailleurs hongrois occupent le toit de la cathédrale et font beaucoup de mal, paraît-il.
Il ouvrit la porte sur la rue et s'effaça.
Une voix de femme demanda du haut de l'escalier:
-Qu'est-ce que c'est ?
-Des messieurs qui vont se battre, Madame.
-Parfait ! dit la voix.

(pp.209-210)
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« Je suis allée aux nouvelles chez les voisins, dit la vieille dame. Une femme seule et de mon âge a le droit d’avoir peur, surtout quand le vent secoue les portes. Le commandant de l’artillerie a fait des siennes. Il a eu, hier soir, une discussion très violente avec un capitaine de lanciers, à propos de vous. Il semble que vous ayez en partie raison. Il n’y avait peut-être pas grand-chose dans le cercueil. Non pas quant au cadavre : on en avait un sous la main, cela ne fait pas de doute ; on a eu soin de l’exposer et cinquante personnes incapables de s’en tenir à un mensonge concerté l’ont vu. Mais, de retour du cimetière, la soi-disant veuve a bu quelques verres de vin et, comme on essayait de l’envoyer coucher sans mettre de gants, elle a réclamé d’une voix puissante un certain argent qu’on lui avait promis. On va jusqu’à dire que les enfants ont été prêtés. Il y en avait d’abord trois : on n’en a vu que deux. On brode. Un esclandre est aussi une cérémonie. Votre commandant d’artillerie a carrément mis les pieds dans le plat, et devant des lanciers qui y buvaient du lait, comme les chats, sans se mouiller les moustaches. Ils allaient se conduire comme des charretiers quand on leur a fait remarquer qu’ils portaient des sabres. On parle de duel.
– J’y vais, dit Angelo. Ce n’est pas à lui de se battre, c’est à moi.
– Où irez-vous ?
– Chez cet artilleur. Il est peut-être à l’instant même blessé ou mort. On l’a certainement placé devant un roublard qui lui aura fait son affaire. Je n’ai qu’une qualité : c’est de savoir me servir d’un sabre. D’ici une demi-heure, il y a au moins un lancier qui n’aura pas du tout envie de rire. »
Il mit son manteau et il répéta cinq ou six fois de suite : « Cette maison a-t-elle une porte qui me permette de sortir sans vous compromettre ? » La dernière fois d’un ton si haut qu’il se fit honte à lui-même. Il posa sa question très gentiment.
« Et si c’était de nouveau un piège ? dit-elle.
– Il faudrait l’accepter, celui-là », dit-il.
Elle le conduisit au rez-de-chaussée où un couloir de communs donnait sur une petite ruelle. Elle ouvrit la porte et elle eut un très joli sourire. « J’aime les femmes, se dit-il. Elles comprennent tout. »
Il était de très bonne heure. La pluie et le vent couraient seuls les rues. Il marcha près de dix minutes, tête baissée avant de trouver un homme abrité sous un sac qui essayait de débonder un tuyau de descente bouché par les grêlons. Il lui demanda où logeait le commandant de l’artillerie. C’était chez un marchand de charpentes qui avait une fort belle maison à côté de ses entrepôts. Angelo frappa à la porte qui fut ouverte tout de suite par une servante très jeune, très effrayée et qui avait pleuré. Elle dit en reniflant entre chaque mot que le commandant était là ; qu’il n’était pas sorti.
« Rassure-toi, dit Angelo, je suis son ami. Mène-moi à sa chambre. »
Le commandant était en pantoufles. Il fumait sa pipe et il regarda Angelo d’un air ébahi.
« Je suis celui qui n’a pas tué le lancier et qui le regrette, dit Angelo. On m’a dit que vous deviez vous battre pour moi. Vous comprenez fort bien que, s’il s’agit d’expédier un des imprésarii du petit opéra bouffe d’hier, je veuille m’en charger moi-même.
– Je croyais qu’il n’y avait plus de Piémont, dit l’autre. Mettez-vous à votre aise et buvez le café avec moi. »
C’était un homme de petite taille, un peu corpulent mais robuste. Le bleu de ses yeux étonnait.
« Quand à prendre ma place, dit-il, vous pouvez vous brosser. Mes canonniers ne me le pardonneraient pas. Je suis loin d’être un novice. À force de nous voir avec des coupe-choux on se dit qu’une latte de cavalerie nous découpera facilement en rondelles. On va y trouver un os. D’ailleurs, le duel a été renvoyé à demain à cause du mauvais temps.
– C’est une malice, dit Angelo. On ne renvoie pas une affaire d’honneur. Je sais très bien ce que va faire votre adversaire aujourd’hui.
– Foutons-nous de ce qu’il va faire aujourd’hui ; je sais très bien ce que je ferai, moi, demain. Savez-vous ce que je me disais, une demi-heure avant que vous frappiez à ma porte ? On sait que vous êtes resté ici puisqu’on a passé les champs au peigne fin. Je me disais : si ce gaillard-là vaut quelque chose, tu le sauras. Si vous n’aviez rien valu, je me serais battu quand même, mais, maintenant, permettez, c’est du nanan. »
Il alla à la porte et appela doucement la servante. Elle devait le guetter, elle arriva tout de suite.
« Mon petit lapin, dit-il, va nous faire un grand pot de café. »
« Et voilà la voix d’un artilleur », se dit Angelo.
« Elle a l’air de bien vous aimer, dit-il.
– Annette ? C’est une chic petite fille. Je suis le bon papa pour elle. Elle est orpheline ; alors, elle fond.
– C’est la première fois que je vais laisser quelqu’un se battre à ma place, dit Angelo, mais, vous avez assez fait depuis un quart d’heure pour que je vous en reconnaisse le droit. Il y a cependant une chose que nous désirons tous les deux : c’est vivre, pour emmerder ceux qui veulent nous voir morts. Or, cela dépend simplement de quelques tours de poignet. Vous en connaissez neuf ; je dois en connaître dix. Il ne faut rien laisser au hasard. Faites dire à votre maître d’armes d’apporter deux sabres de cavalerie, je vous montrerai deux ou trois petites choses que les lanciers sont loin de soupçonner.
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Il enleva son dolman, sa chemise; on lui passa un sabre, il se mit en garde.
Angelo joignit ostensiblement les pieds et resta raide comme un piquet.
- Idéaliste ! dit le lancier avec un petit sourire.
Il avait les lèvres minces si commodes pour exprimer le mépris. Il attaqua avec une très grande impétuosité. Angelo, les pieds joints, se couvrit sans bouger le corps. Le sourire disparut des lèvres du lancier. Il força l'allure, fouetta coup sur coup de trois revers presque imparables mais qui sonnèrent sur du fer et il ouvrit la bouche peut-être pour crier. Angelo se fendit à fond, comme à l'épée. La semelle de sa botte claqua comme un coup de pistolet sur la terre battue. Sa lame pénétra jusqu'à la moitié dans le ventre du lancier. L'homme rota. Angelo enfonça sa lame quatre doigts plus avant. Le lancier poussa un petit cri tremblé (...) Il plia les genoux et tomba lentement. (...)
-Au suivant ! dit Angelo.

(p.174)
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"Mais le petit peuple, se disait Giuseppe jaloux de toutes ses prérogatives, s'il fallait s'occuper de lui comme nous nous occupons de nous, on n'en sortirait plus. Qu'on lui passe la main dans le dos, d'accord, mais simplement pour le pousser . "
Il aimait beaucoup les phrases de Bondino, qu'il lisait entre les lignes avec une extrême finesse. Cette finesse lui fit connaître les délices de la vanité.

(...)

"Ou en êtes-vous? lui écrivait Bondino... Souvenez-vous toutjours qu'un homme de paille est surtout destiné à être brûlé... Ne vous embarassez pas de sentimentalité."

(p.79)
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Vidéo de Jean Giono
Denis Infante a publié son premier roman Rousse publié aux éditions Tristram le 4 janvier 2024. Il raconte l'épopée d'une renarde qui souhaite découvrir le monde. Un ouvrage déroutant par sa singularité. Son histoire possède la clarté d'une fable et la puissance d'une odyssée et qui ne laissera personne indifférent. L'exergue, emprunté à Jean Giono, dit tout de l'ambition poétique et métaphysique de ce roman splendide : "Dans tous les livres actuels on donne à mon avis une trop grande place aux êtres mesquins et l'on néglige de nous faire percevoir le halètement des beaux habitants de l'univers."
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