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Critique de JulienDjeuks


Il est surprenant de voir la modernité d'un tel texte qui pourrait paraître particulièrement daté, notamment parce qu'elle est élaborée la veille de la guerre, à un moment particulier de l'histoire. Et pourtant, les paroles de Giono ne cessent de faire écho à notre 21ème siècle. Certes ils n'est pas question d'appel à la guerre. Mais cette lettre prend justement un relief particulier car l'on sait les conséquences de la Seconde Guerre, ce déficit de population, cet achèvement de l'exode rural qui pourtant était moindre en France. Si pendant cinquante ans, il semblait assez impromptu ou hors-sujet de penser cet exode rural comme une mauvaise chose, on parle aujourd'hui de plus en plus de retour à la terre. C'est ainsi que les pages de Giono, pleines d'une langue de la Provence, se colorent d'une teinte de regret, de mélancolie, voire de colère. Il est évident aujourd'hui que les populations s'agglutinent inutilement dans les grandes mégalopoles et qu'elles y vivent mal, finalement plus mal que les paysans du temps.
La vie des paysans était rude, mais elle leur rendait une étonnante fierté, une force. Cette fierté, cette force, a été affaiblie, dominée. Les paysans sont aujourd'hui isolés, asservis par les grandes machines économiques, confédération, industrie… le jeu de la rentabilité, le moins possible d'humains pour des terres de moins en moins belles, des fruits de moins en moins résistants et bons. La campagne est malade des produits engrais et pesticides. Quelle surprise de voir que ces thèmes, ce piège, était déjà dénoncé, tellement clairement visible par Giono. Giono expose ainsi clairement la manière dont on a rendu le blé mauvais en le voulant toujours plus productif.
Au-delà des questions proprement paysannes, c'est bien une question civilisationnelle que pose Giono. Il critique la vanité de l'attrait des villes : les richesses matérielles qui appauvrissent l'esprit. La richesse des comptes en banque s'oppose à celle de l'âme des gens de la terre, des gens qui ne sont pas déracinés, mais qui produisent de leur main, qui créent. En cela, Giono rejoint clairement les thèses Marxiennes. le vrai travail est une bonne chose dans laquelle l'être humain se réalise, se trouve lui-même, accomplit sa puissance, dirait-on avec Nietzsche ou Deleuze. Une thèse profondément de gauche, à l'inverse de ces thèses transhumanistes héritières d'un vieux positivisme qui croit que la technologie va permettre de nous donner du temps libre, va remplacer notre force de travail. Dans notre France du 21ème siècle, on a bien compris cette illusion d'une société des services, société non productrice, qui invite les gens à la consommation, et non à la production, qui paie les gens pour qu'ils restent à chômer tout en continuant à consommer. Giono critique ouvertement cette culture oisive des villes où l'industrie nourrit ce vice de la paresse.
Enfin, Giono redonne à la production agricole sa place première : condition d'existence d'une société. La force incroyable que provoquerait une grève des paysans nous amènerait à penser que, pour notre époque, Marx s'est peut-être trompé de cible. La classe ouvrière est aujourd'hui laminée, toujours divisée, si facile à contenter par des promotions et des intéressements… Au contraire, une nouvelle classe paysanne, renforcée par les techniques modernes, les communications, pourrait devenir une vraie classe laborieuse dominante. Évidemment, elle était principalement royaliste alors, il se pourrait qu'elle soit dans le futur écologiste, pacifiste, communiste, anarchiste, artiste et intellectuelle.
La pauvreté possible dont il est question, c'est l'autonomie recherchée aujourd'hui par les néo-paysans, c'est aussi l'austérité vue comme limites volontaires à l'appareil productif tel que l'exprime Ivan Illich. Ce refus de la recherche du luxe, du bonheur par l'accumulation de biens, c'est déjà la sobriété heureuse de Pierre Rabhi. La conscience que la mécanisation-industrialisation du travail de la terre est un même danger que l'escalade technologique des armes, c'est déjà les critiques de la modernité de Günther Anders.
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