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Critique de Julonne


Ulysse m'a accompagnée aujourd'hui, un Ulysse bien singulier.
Ni rusé, ni courageux, sans aucune forme de prestige, le bougre est peint par Giono comme ce paysan qui se repaît d'olives et de femmes dont les noms supplantent ceux des îles parcourues. Ces dix ans qui le séparent d'Ithaque n'ont jamais été peuplés par les charmes de Calypso ou de Circée, encore moins par les combats contre monstres marins et géants de terre.
Le rustre Ulysse, un peu mou, vieillissant, a passé ses jours et ses nuits à écumer les couches d'autres femmes ou à se nourrir de la folie douce d'un Archias proche des Dieux. Mais lorsque le vent, au son d'un guitariste aveugle et de paysannes fardées, lui souffle que Pénélope a un amant, Ulysse sent la morsure du cocu pénétrer sa chair. Il se redresse, les doigts encore pleins d'huile d'olive, et jaillit la formulation bravache : «  Ah je vais m'en faire mon affaire de cet amant…  ». On se moque, on désigne ses bras maigres et sa barbe qui lui mange la vitalité et, éclair fulgurant, images soufflées par la poésie de la nuit qui semble faire se mouvoir des formes dans son ventre scintillant, air dionysiaque que favorise l'argile de vin, Ulysse s'exclame : «  Ulysse vit !  ». Et de dire, mystique, devant cet auditoire incrédule : «  Je l'ai vu. S'il n'est pas rentré c'est parce que…  » Et les mots biens connus d'Homère s'égrènent, prennent forme, s'enroulent et le grandissent, font de son ombre un héros aux mille ruses, son regard s'emplit de rivages esseulés, de chants ensorcelants, de dieux aux désirs puérils, de femmes mi-déesses aux tours cruels. Ulysse naît au coeur de cette nuit, et lui seul y est sourd. Pour sûr ! son mensonge a pris son envol, mais il ne le sait, sa langue conte sans relâche des merveilles qui coulent de lui comme le vin dans son gosier et il se dit déjà que le lendemain il aura oublié. Pourtant, Ulysse est bien né de la folie de cet instant poétique, a pris forme dans le mensonge le plus prodigieux, et poursuit son déploiement au son des cithares des aèdes de toute la Grèce. Jusqu'à Pénélope.
Je n'en dis pas plus. C'est merveilleusement bien écrit, un mélange de rustique sensoriel et de puissance poétique qui donne à cette  Grèce méditerranéenne une  justesse singulière.  Odeur des olives et du fromage de chèvre, sécheresse de la pierre et fièvre du soleil, vin un peu tiède et violettes qui parsèment les collines... la mer se presse encore dans mes narines. Des scènes entières confinent à la farce, c'est désopilant et jouissif, on se demande comment Giono va s'en sortir et il s'en sort et, même plus, il en sort une réflexion profonde sur la puissance du récit.  

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