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sur 1441 notes
Ah ! Ecrire comme Giono ! Qui n'en a pas rêvé au moins une fois ? ... Simplicité, quiétude, bon sens, aisance, familiarité, naturel, tout cela recouvrant une complexité de pensée qui fascine et ouvre l'esprit à l'universel.

Paré de toutes ces qualités, "Un Roi Sans Divertissement" est l'un des grands romans de Giono, une réponse subtile et hautaine aux mesquineries et aux lâchetés de ce prétendu Comité national des écrivains qui, à la botte des communistes et de leurs proches, l'avaient interdit de publication alors qu'il ne s'était jamais compromis avec l'occupant nazi. "Ces haineux", comme les désigne Albert Paraz dans son merveilleux "Gala des Vaches", n'avaient comme raison précise de placer Giono à l'index, que la jalousie qu'ils éprouvaient envers le génie de l'écrivain. Avec son "Roi Sans Divertissement", Giono remet les pendules à l'heure et prouve à ces juges improvisés et dégoulinants de fausse vertu qu'ils ont bien tort d'imputer les horreurs du dernier conflit mondial à l'esprit prétendument maléfique de tel ou tel homme, à la lâcheté de tel ou tel peuple. A ses yeux d'anticonformiste fier de "marcher seul", à ses yeux d'humaniste, l'instinct qui a amené à commettre toutes ces monstruosités n'est pas un mais multiple car il pousse comme du chiendent dans le coeur de tout homme.

"Un Roi Sans Divertissement" traite en effet, et uniquement, de cet instinct qui sommeille, dit-on, tout au fond de notre cerveau reptilien : l'instinct de tuer, comme ça, pour le seul plaisir - une caractéristique exclusivement humaine.

Dans un paysage dont, malgré le fil des saisons qui passent, le lecteur ne retiendra que la neige - une neige épaisse, silencieuse et glacée, qui étouffe la terre et les hommes - un mystérieux inconnu, aussi insaisissable que la bise qui descend des montagnes, aligne un nombre de plus en plus grand de cadavres : hommes, femmes, enfants, tout lui est bon et rien ne l'apaise. Il faudra un hasard tout à fait inattendu, un villageois qui sort de chez lui un peu plus tôt que prévu, pour que le monstre soit identifié et finalement arrêté. Il s'agissait d'un habitant du bourg voisin. Langlois, le gendarme qui, l'hiver précédent, l'avait traqué sans relâche mais en vain, se charge de le ramener en prison. Mais, sur la route du retour, il l'abat froidement, déclarant à ses compagnons que c'était un accident et envoyant le jour-même sa démission à ses supérieurs.

Commence alors la partie la plus énigmatique mais aussi la plus subtile du roman, celle qui retrace le lent mais résolu cheminement de Langlois, cette personnalité en apparence solide et tout d'une pièce, vers cette vérité impitoyable : comme le tueur en série qu'il a abattu, lui aussi abrite en son coeur ce terrible instinct de mort. Pire : hormis tuer, rien ne l'intéresse, rien ne le calme - rien ne le réjouit. Pour échapper à ce démon intérieur qu'il est le seul à voir et à comprendre (ou pour échapper à l'ennui qu'il ressent ? ) , Langlois finit par se faire sauter la cervelle.

Giono ne donne jamais le point de vue intime de l'ancien gendarme. Il se contente de faire raconter les faits par les villageois qui, depuis sa première apparition dans leur hameau, ont appris à l'apprécier et se sont même liés avec lui. Et leur vision, simple, qui ne s'embarrasse pas d'analyses freudiennes avant la lettre mais tient compte du sens aigu qu'ils ont de l'Homme et de sa place au sein d'une Nature qui, elle aussi, est capable de tuer, constitue le prisme idéal. Attention cependant : "Un Roi Sans Divertissement" demande beaucoup à son lecteur. Celui qui s'y intéresserait seulement pour découvrir le récit, forcément captivant, de la traque d'un meurtrier multirécidiviste, celui-là risque d'être très, très, très déçu et de passer à côté de l'un des romans les plus puissants et les plus complexes de la littérature française du XXème siècle. ;o)
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Je connaissais le film de 1963 de François Leterrier, pas encore le livre. Les deux s'avèrent fort différents. le film condense, aussi bien dans la durée que des personnages. Il explique également, un peu trop peut-être, là où le livre laisse tout le champ des possibles ouvert à l'interprétation, et ne fait que distiller des indices.

Un petit village dans la montagne, en hiver. La neige recouvre tout. La vie est comme arrêtée. Chaque jour passe, blanc de neige et semblable au précédent. Jusqu'au jour où une jeune fille disparaît. Pas une trace, rien. Elle s'est comme volatilisée. Quelques jours plus tard, un porc est bizarrement mutilé, un jeune gars manque de se faire tuer par un homme surgi de nul part, aussi vite disparu et dont personne n'a pu voir le visage. La peur s'installe sur le hameau. Un chasseur se prend d'organiser la surveillance, de patrouiller, monter la garde. Vient le printemps. On respire. Mais l'hiver suivant, le chasseur disparaît...

Cette fois, c'est la panique. de Grenoble, le procureur du roi envoie un peloton de gendarme. A leur tête, un dénommé Langlois. Homme de peu de mots et de beaucoup de silence. Mais pour trouver l'assassin, il faut comprendre pourquoi il fait ça. Rentrer dans sa tête. Voir les choses comme il les voit. Et après cela, peut-on les voir comme on les voyait avant ? Pas sûr...

Bien qu'étant son oeuvre la plus connue, je pense de plus en plus que 'La trilogie de Pan' est loin d'être ce que Giono a fait de mieux. de sa plume les mots coulent comme les boisseaux de grains dans les sacs, mais il cherche à saisir son propos comme un forgeron maladroit tâtonnerait dans le feu à la recherche d'un petit morceau de fer. Ici, en quelque phrases qu'il ne dit pas, il réussit à agripper au corps et coucher sur papier ce malaise profond des campagnes, quand le silence, la neige et la solitude recouvraient tout jour après jour...
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Il m'a fallu du temps et de la peine pour entrer dans "Un roi sans divertissement", perturbé que j'étais par l'habitude du premier Giono, somptueux et mythologique, amant de la terre et de l'être, mais aussi par la référence pascalienne, que j'ai recherchée longtemps en vain dans le roman avant de la trouver et de comprendre qu'elle l'irrigue tout entier, sans jamais se faire voir. Comme "La condition humaine", ce roman de Giono donne chair et force à l'une des plus profondes intuitions tragiques de Pascal, mais à la façon d'un roman policier raconté sur un ton décalé, plein de digressions et de portraits savoureux de personnages. Loin d'être un roman philosophique, ce "Roi sans divertissement" montre que l'assassin, l'enquêteur et les victimes partagent avec le lecteur une connaissance et une expérience intimes de l'humain et de sa blessure essentielle. C'est ce partage d'expérience profond qui rend l'élucidation des crimes possible, mais aussi la lecture du roman et la participation du lecteur. Alors, comment lire ce roman ? Pas comme je l'ai fait : que le lecteur oublie les informations du titre, les critiques, les quatrièmes de couverture et autres, pour ne lire que le texte. Cela suffira à son bonheur, autrement dit, à son divertissement. .
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"Un roi sans divertissement "est un roman fort , puissant et dense .Il a été écrit en 1946 mais il ne fut publié qu 'en 1947 car l 'Union des Écrivains français sous la férule des communistes l 'a interdit en laissant entendre que l 'auteur a collaboré avec les nazis durant l 'occupation de la France durant la Deuxième Guerre mondiale .L ' Histoire l ' a innocenté car Jean Giono certes n 'était pas un maquisard ni un Résistant mais il est resté loin de toute compromission avec les nazis . Lire les romans de cet auteur est toujours un vrai plaisir car il a des qualités qui font qu 'on respecte et on estime ce grand écrivain .C 'est un pacifiste qui est contre la guerre et toutes les guerres quelques soient les raisons avancées pour les justifier . C 'est un anticonformiste et un Humaniste C'était un homme de bonne volonté .Il est un grand ami de la Nature dans toutes ses manifestations et il fait tout pour la défendre .Un écologiste .Il est très attaché à son terroir qu 'il décrit bien dans ses livres .
Un roi sans divertissent est un roman où le principal protagoniste est l 'officier de gendarmerie Langlois .Ce dernier est envoyé avec un groupe de six agents pour élucider les mystérieuses disparitions d 'hommes , de femmes et d 'enfants dans un bourg du Dauphiné .Le tueur en série a sévi dans le village durant des années mais les gendarmes n 'arrivent pas à mettre la main sur lui .Mais c 'est par un heureux hasard qu 'il fut remarqué
par un habitant du village .L 'assassin est remis aux gendarmes qui l 'arrêtent .Le commandent Langlois est chargé de le ramener au siège de la gendarmerie mais au
cours voyage , l 'officier sort son arme de service et l 'abat.
L 'officier qui n 'arrive pas à s 'expliquer son geste se fait exploser sa tête mais avant il a donné sa démission .
Deux graves drames ! Comment expliquer qu 'une personne puisse passer à l 'acte de flinguer des innocents? l''auteur nous donne aucune explication sur ces actes démentiels .
Peut-on l 'expliquer par l 'ennui ?
La conclusion on la laisse au philosophe Passcal qui dans
Les Pensées écrivait :"Qu 'on laisse un roi tout seul sans compagnie , penser à lui à loisir ; et l 'on verra qu 'un roi
sans divertissement est un homme plein de misères ".











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J'ai été déçue par ce roman. L'histoire partait sur des enlèvements et des assassinats suivis d'un meurtre... nous en restons-là, et Giono nous entraîne par la suite dans une traque au loup... puis au presbytère pour y voir les chasubles du prêtre et d'éventuels trésors religieux... ensuite chez une brodeuse de talent dont on peut penser qu'elle craint un danger... enfin le héros veut qu'on lui trouve une épouse... Aucuns liens entre ces divers épisodes, j'ai été perdue en cours de route au fil de l'histoire qui n'en est pas une. J'avais lu de meilleurs livres de Giono. Dommage si je suis passée à côté d'un livre, d'un talent que je trouve là bien caché.
Lien : http://araucaria.20six.fr
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Moi qui pensais lire avec Les âmes fortes un roman particulier de Jean Giono, je découvre avec Un roi sans divertissement que je me suis trompée sur toute la ligne. Les déconstructions narrative et stylistique, mimant à la perfection l'oralité des histoires racontées au coin du feu, nous mènent cette fois dans un village du Vercors, qui assiste, à partir de l'hiver 1843, à des disparitions hivernales. Disparitions qui trouveront leur explication avec l'arrivée de Langlois, capitaine de gendarmerie venu d'abord pour enquêter, qui deviendra ensuite, jusqu'à la fin, le personnage principal, que l'on suivra par l'intermédiaire de divers villageois.

Cette histoire, qui commence dans la noirceur d'une manière paradoxale, puisqu'elle décrit dans le même temps, avec une magnifique poésie, la beauté du silence et de la blancheur hivernaux, se termine aussi dans la noirceur, bien que les évènements, et Langlois, aient taché d'en sortir. Noirceur qui symbolise, avec beaucoup de force, le divertissement humain, ou plutôt le manque de divertissement humain, Pascal et ses pensées bien sûr en exergue de cette histoire, et de ce roman, qui nous décrit, au bout du compte, avec une incroyable lucidité, la banalité du Mal.

C'est une deuxième lecture réussie de Giono, romancier que j'aurai donc découvert sur le tard, et que j'aimerais avoir découvert plus tôt, finalement.
Lien : https://lartetletreblog.com/..
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La neige, l'hiver, la campagne alpine, l'ennui, des disparitions mystérieuses, des faits qui remontent du temps jadis, de 1843 à 1848, à l'époque de la Monarchie de Juillet, qui signe la fin de la royauté en France. Le tueur mystérieux est débusqué par Frédéric II, propriétaire de la scierie, puis abattu par le capitaine Langlois sans aucune forme de procès. du sang sur la neige, une chasse au loup, des dames élégantes au passé parfois douteux, la fascination pour l'aventure, la traque, la mort.

Un roman à plusieurs voix, sur plusieurs époques, un peu déconcertant, les traces du crime se perdant dans la neige comme la cohérence des personnages, avides de ce divertissement sans lequel l'existence n'a aucune saveur. le risque, la mort violente, le crime, étant préférables à la langueur monotone du confort conjugal. Un lien à travers les temps, la présence d'un arbre qui est l'unique témoin de ces drames.

Un texte énigmatique et à énigmes, une très belle langue qui nous replonge dans une époque pas si lointaine où la nature était encore omniprésente, la neige étendait son poids sur les journées d'hiver et les bougies avaient peine à lutter contre leur obscurité précoce, où les loups rodaient encore aux portes des villages, et les dames brodaient de la dentelle pour nourrir leurs orphelins...

"Qu'on laisse un roi tout seul sans aucune satisfaction des sens, sans aucun soin dans l'esprit, sans compagnies, penser à lui tout à loisir, et l'on verra qu'un roi sans divertissement est un homme plein de misères." avait dit le philosophe Pascal.
Langlois était ce roi.

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Paru en 1948, ce livre ne date pas d'hier.
Et pourtant l'écriture n'a pas vieilli et le charme opère toujours.
Je n'ai pas très bien compris quand ça se passait, certainement début du siècle.
Je n'ai pas très bien compris qui racontait cette histoire, à part quand elle était reprise par un des personnages principaux.
Je n'ai pas très bien compris le comportement de Langlois
Bref, je n'ai pas compris grand-chose, mais je me suis complue dans cette ambiance de villageois mêlés à de bien étranges histoires pas toujours très claires (enfin, pour moi du moins)
Je me suis laissée portée par les mots, par l'atmosphère, par la poésie, par l'imaginaire.....et ce fut bien agréable.
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Après la lecture mitigée du Hussard sur le toit, me voilà réconciliée avec Giono! La lecture de celui-ci n'est pas pourtant pas aisée, comme Faulkner le bonhomme est avare d'éclairages.
C'est qu'on y voit pas très clair dans les ténèbres profondes de l'âme humaine, là où gisent les élans vitaux les plus puissants. Et rien de mieux qu'un village de montagne où la vie est crue et âpre pour exprimer ces élans... ou leur absence.
Beaucoup se joue dans la plume de Giono qui raconte comme au coin du feu et d'un ton presque badin les crimes qui ensanglantent cette communauté retirée. Mais le ton change une fois que l'homme venu régler le problème se retrouve face à l'angoisse existentielle générée par la solution qu'il a mise en oeuvre : au fond de chaque homme, nous dit Giono, gît un instinct de mort si puissant pour les êtres éclairés qu'il écrase tous les autres.
La violence de ce propos, c'est pour moi le formidable personnage de Saucisse qui à la fois l'éclaire et le nuance le mieux, avec sa clairvoyance désabusée de femme qui a tout vécu.
J'ai aimé être dérangée par ce livre.
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je suis toujours aussi stupéfait de constater que pour trois fois moins que le prix d'un gramme de caviar, c'est à dire un euro, on peut se procurer de nombreuses heures de lectures et de réflexions avec en prime un peu d'inspiration pour écrire soi-même. Je fais bien sûr, allusion au prix des livres dans les vide-greniers, aux temps bénis où ceux-ci fleurissaient chaque week-end (cette introduction prend soudain le ton d'un récit post apocalyptique). Concomitamment, je pense à tous ses livres virtuels qu'engloutissent sans vergogne les ploutocrates, amateurs d'oeufs d'esturgeon, qui fréquentent les palais de Lucullus. La pauvreté est parfois un rempart contre la sottise. Quand on n'a pas les moyens de faire des folies, on ne les fait pas, et on achète des livres de poches d'occasion.

 Jean Giono (1895-1970) fils d'un cordonnier anarchiste et d'une repasseuse est "l'un des plus grands écrivains du XXe siècle, et un de ceux qui sont le plus mal connus" (Pierre Citron). Il commence sa carrière comme employé de banque, mais se nourrit de poésie et de la lecture des grands classiques. C'est un voyageur immobile, il passera presque toute sa vie derrière son bureau dans sa maison de Manosque "Lou Païs" dans les Alpes-de-Haute-Provence. Il possède un don de narration qui éclate au grand jour avec son premier roman "Colline" en 1929. Il se considérera toujours comme un artisan écrivain, il écrit à la plume sur du papier fin en utilisant toujours la même qualité d'encre, c'est un homme fidèle aux traditions et à ses racines.

 Jean Giono fascine par sa stature de "guide spirituel" acquise dès les années 30 lorsque paraît sa trilogie de Pan (Colline, Regain, Un de Baumugnes). Il séduit un public attaché au thème du retour à la terre, il prône une vie simple et naturelle. le point culminant de son influence auprès de la jeunesse est atteint avec la parution en 1936 de son essai "Les vraies richesses". Il devient le chantre d'un pacifisme sans concessions, il condamne la civilisation moderne, l'urbanisation intensive, la technique, le machinisme et l'argent qui selon lui sont d'inexorables fauteurs de guerres. Giono est un "prophète humanitaire" un peu à l'image de ce qu'est aujourd'hui Pierre Rabhi, essayiste, romancier et agronome, figure représentative du mouvement agroécologiste ou, sur un autre registre, Aurélien Barrau, Astrophysicien et philosophe, critique éclairé de l'économie de la croissance à tout-va.

 "Un roi sans divertissement" marque une rupture dans l'oeuvre de Giono à partir de 1947. Rupture en partie déclenchée par le choc de la seconde guerre mondiale. Son oeuvre devient plus noire, plus pessimiste. ll se passionne maintenant pour les faits divers révélateurs des mentalités collectives. Les forces qui animent son univers ne sont plus les éléments naturels, la terre, le feu, la forêt, le monde animal, mais les humains et leur lutte contre la tentation de la cruauté comme divertissement face à l'ennui d'une vie sans relief. C'est le thème du "Roi sans divertissement". Un thème inspiré par le philosophe Pascal selon lequel l'homme se divertit pour échapper à la misére de sa condition, ce faisant il détourne sa pensée des vrais sujets tels que sa destinée et sa foi en Dieu. Giono reprend cette idée mais sans faire référence à la religion, selon lui le fond de notre condition humaine c'est l'ennui, et pour se divertir l'homme utilise tous les moyens, la guerre, la chasse, la fête et même le meurtre gratuit. Son livre est à la fois un roman policier et un livre de philosophie sur l'ennui qui conduit au crime.

 Dans son livre "Envoyez la petite musique", Madeleine Chapsal transcrit un entretien avec Giono qui parle de la guerre. Ce passage est éclairant sur l'idée qui devait présider à l'écriture d'un roi sans divertissement, même si Giono, dans cet entretien, ne faisait pas expressément référence à ce livre écrit plus de dix ans auparavant : "Il y a toujours un moment dans la vie où l'on a la tentation du meurtre, du meurtre gratuit ; pas le meurtre pour des motifs passionnels ou pour voler, ou parce qu'on est jaloux, ou parce que la femme qu'on aime vous quitte, pas du tout... gratuit, pour le sang, pour voir. le spectacle. le théâtre d'un homme qui meurt est une chose qui, à la fois, vous donne de la répulsion et de l'attrait."

  Giono a proposé lui-même, dans le Carnet du roman, un résumé possible de l'intrigue d'Un Roi sans divertissement : « C'est le drame du justicier qui porte en lui-même les turpitudes qu'il punit chez les autres. Il se tue quand il sait qu'il est capable de s'y livrer. [...] Quelqu'un qui connaîtrait le besoin de cruauté de tous les hommes, étant homme, et, voyant monter en lui cette cruauté, se supprime pour supprimer la cruauté.» . La trame de l'histoire est simple : en plein hiver dans un petit village des Alpes, au milieu du XIXe siècle, une série de meurtres particulièrement sauvages sont commis. Un capitaine de gendarmerie nommé Langlois, arrive dans le village pour résoudre l'énigme. Cette intrigue forme la première partie de l'ouvrage qui va se transformer en une étude psychologique à la fois du criminel, mais aussi de son poursuivant. Autour d'eux, gravite une kyrielle de personnages secondaires certains intrigants et énigmatiques d'autres simples témoins, parfois burlesques, souvent superficiels. de ces protagonistes émergent deux personnalités, madame Tim, une bourgeoise excentrique et "Saucisse", la logeuse de Langlois, une femme du peuple, un peu rustre mais dotée d'une intelligence intuitive. Il y a beaucoup de mystères et beaucoup de non-dits dans ce récit très elliptique. Giono déstabilise le lecteur et rend volontairement la compréhension de l'histoire assez ardue, par une chronologie difficile à suivre et l'intervention d'une multitude de narrateurs. II sème des indices, mais en les noyant dans des faits anecdotiques qui parfois perturbent la lecture. Il s'agit d'une fable philosophique qui prend la forme d'un polar. L'auteur est ambigu sur le personnage principal et reste très elliptique sur les tenants et aboutissants de l'intrigue. Finalement, le lecteur doit se débrouiller tout seul pour interpréter le récit. Ouvrage dense et compliqué où il est facile de se perdre. le récit est énigmatique, voire volontairement lacunaire. Giono fait de son héros Langlois une sorte d'initié, un personnage charismatique qui s'intéresse à "la marche du monde", l'expression apparaît plusieurs fois dans le récit, sans que l'on connaisse exactement le détail des réflexions qu'elle recouvre. J'ai eu du mal à trouver un intérêt à ce personnage assez peu sympathique, il est austère, cassant, autoritaire, peu loquace. Quant à l'assassin, il n'est pas décrit, on ne connaîtra presque rien de lui ou de ses motifs (si ce n'est la thèse du meurtre pour échapper à l'ennui). On ne saura même pas son nom, car il est désigné uniquement par son initial, monsieur V. Un procédé que je n'aime guère, car généralement, les noms de personnages m'aident à me projeter dans une histoire.

 J'ai été séduit par la virtuosité de l'écrivain, mais dérouté par la complexité du récit. La fin est tragique et renforce l'atmosphère étouffante et sombre bien rendue par l'auteur.

 Giono se révèle ésotérique et demande au lecteur de lire son texte avec attention. J'ai dû me pencher sur quelques analyses littéraires de ce roman pour mieux comprendre la problématique de l'histoire et la technique utilisée par le romancier. Je ne m'étonne pas de constater que ce livre est souvent au programme des classes littéraires, car il offre un modèle parfait pour l'analyse, mais ce n'est pas ce que recherchent en premier les lecteurs. Ceci explique que certains considèrent ce roman comme un chef-d'oeuvre et d'autres comme une histoire ennuyeuse et incohérente. Je conseillerais à ceux qui veulent découvrir Giono, écrivain incontournable, de commencer par ses premiers romans : "Regain", "Un de Baumugnes" et en particulier "Colline". C'est d'ailleurs le conseil que donne Sylvie Durbet Giono, la fille du romancier :

" C'est un livre qui est resté très cher au coeur de mon père, les autres, une fois écrits, édités, critiqués par la presse, mon père s'en désintéressait complètement et même il était très critique à leur égard, sauf Colline, alors pourquoi ne pas commencer par Colline..." Interview, youtube (2014).

Bibliographie :

- "Un roi sans divertissement", Jean Giono, Gallimard, folio (2004), 244 pages.

Une analyse très fouillée de l'oeuvre :

- "Profil Bac : un roi sans divertissement", Joël Dubosclard, Hatier (2003), 126 pages.

Une biographie bien documentée :

- "Giono 1895-1970", Pierre Citron, Seuil (1990), 665 pages.
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