Citations sur Le trou (8)
-J'ai quelque chose d'important à déclarer, annonça-t-il.
Le silence s'installa. L'avocat intérieurement inquiet, les plaignants déjà contre tout ce que le misérable dirait pouvant l'avantager, le juge un peu ému bien que blasé, le greffier très important beaucoup plus royaliste que le roi suivant la coutume.
-C'est votre intérêt. C'est votre intérêt, insinua le juge d'un timbre persuasif.
-Eh bien, voilà, dit Manu. J'ai beaucoup réfléchi. Chacun tempête et crie de son côté alors qu'il est impossible de rien modifier. Je suis là, c'est le principal. Payez-vous et foutez-moi la paix. En d'autres termes, tuez-moi, et, entre-temps, laissez-moi vivre.
Chaque cellule concrétisait un petit monde à part, une petite parcelle de société complète en elle-même, autonome, avec ses vices, ses blasphèmes, sa pureté parfois, ses larmes et sa révolte, son espérance, et son marasme, son spleen du soir et son glaviotement du matin.
Les hommes libres n'apprécient pas leur richesse. Lui, Manu, n'oublierait pas, en se frottant contre la foule d'un boulevard, que la richesse d'un homme consiste avant tout à pouvoir traverser la rue, s'asseoir sur un banc.
Chaque ronde distillait par l'oeilleton une émotion nouvelle, brisante. Il se dressa sur son coude. Cassid lui tournait le dos; il dormait sur le côté, "les rêves face au mur", comme il disait.
La machine tenait Manu; elle avait déjà gagné et il avait déjà tout perdu. La réunion d'aujourd'hui était de pure forme. Il s'agissait d'une politesse entre les rouages. Il existait trois rouages terminaux, à la fin du cycle. Le premier rejetait dans le courant de la vie un être hébété qui titubait comme un homme ivre, et se remêlait au troupeau, cahin caha. Le second canalisait dans des prisons centrales à l'hospitalité de longue haleine. Le troisième séparait la tête du tronc.
Lorsque derrière leur front les projets d'évasion se groupaient, se pressant en foule comme une multitude romaine en attente d'une bénédiction pontificale, ils détournaient la tête ou fermaient les yeux, afin de ne pas trahir leur secret. C'est lourd, un secret. Ça penche vers le bas. Ils ne voulaient pas le voir tomber par leurs orbites, le voir s'échapper d'eux.
Cassid etait accroupi dans son coin, dans le double but de tirer sa flemme et de ne pas gêner les travailleurs. En Angleterre, il avait lu parfois dans les bureaux, sur des petites pancartes: "Si vous n'avez rien à faire, ne dérangez pas ceux qui travaillent". Geo trouva ce conseil très judicieux, ne cessant depuis de l'appliquer à la plus légère occasion.
Deux robots vinrent chercher Manu avec un petit bulletin rose. Les rouages ayant mentionné sur le bulletin qu'ils devaient se présenter à deux, ils étaient deux....Les gardes mobiles le fouillèrent, et lui attachèrent les mains derrière le dos....Les robots mesuraient une tête de plus que lui et leur ceinturon sanglait une forte masse de chair et d'os. Un orgueil primaire les inclinait à la raillerie afin de garder une contenance. Ils se trouvaient diminués d'être deux pour acheminer ce type au visage émacié, de taille moyenne, mince, presque frêle.......
Manu et ses robots suivirent un couloir jusqu'à une porte sur laquelle on lisait "Cabinet X". Ils se trouvaient à proximité d'un rouage....
Un robot frappa respectueusement à la porte n° X
- Entrez.., cria-t-on. Et ils entrèrent. Un juge d'instruction concrétisait le rouage; c'était un grand juge, les crimes de Manu étaient de grands crimes, les avocats étaient assez connus pour que l'on puisse en dire qu'ils étaient grands, le greffier du juge s'estimait grand puisqu'il travaillait dans un bureau où se réglaient de grandes choses. Les robots s'assirent, gonflés d'importance, et Manu ne fut pas loin de penser qu'ils étaient grands, eux aussi.