AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de ATOS


« On s'exprime pour réaliser quelque chose qui tienne le coup, et pas l'inverse ».
C'est à dire qu'on ne réalise pas pour s'exprimer. L'expression naît d'une énergie. Quelle soit une énergie générée par la joie, la douleur, la peur, l'angoisse, la passion, la haine ou par l'amour , l'expression est énergie.
Elle n'est pas l'objet de la réalisation. Peut être en est elle la conséquence. La réalisation est l'objet.
Brut, direct, total. Entier
Ne pas chercher midi à quatorze heures. Ne pas sous entendre, ne pas en déduire. Ne pas juger. Ni considérer.
Il faudra ne rien en dire, en jouir ou passer son chemin.
Connaître l'énergie qui a fait naître l'objet ? Inutile. Inutile également de demander à l'artiste de justifier.
« L'art est injustifiable ».
C'est brut, tranchant, perçant. Ça met en pièces. Ça ouvre, dissèque, ça coupe. Ça enlève, ça prend, ça vous remonte, vous suspend, vous assoie, vous projette, vous arque, vous tord, vous prolonge, vous allonge, vous recule, vous avance, vous cloue, vous hurle, vous vide, vous remplit, vous dresse, vous lie, vous sculpte . Vous pile et vous face à la fois. Ni ceci ou cela mais ceci ET cela. Janus fleuri quand Louise sourit. Voilà là .. tout.
Louise Bourgeois. Une énigme ? Un mystère ? Là n'est pas la question. Là ne sera jamais la question. Louise Bourgeois. C'est une énergie. Déroulante, enveloppante, déchirante, déroutante, dévoilante, brûlante glaçante, pensante. Entre fragilité et déséquilibre ça tient le coup.
Une de ses plus importantes énergies ? : la peur. Une angoisse. Un traumatisme.
Ce qu'elle réalise la regarde, la concerne. Elle ne parle pas pour délivrer, confier. Elle sculpte, peint, grave. Voilà .
Elle exorcise.
«  La peur est un sentiment négatif. On est attrapé, on est hypnotisé par la peur. Je fais de la sculpture pour l'exorciser . Lui échapper ».
« Les gratte-ciel ne font pas seulement dresser la tête des passants, ils donnent à ceux qui sont seuls une bonne idée de la peur ».
Elle répare, renoue, en joue.
Elle vous expliquera jusqu'à la limite qu'elle seule décidera.
Les critiques ? Ce sont des juges. Ne l'oublions pas : «  l'art est injustifiable ». Partant de là pour arriver devant Louise Bourgeois, le chemin risquait d'être dangereux..Dangereux ou bienfaisant..
Les critiques ? Ce sont des idiots.
« Allez-y, faites le critique, pendant que vous y êtes, mais je vous préviens, vous n'arriverez à rien. La critique est à pouffer de rire. Vous croyez que les artistes n'ont que les autres artistes en tête ? Vous vous trompez.L'art n'est pas une course-poursuite dans le marathon de l'Histoire. Chacun y voyage en solitaire des années durant. Et passe par des points qui ne figurent sur aucune carte. Ce n'est pas pour finir das la petite boite à idées du critique que les artistes font ce qu'ils font. »

Xavier Girard en allant interviewer Louise Bourgeois n'imaginait pas où cet artiste allait l'emmener.
C'est à dire : Devant lui même. Elle en a décidé.
Louise Bourgeois avant beaucoup d'humour, un humour déchirant. Elle était puissamment intelligente. Trop peut être pour le siècle qui l'avait vu naître.
Enfance traumatique et faussement ... dorée. Perversion d'un père, adoration d'une mère. Regards croisés . Des liens du sang. Écorchant.
Elle collectionnait les maisons vides, elle dessinait des femmes maisons. Maison mémoire, maison souvenir, maison cauchemar.
« Le temps renvoyait aux périodes cachées de son enfance, aux enfouissements et aux réminiscences d'un passé avec lequel elle avait rompu en quittant la France. C'était un fardeau dont il fallait se débarrasser en lui donnant la forme la plus exacte possible ».
« La fillette » ? Un phallus , un être vulnérable- à protéger. Aucun danger. Chasser le diable père. La peur, l'angoisse, la colère l'amour s'expriment, voilà l'objet. Un objet. Ce n'est plus qu'un objet. Un désir ou une question ? Elle n'en fera pas mystère. La photo prise par Robert Mapplethorpe en 1982 est là. L'expression de Louise Bourgeois à cet instant ? A qui s'adresse-t-elle ? Et si cela ne nous regardait pas ?
Elle a tué le père, l'a dévoré, l'a transformé, s'en est moqué. Ne le craint pas.
Louise est libre de répondre ou pas. Elle est qui elle veut et veut être ce qu'elle est.
Elle est entière et prend ce qui lui revient de droit.
Mirage, naufrage, voyage, sauvetage. Cellules- Miroirs , parfois nuit noire.
« Elle dessine, elle ne peint pas ou ne peint plus depuis 1949 et ses dessins e sont pas de « beaux dessins », mais des pense-bêtes, des pensées visuelles, ce sont parfois des idées de sculpture, parfois pas, des souvenirs isolés ou non, des scènes avec des écritures, des variations sur un thème, des notes, des graphiques, des répertoires, des fureurs, des punitions qu'elle s'inflige, des histoires sans paroles, des « tombeaux », des hommages secrets ».

Xavier Girard ne trouvera pas ce qu'il est venu chercher.
Louise prend la main, elle décide.
Elle n'est pas un jouet. Pas un objet. Elle veut prendre l'empreinte du visage du jeune critique. Elle prendra ce qu'elle voudra.
« Les artistes du 13e siècle remplaçaient la peur par l'image. Ils pensaient en images. La joie et la souffrance passaient dans la pierre au travers des images, ça devait être très impressionnant ».

« De quoi avez vous peur ? »…
Première question de Louise Bourgeois posée au jeune critique.

«  Toi, que dis-tu de ce que tu es en croyant dire ce que je suis ? »

Que disons de ce que nous sommes en croyant dire ce que sont les autres ?
Grande question, belle claque. Phrase superbe.
Je la prends. Elle me laisse son empreinte en pleine page.
Xavier Girard a rencontré Louise Bourgeois, mais sans aucun doute a t il reçu une des plus belles leçons de sa vie de critique. Entre le masque et le visage... Ce que je montre n'est pas qui je suis.
L' empreinte d'une « évidance ».
Intelligente, bienveillante et malicieuse, Louise Bourgeois.

Astrid Shriqui Garain

Commenter  J’apprécie          160



Ont apprécié cette critique (14)voir plus




{* *}