Je découvre aujourd'hui que j'étais heureuse.... Pourquoi on ne sait pas ces choses-là? Pourquoi on ne les mesure pas? Parce qu'on croit que le lendemain sera mieux, on demande plus, on trouve que le présent est minable, comparé à ce qui va arriver. On attend d'aménager dans une nouvelle maison,..., on attend d'être en vacances, on attend d'avoir un deuxième enfant, on attend de publier un livre, ... on attend d'avoir de l'argent pour travailler moins, on attend d'être libre. On a les yeux rivés sur l'avenir... On attend d'être tranquille, ..., on attend demain. A force d'attendre on piétine chaque jour qui passe, on le vit comme un état provisoire, on ne s'installe pas vraiment. On a le cul entre deux chaises, on est sur une rampe de lancement, et déjà on regarde en arrière. On ne veut pas savoir qu'on est heureux. On est superstitieux. Alors on est aveugle, on est distrait, ..., on se plaint,..., on en fait une montagne, on se gâche la vie.... Mais en fait, tout au fond, on boit du petit lait. Aujourd'hui qu'il n'y a plus rien, je sais, je peux dire comme c'était bien.
Cette journée était ta dernière : tu la vivais sans moi, et pendant ce temps, je souriais. Il te restait six heures à vivre, et moi je ne pensais pas à toi, il te restait cinq heures, je cherchais l’inspiration pour mes dédicaces, il te restait quatre heures, je longeais la Seine en direction de la gare de Lyon, il te restait trois heures, je plaisantais dans la voiture-bar avec un homme qui m’avait prise pour la femme d’un autre. Je n’ai eu aucun signe, rien absolument rien.
Ne pas faire quelque chose de convenu, de bancal, de déplacé. Etre à la hauteur de notre histoire d'amour, à la hauteur de la douleur. Ne pas dire la douleur, apprendre à écrire simple, très simple surtout. Pas joli, pas voyant, écrire sans panache, sans ambition, pas littéraire. Pas de phrase bien torchée... Ecrire sans métaphores. Je déteste les métaphores et les paroles universelles. Je déteste la sauce entre les mots.
Ce soir, Claude est mort.
Je l'aimais.
Ma vie s'arrête et commence en même temps.
Pour éviter de nommer l'événement, je dis "avant" et "à présent."
Ce soir Claude est mort et moi je suis vivante.
Il me quitte sans l'avoir voulu, par inadvertance.
Demeurer dans le mouvement. Ne pas s’arrêter, jamais, pour ne pas pourrir. On appelle cela l’instinct de survie. D’un coup, l’instinct de survie vous tombe dessus. Oui, c’est bien lui. Il s’occupe de vous, il vous empêche de mourir. Il agit dans l’ombre, vous ne lui avez rien demandé. C’est automatique. Et pourtant vous ne voyez pas une raison de vous lever le matin. Vous vous levez quand même, vous enchaînez les minutes, votre seule ambition est d’arriver au soir. Et le soir, d’arriver au matin. Vous n'êtes plus qu’une unité de temps, obnubilée par l’action.
Brigitte Giraud et ses invités, Didier Castino et Nine Antico.
Oh les beaux jours ! est heureux d'accueillir à Marseille la lauréate du prix Goncourt 2022, Brigitte Giraud. Si cette récompense suprême l'a particulièrement mise en lumière ces derniers mois, elle est l'autrice depuis 1997 d'une oeuvre conséquente – romans, récits, recueil de nouvelles – que ce rendez-vous privilégié avec elle nous propose de découvrir.
Au cours de ce grand entretien, il sera aussi question de sa passion pour la musique, particulièrement pour Rachid Taha, qui lui rappelle son adolescence dans la banlieue de Lyon, où ils ont grandi tous les deux ; du chanteur et écrivain Dominique A, complice de longue date, dont elle a édité un texte et que nous sommes allés interviewer pour l'occasion ; de son lien à l'Algérie, son pays natal (elle est née à Sidi Bel Abbès en 1960), et de la manière dont les relations complexes entre l'Algérie et la France continuent de jouer un rôle dans nos sociétés.
L'écrivaine évoquera également l'adolescence et la difficulté à trouver sa place dans un monde fragilisé et, bien sûr, le deuil, thème qui parcourt son dernier roman, Vivre vite. Plus de vingt ans après ce drame intime, elle y fait le récit, à partir d'une succession d'hypothèses qui interrogent intelligemment la notion de destin et de choix, des événements qui ont précédé la mort en 1999 de son mari, Claude, dans un accident de moto alors qu'il allait chercher leur fils à l'école.
Sur le plateau de la Criée, Brigitte Giraud a souhaité s'entretenir avec deux auteurs dont elle apprécie le travail et les engagements, tous deux marseillais : l'écrivain Didier Castino, par ailleurs professeur à Marseille, et l'autrice, dessinatrice et réalisatrice Nine Antico.
Une rencontre passionnante avec une écrivaine dont la langue au tempo musical sonde avec émotion les fractures du temps et celles des âmes, car, dit-elle, «l'intime, la décence, c'est ce qui relie au collectif».
À lire (bibliographie sélective)
— « Vivre vite », Flammarion, 2022 (prix Goncourt).
— « Nous serons des héros », Stock, 2015.
— « Avoir un corps », Stock, 2013.
— « Une année étrangère », Stock, 2009 (prix du jury Jean Giono).
— « L'amour est très surestimé », Stock, 2007 (prix Goncourt de la nouvelle).
Un grand entretien animé par Olivia Gesbert et enregistré en public le 27 mai 2023 au théâtre de la Criée, à Marseille, lors de la 7e édition du festival Oh les beaux jours !
Podcasts & replay sur http://ohlesbeauxjours.fr
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