(...) on marche courbés, serrant les rangs et protégeant nos poitrines fragiles en tenant le fusil tout contre, comme si un fusil ça protégeait celui qui le tient. (p. 11)
La guerre est une façon un peu différente de faire de la politique. C'est plus vivant, mais ça fait des morts. (p. 10)
A quelques pas de moi, le porte-drapeau, allongé dans les larges feuilles répète "Maman" entre deux sanglots, de son torse déchiré le sang s'écoule, c'est un vase qui se vide. Bientôt un râle idiot et il ne sanglote plus. Sa mère ne viendra pas. Il avait le même âge que moi. (p. 15)
-tu vas chercher la boîte en fer qui est dans le grand meuble, dans la bibliothèque, celle dans laquelle il y a des photos, je vais te monter des choses. Je connais cette boîte, c'est une ^boîte à gâteaux, dessus, c'est écrit biscuits Fabis. Souvent, quand on vient, Grand'-mamie et quelqu'un de la famille, mon père par exemple, regardent les photos et commentent le contenu de la boîte (images, lettres, cartes postales). Je m'excite sur le couvercle pour le faire sauter.
Noël Botillon avait vingt ans lorsqu'a éclaté la première guerre mondiale. Sa fille ne l'a jamais vu; Elle a fait le tour complet du compteur, cent ans. Aujourd'hui, on est là autour d'elle et il est décidé que pour la photo de famille, le truc mortel pour immortaliser l'instant mortel, tout le monde se donnerait la main. c'est un instant où la chaîne se reconstitue, au-delà du sourire que nous demande le photographe, il y a la présence spectrale du soldat retrouvé, le père, le soldat Botillon dont personne ne porte son nom mais qui est pourtant l'origine de tous.
Pendant des années et des années, toutes les annéees qui ont suivi la guerre, j'ai toujours eu l'impression que quelqu'un me regardait sans se montrer. Du plus loin que je m'en souvienne, j'appelais ça l'ombre. Je percevais une présence indicible.
La guerre est une cicatrice ouverte. La guerre est terminée maintenant pour lui et pour nous. La plaie est refermée, mais il reste la cicatrice.
En quittant le cimetière, mon père me décoiffe d'une main passée dans mes cheveux. Il me dit que j'ai bonne mine. Et voilà comment ça se termine la guerre, une bonne mine qui fait tout sauter.
Mon moral n'existe plus depuis des jours, sans nouvelles des miens, sans savoir ce que je fais là. Je m'endors de cette seule certitude que je ne suis plus rien. L'avantage de ne plus avoir d'espoir, c'est que ça protège des désillusions.
C'est un volcan de boue, de débris humains, de métal et de pierres qui éructe et puis s'affaisse. C'est la terre après le règne des hommes. Tout est noir et cette fois, ça y est, ça devait bien finir par arriver. Il était écrit qu'on allait tous y passer.