Ce troisième album de la branche des « Marshal Blueberry », paru en 2000, a un positionnement bien particulier dans la série.
Alors que le scénario est encore signé de
Jean Giraud, le créateur historique, cet album est le seul du corpus (qui compte 52 albums à ce jour) à avoir été dessiné par
Michel Rouge. Ce dernier est notamment connu pour être le dessinateur, à partir du tome 11, de la série Comanche commencée par Hermann.
Marshal Blueberry, cette branche parallèle au cycle principal est encore à ce jour limitée à trois albums, et nous attendons une suite depuis plus de quinze ans maintenant, mais cette suite n'arrivera peut-être jamais. La branche n'est donc qu'un petit greffon peu productif, inséré dans l'année 1868 de la vie du jeune lieutenant Blueberry détaché et en mission sur ordre de Washington.
Les deux premiers albums ont été scénarisés par l'incontournable
Jean Giraud mais dessinés par
William Vance, ce qui génère là encore un phénomène de rupture, tant le dessin de Vance – assez hideux, il faut le dire malgré ses prouesses sur XIII (Vance semble plus à l'aise avec la technologie militaire qu'avec la nature sauvage de l'Ouest) – s'écarte des standards habituels de la série.
Rien de tel ici, le style de Rouge reste graphiquement très proche de celui du Giraud des années 80, où la plume de
Moebius transparaissait parfois derrière celle de Gir. Par ailleurs, la colorisation de l'album bénéficie de la palette résolument acidulée mais délicieuse de
Scarlett Smulkowski, dont les tons oscillent entre le piment mexicain et la turquoise navajo (des couleurs très locales, donc) en passant par toutes les nuances de gris colorés du meilleur effet.
Le lecteur retrouve Blueberry en mauvaise posture, alité et un bras dans le plâtre. Souvenez-vous, dans Mission Sherman Bluberry était laissé pour mort, abattu par Newman, un trafiquant d'armes à la solde de Nelson Carmody, riche propriétaire de Heaven, petite ville-frontière où Blueberry a été nommé Marshal. Avec l'aide de son ami Red Neck et de Tess Bonaventura, une ex-infirmière de la bataille de Gettysburg qui lui prodigue les soins nécessaires (et plus car affinité) et dont le ranch accueille des anciennes prostituées, Blueberry parviendra à remonter à la source du trafic d'armes.
Scénario, costumes et décors se puisent sans vergogne (mais qui s'en plaindra ?) dans le fonds de commerce du western-spaghetti dont les auteurs empruntent tous les codes : trognes burinées des hommes de main et des cow-boys en stetson, ventripotence satisfaite des notables barbus arborant gilet et haut-de-forme, mesas aux couleurs somptueuses éclairées par les derniers rayons du soleil couchant, avidité et appât du gain du côté des méchants, générosité et courage du côté des bons, violence extrême des règlements de compte faisant parler la poudre et se propager interminablement les échos des coups de feu dans la sierra.
A la fin de l'album, le lecteur retrouve avec un immense plaisir une vieille connaissance, dont je tairai le nom (facile à deviner, mille putois ! qui pourrait bien être le deuxième assistant du marshal Blueberry après Red Neck ? Hein ? Un vieux sac-à-gnôle avec un chapeau à plume, ça ne vous dit rien ?) et voit ainsi se reconstituer le plus célèbre trio du western moule-frite (équivalent du western spaghetti, mais plus franco-belge qu'italien) créé par
Jean-Michel Charlier et
Jean Giraud, et fin prêt pour de nouvelles aventures à la frontière qui se poursuivront dans La Mine de l'Allemand perdu, album paru en 1972, presque trois décennies plus tôt.