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Citations sur Nous serons des héros (43)

[camping des 70's]
J'ai aimé la première nuit sous la tente. J'ai dormi près de Bruno et nous étions séparés des parents par une cloison de toile. Pour ouvrir, il fallait zipper et cela provoquait un bruit spécial, c'était le bruit du camping, ce 'zip' des fermetures éclair, qui résonnait ici et là.
J'étais allongé dans l'obscurité et j'entendais toutes sortes de sons avec lesquels je devrais me familiariser, ceux de pas qui se rapprochaient, puis s'éloignaient, des chuchotements, de petits cris dont je ne savais pas s'ils provenaient d'animaux ou d'humains, de raclements de gorge, de la musique dont je me demandais si elle venait d'une tente ou d'un bal au village, et toujours ce 'zip' qui disait que quelqu'un se couchait ou se levait. Tout semblait bouger autour de moi, comme si un monde de fantômes se mouvait, les phares d'une voiture balayaient parfois le noir et pénétraient la tente, et j'avais la sensation que rien ne nous protégeait, la toile était perméable, nous n'étions ni dedans ni dehors. Bruno n'était pas rassuré dans le noir et il cherchait à se blottir contre moi. Il demandait si j'avais peur, et bien sûr je lui montrais que j'étais fort.
Nous avons été réveillés tôt par la chaleur et les rayons du soleil déjà hauts. Quand je me suis extirpé au-dehors, tout le monde dans le camping s'activait et marchait sur le chemin avec une serviette de toilette posée sur l'épaule. Max préparait le petit-déjeuner et faisait chauffer de l'eau sur un réchaud. Nous allions vivre au ras du sol, assis, accroupis ou parfois installés sur des chaises pliantes. Nous allions conserver nos aliments dans une glacière, le ravitaillement en glace deviendrait un souci quotidien. Nous allions vivre quasiment dévêtus, et nous allions devoir emporter avec nous le papier hygiénique pour aller aux toilettes dans les sanitaires au bout du chemin. Tout était bien.
(p. 93-94)
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[1975]
Les lieux résistaient, ne livraient rien du passé. Il n'y avait pas de place pour mon père [tué sous la dictature] dans le Portugal d'aujourd'hui. De Peniche* on disait que la prison serait bientôt transformée en musée, non pas un musée de la Révolution mais un musée dédié aux lacets tressés à la main par les femmes, la spécialité locale, et cet hommage futur me faisait mal. Mon père était mort derrière les murs de cette forteresse, et ce qu'on retiendrait ce serait l'artisanat des lacets tressés en bobines. Pour ne pas effrayer les touristes européens, avait expliqué mon oncle. Il m'avait dit que le pays allait s'ouvrir, que les devises allaient entrer, on ne pouvait pas vendre des geôles et de la douleur.
(p. 161)
* premier port de pêche du Portugal, Peniche est en partie encerclée par des murailles du XVIe siècle. Du côté sud, près de la mer, se dresse la forteresse du XVe siècle utilisée comme prison pendant le régime de Salazar. (Wikipedia)
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Leur rencontre s'était faite sur le regret de leurs mondes disparus. C'était leur seconde vie, comme on disait une seconde chance, mais avec une mémoire qui pesait lourd.
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J'ai vécu huit ans avec mon père et je n'ai plus dans l'oreille le son de sa voix. Très peu son visage, ma mémoire n'a pas fixé ses traits. C'est sa silhouette qui s'est inscrite, grande et sombre, et lui sur la Vespa assis devant moi. Je vois surtout le flou de son pantalon quand il marchait dans la rue, ses cheveux épais. Je vois son corps maigre qui flotte dans son pantalon. Et je sens le vent. Quand je pense à mon père le vent se met à souffler.
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«  L’exil était confortable, il me tenait à distance et évitait que je sois pleinement le fils de mon père. J’avais changé de langue à temps, avant que je ploie sous un passé trop encombrant et que ma vie se transforme en un devoir de mémoire .... »
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« Mais ma mère avait changé, depuis qu'elle avait rencontré Max, je la sentais vivante, elle s'achetait des robes, des foulards et des boucles d'oreilles, elle confectionnait des gâteaux qu'elle cuisait au four comme au Portugal, elle allait chez le coiffeur, elle avait des envies pour le jardin, elle avait acheté des chaises longues, et planté des géraniums dans des pots. Elle cherchait une nappe pour la table de la cuisine, et un lampadaire pour le salon, qui manquait de lumière. Elle était aussi plus proche de moi, elle prenait du temps pour m'écouter, elle admirait ma façon de parler français, elle s'intéressait à ce que j'apprenais au collège. Elle n'évoquait jamais le Portugal, peut-être pensait-elle qu'avec le temps j'allais oublier, je ne sais pas si elle l'espérait ou si elle le craignait. »
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[dictature portugaise, début des 70's]
J'ai appris que Luis avait travaillé longtemps avec mon père et qu'il était recherché pour avoir organisé la résistance sur le secteur du port. Il avait quitté le pays après avoir fait l'objet d'une surveillance qui l'avait rendu fou. Il avait perdu le sommeil et imaginé que des hommes étaient postés près de son logement, près de son travail, dans les rues qu'il empruntait le matin et le soir, sur les toits et dans le tramway, il voyait des hommes de la Pide* partout sur son passage, il les inventait, il en rêvait, il pensait que l'épicier était un policier, et il en était même venu à soupçonner Lydia, qui avait mis du temps à le convaincre qu'elle n'était que sa femme.
(p. 27)
* La Polícia Internacional e de Defesa do Estado (Français : Police internationale et de sûreté de l'État), plus connue comme PIDE, était la police politique de l'État portugais pendant l'Estado Novo sous António de Oliveira Salazar (Wikipedia).
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« Personne n'imaginait que j'avais peur, peur de revoir Lisbonne et de lever les yeux vers les fenêtres de notre appartement, peur d'entrer dans l'Estufa fria, la serre où ma mère m'emmenait les jours d'hiver, peur surtout de marcher le long du port et d'entendre la sirène des bateaux. L'exil était confortable, il me tenait à distance et évitait que je sois pleinement le fils de mon père. J'avais changé de langue à temps, avant que je ploie sous un passé trop encombrant et que ma vie se transforme en un devoir de mémoire. »
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La vie est compliquée pour les absents, ils restent dans le regret de ce qui n'a pas été vécu. Luis et Lydia avaient raté la révolution et ma mère ratait le moment où on en faisait le récit. Il ne me resterait qu'une chose à faire, raconter, mais à force de raconter à la suite des autres, la réalité se déformait.
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Max et ma mère avaient construit leur relation sur le manque du pays, qu'ils partageaient,et qui avait alimenté les conversations des premiers temps. Les allusions au Sud étaient permanentes, le climat qui permettait de vivre dehors, le soleil plombant, la végétation, la cuisine à l'huile d'olive, et la présence de la mer ou de l'océan. Ma mère et Max croyaient être faits du même bois, nés sous les mêmes latitudes, même si un pays océanique n'est pas un pays méditerranéen, ils en riaient au début,ils étaient complices, ils aimaient confronter leurs différences. (...) Leur rencontre s'était faite sur le regret de leurs mondes disparus. C'était leur seconde vie, comme on disait une seconde chance, mais avec une mémoire qui pesait lourd.
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