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Critique de MFOREL


"Je veux l'ombre des arbres et pas celle de mon père."

Ode à la rêverie buissonnière, à la contemplation paresseuse, à l'égarement des pensées, "Elisée avant les ruisseaux et les montages" est un roman aussi léger que profond, où l'on découvre sous la finesse et la subtilité des mots, comme l'humus riche et puissant sous les feuilles des chemins forestiers, les strates d'un récit où sourdent à la fois les principes réjouissants d'une philosophie de la nature, un plaidoyer écologique en forme de roman initiatique et, pour parler comme un philosophe hédoniste contemporain, l'éloge, à travers la trajectoire d'un enfant, d'une sagesse sans morale.

En 130 pages, d'une écriture vive, tendue, maîtrisée de bout en bout, où l'on sent toute la tendresse que l'auteur porte au personnage d'Elisée Reclus, Thomas Giraud nous offre un premier roman d'une grande virtuosité. A travers la jeunesse imaginée du géographe libertaire et anarchiste, l'auteur réussit à peindre l'enfance comme d'autres les paysages. Elisée, face à Jacques le père. Jacques, ce sont les Alpes, "cette grande architecture, leur raideur accidentée et leur sourd mouvement". "Des montagnes, presque des murs." Incontournable ? Infranchissable, le père ? Elisée, avec Zéline, sa mère. Zéline, c'est "l'horizon de l'autre rive", "quelques vallons très doux", "le frôlement des mots qu'on chuchote". Classicisme des contrastes. C'est dans cette géographie familiale que grandit Elisée, entouré d'une opulente fratrie de douze frères et soeurs.

C'est aussi dans ce climat, entre la froideur du glacier paternel (est-il caricatural d'estimer qu'un pasteur calviniste fait rarement preuve d'une chaleur excessive ?) et la douceur maternelle des eaux de la Dordogne, que naît et s'installe la contradiction. le début d'un effondrement. le deuil d'une évidence. Car "Elisée avant les ruisseaux et les montages" est aussi, et peut-être avant tout, le roman d'une colère rentrée, la genèse d'une rébellion. Et là excelle l'auteur : dans cet art hasardeux et délicat d'imaginer dans leur complexe simplicité les pensées d'un enfant de 11 ans qui sent grandir en lui l'appel presque physiologique des mouvements de la nature, bien plus que celui de la foi et du flambeau à reprendre. le roman est ainsi ponctué de ces "bouts de pensées" qui sont autant de ruminements enfantins que les prémices de la déconstruction d'une route déjà tracée.

"Bout de pensée : Jusqu'à quand devrais-je lui obéir ?"
"Bout de pensée : Il voit de la paresse là où il ne sait pas regarder. Quelle différence fait-il entre fainéant et paresseux ?"
"Bout de pensée : Je voudrais passer ma vie à transporter les pierres dorées et à ne plus avoir à exécuter les ordres de mon père."

Il est temps pour Elisée de chiffonner le paysage de son avenir figé. Délaissant les études qui devaient le mettre dans les pas de son pasteur de père, il décide de suivre les lignes sinueuses des ruisseaux argentés, les ondes mystérieuses des collines et le murmure des pierres.

Thomas Giraud, dans un texte où les mots sont choisis et pesés avec un soin d'orfèvre, habillant le récit d'un voile poétique d'une grande élégance, nous invite à suivre son héros, mais aussi, peut-être, à trouver dans les mouvements de la nature, bien plus que dans les pesanteurs poussiéreuses et doctrinales des principes d'une religion moribonde, une spiritualité en harmonie avec le monde.
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