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Place à l'œuvre de Jean Giraudoux et non au jugement péremptoire et moralisateur. Il s'agit ici non d'un écrit sujet à caution, Pleins Pouvoirs, qui a fait couler beaucoup d'encre et qui n'a pas fini de faire polémique, mais bien d'une pièce de théâtre, la Folle de Chaillot, qui n'est en rien polluée par le discours tenu dans Pleins Pouvoirs : il ne faut pas tout confondre. La Folle de Chaillot, encore donnée assez régulièrement, est une pièce en deux actes, assez plaisante, bien qu'elle soit un peu datée ( sa création par Louis Jouvet remonte au mois de décembre 1945 alors que l'auteur est mort peu avant la Libération en 1944) et bien qu'elle puisse faire sourire aujourd'hui par la manière dont le sujet est traité, car le sujet est sérieux : il s'agit de rien de moins que de la critique de notre société productiviste et consumériste prête à tout pour exploiter et vendre, y compris en transformant tout le paysage, ici urbain et plus précisément parisien, en allant jusqu'à projeter de forer le sous-sol de la capitale pour en faire jaillir du pétrole ! On voit ici ce qu'il y a d'absurde à présenter le problème sous cette apparence grotesque, d'autant que les personnes qui organisent la lutte contre ces profiteurs ont un léger grain de folie. On n'imagine pas que l'on puisse mettre en de telles mains, les personnages fussent-ils sympathiques et amusants, une affaire aussi sérieuse : le bien-être collectif menacé par des pratiques et des habitudes qui menacent notre qualité de vie et surtout celle des générations à venir en la sacrifiant aux facilités du monde moderne (transports individuels mangeurs d'énergies fossiles polluantes), problématique dont Giraudoux entrevoyait avec lucidité l'importance qu'elle revêtirait plus tard dans notre positionnement par rapport aux questions d'ordre écologique et environnemental. Et derrière la légèreté de surface et la préciosité du langage, il y a bien cette question centrale qui est posée en des termes assez forts et qui devraient faire réfléchir. On voit bien, cependant, que les moyens dont disposent ceux qui essayent de concilier le progrès humain et la préservation du vivant dans des milieux plus sains sont dérisoires par rapport à ceux dont bénéficient les milieux de la finance et les magnats du pétrole. Lutte du pot de terre contre le pot d'argent, qui durera tant que l'on n'aura pas réduit le pouvoir de ces derniers ou du moins tant qu'ils ne se seront pas très sérieusement assagis. La phrase la plus emblématique reste : "Ce qu'on fait avec du pétrole. De la guerre. De la misère. De la laideur". Cette phrase peut heurter, et pourtant elle est juste. Que de sang versé pour le contrôle des zones pétrolifères, car des hommes se sont affrontés armes à la main pour cela. Giraudoux pressentait bien qu'il en serait ainsi, le Deuxième Conflit mondial ne le lui montrait déjà que trop. Pour ne pas surdramatiser, il a abordé les choses moitié avec sérieux, moitié avec son humour et sa verve légendaires. Reste que la pièce commence à vieillir un peu, et le rôle principal, celui d'Aurélie, la folle de Chaillot, a eu beau être tenu successivement par Marguerite Moreno, Edwige Feuillère et plus récemment Anny Duperey, on n'imagine pas l'humanité pouvoir faire le procès de ceux qui ont été les grands profiteurs du désastre écologique qui est en cours. Nos énergies doivent plutôt se mobiliser maintenant pour essayer d'en amoindrir les effets. Gageons que l'on continuera pendant un temps de lire cette pièce comme un spécimen de littérature d'une époque révolue, pour analyse ou par intérêt personnel, plus qu'on ne la verra mise à nouveau en scène. François Sarindar + Lire la suite |