Mis en avant comme ‘'nouveauté'' à la Médiathèque et au vu des précédents billets, je me suis jetée à l'eau en découvrant le dernier roman de
Julia Glass «
En ces temps de tempêtes » (auteure que j'ai découverte en parallèle).
La petite ville côtière de Vigil Harbor, sur le flanc d'une falaise, est comme une petite bulle de tranquillité pour ses habitants alors que le reste de l'Amérique et du Monde connait des tensions de plus en plus importantes.
Ce sont justement les tensions et problèmes que l'on a connus et que l'on connait actuellement qui sont au coeur de ce récit : la période de covid et les confinements, les attentats, les changements climatiques… Par quelques petits indices liés à la période du Covid, on peut supposer que l'histoire se déroule dans les années 2030, donc dans un futur très proche, ce qui confère une certaine proximité entre nous, lecteurs, et les habitants de Vigil Harbor.
On suit huit habitants de cette ville, tour à tour, dans leur quotidien quand même un peu perturbé, émerge la perception qu'ils ont de cette période, en fonction de leur entourage, leur propre vécu, diverses cicatrices et quelques secrets. Que ce soit
Brecht (comme le dramaturge), jeune étudiant traumatisé à la suite d'un attentat à New York ; Austin architecte et beau-père de
Brecht ; Connie, qui s'occupe de jeunes enfants dans sa maison (certains parents y proposant des cours) et femme de Celestino (paysagiste et originaire du Guatemala) ; Mike, récemment divorcé, ayant deux enfants Egon et Marinda ; ou encore Petra, une journaliste d'une cinquantaine d'années, ils appréhendent les évènements différemment …
Vigil Harbor (nom dont on peut formuler des extrapolations) est une ville assez sûre pour permettre à ses habitants de se sentir en relative sécurité par rapport à d'autres villes ou agglomérations. Ainsi, par exemple, ils ne ferment pas leur logement à clé. On comprend -par ellipse- que les « étrangers » sont rares (ne sont pas autorisés à y vivre, y entrer ?) ; les ‘'étrangers'' étant ceux n'étant pas nés dans cette ville.
On a pourtant le sentiment que ‘'les étrangers'' peuvent être considérés de manière plus radicale que cela puisque Celestino, le seul dont la peau n'est pas blanche, a « de la chance » de pouvoir vivre et travailler sans problème dans cette communauté (pour combien de temps ?).
On ressent dès la première page une atmosphère pesante, du fait des sujets abordés par les narrateurs, que ce soit les problèmes climatiques (par les tempêtes qui surviennent aux Etats-Unis et ailleurs et qui pourraient les toucher, comme pris dans le tourbillon d'une apocalypse ; par l'évocation des fruits, légumes ou espèces animales disparus) ; les attentats anciens ou plus récents (parfois perpétrés par des militants écologistes extrémistes) que les habitants découvrent sur les chaines de télévision ou, pour certains, dont ils ont été victimes ; la mort (du fait de guerre, de covid) qui touche de près les protagonistes.
Le lecteur français peut être surpris par l'évocation également d'évènements tragiques survenus en France (attentats de Nice, par exemple). Cela contribue également à cette impression de réalité palpable, de réalité avec des évènements qui ont surgi dans le monde et qui pourraient s'intensifier, comme le vivent et redoutent les personnages.
On devine comme une chappe de plomb au-dessus de la ville et de ses habitants, comme des non-dits, des faux-semblants que le lecteur n'identifie pas clairement, faute d'information. Et ce sentiment de sécurité à vivre au sein de cette communauté pourrait s'effriter plus vite qu'ils ne le pensent.
L'auteure réussit à construire une histoire – qui devient au fur et à mesure presque haletante- autour de ces personnages, bien décrits, intenses, aux caractères variés, aux fêlures et faiblesses différentes. L'écrivaine a réalisé un travail en profondeur, par les descriptions, leur attachement au milieu de l'art (poésie, théâtre ou encore peinture …), la complexité des interactions, leurs ressentis, en intégrant psychologie, sociologie, maux sociétaux (homophobie, racisme, extrémisme, etc.).
Par les thèmes au coeur de l'actualité, par ces personnages captivants, par le style agréable, le lecteur est rapidement happé par l'histoire, s'attachant à un bon nombre des protagonistes, et pas uniquement aux ‘'narrateurs''. J'ai particulièrement été sensible à
Brecht, à la famille de Connie et Celestino et leur jeune fils Raul…
J'avoue que l'ajout d'un élément plus «
Science-fiction » m'a un peu déroutée. L'auteure aurait pu intégrer la symbolique autrement (là encore, il y a une référence à la France et particulièrement à une légende bretonne). Ça a cassé un peu mon sentiment de proximité avec les personnages, de parallèle à notre présent… Hormis ce petit bémol, j'ai vraiment apprécié cette dystopie.